par Lambert RADOUX
Le conférencier souligne d’entrée de jeu qu’il y a plusieurs façons de regarder les cathédrales et notamment des points de vue symbolique et artistique qui ne seront pas abordés dans son exposé. Il a choisi quant à lui une approche, basée sur la raison et le libre-examen, qui rencontre trois aspects de ces prestigieuses constructions : l’aspect fonctionnel, les problèmes financiers, et l’extraordinaire défi technique qu’elles représentent.
Après l’édit de Constantin de 313 qui reconnait aux chrétiens la liberté de culte, les communautés religieuses se regroupent en diocèses autour d’un évêque (episcopus) qui installe son ecclésia (église) dans une grande ville où sera bâtie l’église du diocèse, la cathédrale (de cathedra, emplacement de la chaise de l’évêque). La construction s’inspire tout d’abord des basiliques civiles de Rome, de forme rectangulaire, avec une nef centrale séparée des bas-côtés par des colonnes, terminée par une abside semi-circulaire. Ce plan primitif s’enrichira progressivement du transept qui donne à l’église la forme d’une croix latine, puis de petites absides supplémentaires, ou absidioles, greffées sur le transept, et constituant des chapelles où l’on honore des reliques.
Cathédrale de STRASBOURG.
1 On obtient ainsi le plan des grandes églises romanes de pélerinage. La disposition gothique n’en diffère que par les dimensions imposantes de l’édifice, les chapelles disposées sur les bas-côtés, et le jubé, séparant le choeur des chanoines de l’église du peuple, mais qui sera supprimé après la contre-réforme.
Les dimensions importantes des cathédrales gothiques répondent à l’accroissement démographique des 12e et 13e siècles, mais aussi au souci d’imposer une image prestigieuse de l’église catholique, qui atteint son apogée au cours du 13e siècle. Mais cela ne serait pas possible sans des ressources importantes : la construction d’une cathédrale est avant tout une entreprise financière.
L’accroissement démographique, les défrichements importants, les progrès de l’agriculture, expliquent le développement du commerce et la richesse du Moyen Age, dont profitent notamment les évêchés, possesseurs de domaines agricoles importants. Les revenus de l’évêché sont partagés en mense canoniale, réservée au chapitre cathédral et partagée en autant de prébendes qu’il y a de chanoines.
Apanage exclusif de l’évêque aux 11e et 12e siècles, la gestion et le financement de la cathédrale passent progressivement au chapitre cathédral au cours du 13e siècle, et les chanoines créeront à cet effet « la fabrique » qui contrôle entièrement l’entreprise de construction. Le financement est assuré par les revenus propres des terres de l’évêché, les donations et legs particuliers, et les contributions des fidèles.
Les donations et legs particuliers sont surtout le fait de grands bourgeois, des corporations, et de pieuses confréries.
Mais l’église exploite surtout les fidèles sous différentes formes:
troncs placés dans les églises, dans les boutiques, sur les marchés; dons en nature; offrandes imposées par les confesseurs; amendes aux clercs en défaut… et surtout collectes combinées au culte des reliques, à travers tout le diocèse, et même à l’échelle internationale, par l’intermédiaire des ordres religieux. La concurrence est telle qu’elle devra être réglementée en accordant priorité à l’évêque dans son diocèse.
LIEGE – Intérieur de la cathédrale
Mais la construction des grandes cathédrales n’aurait pas été possible sans les solutions techniques qui l’accompagnent : la difficulté réside essentiellement dans la construction de la voûte, et le conférencier va s’attacher à en expliquer les problèmes.
Les premières basiliques chrétiennes, dotées de plafonds plats en bois, ont souvent disparu par incendie, notamment pendant les dernières invasions barbares des 9 et 10 siècles. La voûte semi-cylindrique en maçonnerie est plus sûre, mais elle pose un problème technique difficile à résoudre : les murs sur lesquels elle repose doivent non seulement résister au poids, mais en outre aux poussées horizontales engendrées par l’élasticité de la voûte qui tend à s’ouvrir : le conférencier nous explique ce phénomène par analogie avec le comportement d’une échelle double articulée en son milieu. Les premières grandes églises romanes à voûte de maçonnerie ont pour cette raison des murs épais qui ne permettent qu’un éclairage médiocre : la résistance des murs aux efforts latéraux et la recherche de la lumière seront la hantise des constructeurs romans.
Pour assurer la stabilité de la construction, les bâtisseurs utilisent successivement; les contreforts, les tribunes sur les bas-côtés qui augmentent la masse de contrebutement, puis la voûte en arcs brisés qui augmente l’élancement de la voûte et diminue ainsi les efforts latéraux.
Le conférencier nous présente alors la voûte d’arêtes, constituée par l’intersection naturelle de deux voûtes perpendiculaires en plein cintre. Cette disposition est connue dès le début des constructions romanes, et on la rencontre tout naturellement dans les cryptes, les bas-côtés, les narthex des églises.
Mais elle n’est pas utilisée pour couvrir des nefs importantes, car elle pose deux problèmes difficiles : la voûte d’arêtes, de forme elliptique à l’intersection des deux berceaux semi-circulaires est difficile à construire, et le poids de la voûte, reporté à ses quatre points de base, devient considérable et difficile à équilibrer quand la voûte prend des dimensions importantes.
C’est pourtant de là que viendra la solution gothique.
Dans un premier temps, les constructeurs s’efforcent de cacher les malfaçons de la voûte d’arêtes par un couvre-joint en maçonnerie, qu’ils incorporent ensuite dans la voûte : dans un deuxième temps, apparaît ainsi la notion de « nervure » incorporée à la maçonnerie, qui donnera naissance à la « croisée d’ogives ».
Le génie des constructeurs gothiques réside dans la façon dont ils ont exploité cette solution :
– construction de doubleaux en arcs brisés disposés perpendiculairement à la direction de la nef centrale
– construction des formerets en arcs brisés au passage des bas-côtés vers la nef centrale
– construction de la croisée d’ogives sur la nef centrale en forme de quatre quarts de cercles se recoupant à la clé.
Ces arcs en maçonnerie, de rayon constant, se construisent facilement par préfabrication; ils sont mis en place sur des cintres en bois qui ne supportent qu’un poids limité jusqu’à la prise complète du mortier. Après quoi, les compartiments entre les arcs sont remplis, les arcs servant alors de supports intermédiaires.
Cette solution a permis de résoudre élégamment le problème du supports de la voûte en cours de construction, et d’augmenter progressivement la portée des voûtes.
Mais les efforts sont évidemment reportés aux quatre points de base de la voûte, et la croisée d’ogives ne serait pas possible sans son complément indispensable : les arcs-boutants.
Ceux-ci canalisent les efforts, depuis les naissances de la voûte, vers les culées où elles sont équilibrées par la masse du contrebutement.Les murs de la cathédrale, libérés des efforts transversaux, peuvent alors s’ouvrir à d’impressionnantes baies vitrées qui permettent de réaliser:
« ... l’oeuvre qu’inonde une lumière nouvelle »(Suger).
La conférence a été suivie d’un débat animé qui a permis d’aborder de nombreux problèmes : les échecs de certaines constructions, les connaissances des constructeurs, les sources de ces connaissances, le dessin de construction, le rôle et le statut de l’architecte…
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BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
Pour une approche simple, bien illustrée (et pas chère) des cathédrales : trois fascicules d’une cinquantaine de pages :
Cathédrales – volume 1- Comme elles sont construites (1988)
– volume 2 – leur symbolique (1980)
– volume 3 – les bâtisseurs (1991)
édités par Centre du Patrimoine – Association, création et recherche
23, Place du Cardinal GRENTE – 72000 LE MANS (France)
Un peu plus documenté (Notions pratiques d’archéologie à l’usage des touristes)
J.A. BRUTAILS – Pour comprendre les monuments de France.
éditeur : Gérard Montfort – Paris – 1992 (97FF)
Une belle étude technique, très accessible à tous :
Roland BECHMANN – Les racines des cathédrales.
édit. Payot 1989 – (+/- 900 FB)
Une très belle étude historique, sociale, financière, du rôle des cathédrales
dans la cité (donc, étude sociologique plus approfondie)
Alain ERLANDE BRANDENBURG – La cathédrale
édit. Fayard 1990 (195 FF)
Etude très documentée sur les chantiers, les problèmes techniques,
le financement, les constructeurs –
Illustration magnifique… mais chère (+/- 500 FF) :
édit. Les musées de la ville de Strasbourg
Publiée à l’occasion de l’exposition
« Les Bâtisseurs de cathédrales »
présente à Strasbourg du 3 septembre au 26 novembre 1989.