0786. Rognac : une forêt pleine de vie

Aux portes de la Cité Ardente, la réserve naturelle RNOB de Rognac étend ses douze hectares de forêts. Les arbres n’y ont pas été exploités depuis plus d’une centaine d’années, plantant un décor surprenant, aux mille et un détails.

La propriété de Rognac appartenait au docteur Luc Tilmant qui, de son vivant, en fit don aux RNOB en 1978. Amoureux de la nature, il espérait ainsiinciter les jeunes scientifiques à étudier un site forestier qui -fait rare en Wallonie- ne fait l’objet d’aucune intervention volontaire de gestion depuis cent ans.

La réserve naturelle a été agréée par la Région wallonne en juillet 92. Depuis plusieurs années, Madeleine Deflandre, conservateur de la réserve, ainsi que les autres membres de la Commission de Gestion, accueillent groupes de jeunes, scientifiques et visiteurs curieux de la nature. L’endroit ne manque pas de charme et ne fait pas penser, de prime abord, à l’entrée d’une réserve naturelle. On y accède par un lotissement résidentiel assez récent : derrière la barrière, une charmante maison de pierres, une ancienne ferme restaurée. On parcourt un verger et des prairies fleuries. Au pied de deux saules, une source alimente deux grandes mares. Par beau temps, une grande libellule bleue vient vous saluer: elle tourne et vire, très proche, et vous observe de ses grands yeux. Les tritons peuplent la mare et on devine les plumes du pouillot parmi les tiges du plantain d’eau. Des ronciers sont conservés un peu à l’écart: c’est que le chevreuil vient les brouter régulièrement. On s’approche d’une lisière forestière, qui conduit à un joli vallon, aux pentes accidentées.

deux grandes mares… (photo R. Bertrand)

Sous les branches, la forêt

Quoi de plus normal, diriez-vous ? Eh bien, Rognac vous convainc du contraire! D’emblée, les visiteurs se disent surpris du décor qu’ils ont sous les yeux: arbres non alignés, plantes et fleurs dans le sous-bois, sources et petites ravines sillonnant les coteaux, mousses sur les troncs tordus, branches tombées par centaines, quelques arbres gigantesques.

La forêt de Rognac est située en Ardenne condrusienne; les sols y sont caillouteux, chargés de débris de schiste ou de grès. L’épaisseur et la richesse de cette couverture varient sur les plateaux, en pleine pente vers les ruisseaux, sur les talus et replats des versants. C’est là l’origine de la diversité du sous bois. Et même le visiteur qui n’entend rien en botanique s’en aperçoit.

Les luzules apparaissent comme de grosses touffes d’herbes légères : leurs épis délicats se balancent au vent. La balsamine des bois surprend le passant : elle projette ses graines au moindre effleurement. Sur les versants frais, c’est le paradis des fougères. Plusieurs espèces ont un aspect « habituel » mais on remarquera la langue de cerf aux feuilles allongées et pleines ou encore le blechnum en épi dont la fronde est profondément découpée comme un peigne.

De saison en saison, le paysage est enchanteur. Au printemps, fleurs jaunes ou blanches éclairent le sous bois. L’été décline toute la gamme des verts au contraire de l’automne qui pare les hêtres et les charmes de mille feux. Les champignons y sont alors à l’honneur. L’hiver paraît plus calme et la lumière se glisse facilement entre les ramures dénudées.

Çà et là, un énorme hêtre a fait le vide sous sa couronne. Qu’une branche se brise et tombe à la suite d’une tempête, il n’en faut pas plus à la digitale pourpre pour constituer d’impressionnantes colonies.

Par monts et par vaux

La forêt de Rognac est baignée, du sud au nord, par le ruisseau de la Neuville, qui serpente en sous-bois avant de rejoindre la Meuse à hauteur des cristalleries du Val

Saint-Lambert. Le ruisseau recueille malheureusement les eaux usées de plusieurs villages. De nombreuses sources s’écoulent des versants et rappellent les petits ruisseaux de montagne par leur pente, leur pureté et la présence de nombreux cailloux. Ces milieux sont exceptionnels car ils régressent ailleurs du fait des traitements forestiers. Ces zones de suintement font le bonheur de la salamandre, qui se reproduit dans de nombreux lieux de la réserve.

La cascade. Photo R.Bertrand

On descend vers le ruisseau et on perçoit un bruit de cascade. Le Pont-Madame retient les eaux d’un étang utilisé jadis en pisciculture et montre une vue d’ensemble du vallon. Çà et là, des troncs enjambent le sentier; les mûriers sauvages s’accrochent aux chaussures. Ne passez pas trop vite, semblent-ils dire, contemplez le paysage et les mille détails merveilleux de la forêt…

Au fond du vallon, l’ambiance est magique. Les rais de lumière jaune filtrent à travers les feuillages, coupés par le vol précipité d’un pigeon ramier. Peut-être se méfie-t-il de l’autour ? Ce rapace signe son dîner par un amas de plumes intactes. Plusieurs troncs d’arbres vermoulus franchissent le ruisseau depuis les versants abrupts. Les vieux arbres des pentes paraissent encore plus grands et protègent la quiétude du val. Peut-être était-ce aussi le sentiment des résistants qui y cherchaient refuge durant la seconde guerre ? Même si le tout proche château de Rognac était investi de troupes allemandes.

Place aux vieux et aux petits !

La forêt de Rognac n’étant pas gérée, des arbres meurent sur pied, généralement « de vieillesse ». Le bouleau, le sorbier, le merisier vivent jusqu’à 100- 150 ans tandis que les hêtres et les chênes atteignent plusieurs centaines d’années. Leur circonférence mesure alors entre 5 et 6 mètres. La tempête ou le poids de la neige provoque leur chute ou celle de grosses branches, créant des trouées bien vite recolonisées. Tous les arbres morts sont progressivement rongés. Les structures complexes du bois sont réduites en éléments minéraux simples à nouveaux disponibles pour la nouvelle génération. Il en va de même des branches des feuilles, des cadavres d’animaux qui jonchent le sol. Une multitude d’organismes, dont les plus connus sont les araignées, les insectes ou les champignons, les découpent et les redécoupent.

C’est sans doute là, dans la litière, qu’est concentrée, invisible et silencieuse, la partie cachée de l’iceberg de la diversité de la forêt. Et rien, hormis les phénomènes naturels, ne vient perturber cette activité trépidante.

L’avenir comme meilleur atout

On ne trouve pas encore à Rognac, « l’espèce » extraordinaire qui deviendrait le symbole de la réserve. Mais il faut savoir qu’un siècle de maturité dans la vie d’une forêt est un délai encore bien court pour y voir apparaître les espèces liées aux forêts pluriséculaires (et il faut que ces espèces soient présentes à proximité).

La gestion qui consiste à ne rien faire est donc pleinement justifiée ici et devrait être multipliée dans d’autres forêts. En attendant, Rognac constitue un site prestigieux pour la biodiversité en forêt.

Nadine PALMAERTS
Ir JacquesSTEIN

Dans Réserve Naturelles Magazine n°6 : Novembre-Décembre 1997. Publié avec l’aimable autorisation de Mademoiselle MadeleineDEFLANDRE- Conservateur.

Mademoiselle Deflandre accueille un groupe de vie féminine. Photo R.Bertrand