1511. Voici l’histoire d’un soldat de 14-18.

Je m’appelle Maurice Pierrard et j’habite à Neupré. Je suis le fils de Louis Pierrard né à Bas Oha, le 16 septembre 1892.

A l’époque, la vie était rude. On allait peu à l’école, on travaillait dès son plus jeune âge et souvent, on allait dormir le ventre creux. Mon père habitait à Saint-Séverin une maison enfouie dans les bois au lieudit « Au Pecquet ». Seul un petit sentier y donnait accès.

Louis Pierrard

En 1912, il a 20 ans. Il entre à l’armée, mais trop petit pour entrer dans la cavalerie, il devient fantassin. Il fait son service au célèbre fort de Loncin. Le service est très dur, avec tout son barda, il part fréquemment pour des manœuvres de 3 ou 4 jours durant lesquelles il effectue des marches de 30 ou 40 km

Il est démobilisé en avril 1914. Mais pas pour longtemps, en effet la guerre éclate et il est rappelé au fort le 4 août 1914. De Saint-Séverin jusqu’au fort de Loncin, il y a une journée de marche et lorsqu’il y arrive, le contingent est déjà formé par les soldats habitant plus près. Avec d’autres, il est désigné pour établir des tranchées entre les forts. Ils sont anéantis, un fort c’est imprenable et les voilà envoyés dans la gueule du loup ! Ils doivent reculer et reculer encore. Ils utilisent les tranchées réalisées par des civils réquisitionnés

Trois mois plus tard, ils arrivent à Anvers et c’est à ce moment seulement qu’ils apprennent que le fort a sauté le 15 août 1914 provoquant de nombreuses pertes humaines. Ils ont donc eu de la chance !

Il restera quatre longues années dans ces tranchées de l’Yser baptisées « boyaux de la mort ». Il se trouve parfois à moins de 100 m de l’ennemi.

Sa section comportait 1000 hommes, et en une journée 800 d’entre eux ont péri. Leur commandant pleurait. Parfois, l’artillerie, à l’arrière, tirait sur eux …

Il n’a pas été blessé mais il a souffert jusqu’à son dernier jour d’avoir été gazé.

Ce fut le premier soldat à revenir dans son village. Il fut démobilisé pour la 2ème fois en 1919 après avoir fait un an d’occupation en Allemagne. Il se marie le 17 juin 1921 et je viens au monde le 9 juillet 1927.

Louis Pierrard

Saint-Séverin, une stèle fut posée dans le mur de la maison communale, elle porte les noms des 3 soldats morts au champ d’honneur et des 18 survivants. Un événement exceptionnel modifiera cette liste. L’un d’entre eux fut, pendant la seconde guerre, un collaborateur et ses frères d’armes décidèrent que son nom devait être rayé de la stèle. C’est la raison pour laquelle il y a un vide entre Paquot Alphonse et mon père Pierrard Louis.

Ont-ils eu raison ? Il avait fait son devoir à l’époque comme les autres …

En 1934, on s’installe à Rotheux, rue Haie des Moges, juste à côté du château appelé plus tard « Centre de cures ». Il était à l’abandon, mais en parfait état et dans ses allées j’ai appris à rouler à vélo.

En 1939, l’armée belge réquisitionne le château. Mon père prétendait que l’armée belge serait assez forte pour tenir face à l’armée allemande. La guerre éclate le 10 mai 1940, et le 14 mai, les soldats belges doivent déjà quitter le château. Quelle déception pour mon père !

A la fin du mois d’août 1944, un régiment allemand occupe le château, il revient du front de Normandie. Le 1er septembre à 9 h, les avions alliés bombardent le château et c’est notre maison qui est touchée ! Il n’en reste rien. J’en sors le premier, puis mon père, en sang. Ma mère est restée sous les décombres. C’est un soldat allemand qui viendra soigner mon père et ma mère sera secourue dans l’après-midi.

Les allemands nous ont hébergés une nuit au château mais ma mère craignant le retour des avions, nous sommes partis le lendemain rejoindre des parents à Saint-Séverin. Etrange la vie, mon père pendant 4 ans a traqué l’ennemi allemand et 26 ans plus tard il a été secouru par l’un d’entre eux. Le 5 septembre, les allemands sont partis, les américains sont arrivés le 6.

Mon père est mort le 3 juin 1965. Il repose au cimetière de Rotheux. Sur sa tombe on peut lire « Ici repose un combattant de 14-18 ». Il n’a jamais revu le fort de Loncin. De toute façon c’était un no man’s land, envahi par la végétation.

Vers la fin des années 90 des bénévoles ont entrepris de défricher l’endroit, y ont construit un musée, remis un canon en service – qui tire des salves tous les 4 août et 11 novembre – et organisé des visites.


La médaille Commémorative, de Liège, de l’Yser, la croix de guerre, la médaille de soldat 14-18 et la médaille du Roi Albert.

En 2002, je suis allé visiter le fort et j’ai signalé que mon père y avait fait son service militaire, que j’avais des photos, de lui, de son régiment, des médailles …

La médaille Commémorative, de Liège, de l’Yser, la croix de guerre, la médaille de soldat 14-18 et la médaille du Roi Albert.

Les responsables du fort m’ont demandé de leur confier les photos pour en prendre copie et j’ai promis de leur léguer les médailles après ma mort. Un peu plus tard, ils m’ont invité à venir récupérer mes photos originales et ils m’ont montré les copies avec la mention : « Photos apportées par Maurice Pierrard fils de Louis Pierrard qui a fait son service en 1912 » et l’indication de l’emplacement de mon père : « le 6e de la 3ème rangée ». Inutile de vous dire que des larmes me sont montées aux yeux et je lui ai dit : « Papa maintenant tu es rentré dans ton fort de Loncin, avec tous tes frères d’armes, mais cette fois c’est pour toujours car d’ici tu ne seras jamais plus démobilisé ».