1077. Douxhe de la Croisette

Daniel Van Alken en collaboration avec José Schoonbroodt

Dans « De Plana vallis à Plainevaux », c’est le nom que je propose pour ce petit chantoir peu connu et qui n’a jamais eu de nom.

Il se situe au bas de la rue Croisette derrière le « nouveau » cimetière à environ 400 m au Sud. Son entonnoir est dans le bois à dix mètres de la lisière.

Ce chantoir paraît petit, il est en retrait de la ligne des douves du Val de Beauregard et de la ligne des dolines venant de la Tesnière, passant sous l’ancien cimetière de Plainevaux, le tige Piret et la Chera de Rosière. Déjà vers 1964, je soupçonnais dans ces endroits la présence d’au moins une rivière souterraine (il y en a peut-être une deuxième se dirigeant du Nord au Sud.)

La découverte fortuite du chantoir de Plainevaux village (Rue du Ruisseau, en 1994) a confirmé en 1998, le bien-fondé de cette hypothèse. (voir « Quand un ruisseau disparaît »).


L’eau occupe les différentes entrées.

Maurice Bay dans son mémoire de licence en 1968, « Le vallon de Beauregard», a effectué un travail remarquable de recherches sur ce phénomène de « douves». Il est vraiment navrant que ce chantoir ait échappé (de peu) à ses investigations car il a limité ses recherches au carrefour de la Croix Waldor.

En 1966, en traçant une carte de l’alimentation en eau de ce lieu, je m’étais aperçu que non seulement il recevait les eaux de ruissellement des Grands Champs mais aussi les eaux d’un petit bras provenant de l’endroit des sources qui sont à l’origine du ruisseau de « Trawe l’Ewe ». Malheureusement je n’ai eu connaissance des recherches de M. Bay que vers 1990 ! Bref, étant très intrigué par ce chantoir qui se trouve près de mon domicile, je m’y rendais après chaque orage important afin d’en mesurer l’évolution. Beaucoup de personnes pensaient que l’eau ressortait le long de la Chera de Rosière pour former le ruisseau du même nom. Avec un peu d’observation, il était évident que le volume de l’eau absorbé par la douve n’avait aucun rapport avec le faible ru formant le ruisseau de la Chera; c’était autre chose!

Je reprends ici des notes gribouillées par moi-même en 1966 :

« Les eaux provenant des Grands Champs, d’un ruisselet de Trawe l’Ewe et du ruissellement de la rue Croisette se réunissent en un petit lac dont le trop-plein forme un ruisseau plus ou moins important suivant l’abondance des pluies.

Pour le moment, l’eau descend dans un trou à deux mètres à gauche du ruisseau. Pendant les crues, ce trou ne suit pas et l’eau s’engouffre cinq mètres plus à droite. À certains moments la tête du rocher est visible et on peut se rendre compte qu’elle est visiblement érodée par l’eau! C’est bien la preuve que l’eau y coule ou y coulait depuis une multitude d’années.

Durant les longues périodes de pluies, les deux orifices précédents étant saturés, le niveau de l’eau montait encore et elle s’en allait à gauche du ruisseau pour s’infiltrer dans un trou que l’on pouvait confondre avec un trou de renard.

Témoignage que m’a fait en 1966, Joseph Dosseray de la rue Croisette ;

Vers 1960, après une longue période de neige abondante, il y a eu un dégel brutal accompagné de « draches » bien de chez nous. Le ruisseau était devenu un véritable torrent que le chantoir ne parvenait plus à éliminer. Le niveau de l’eau grimpait de jour en jour et bientôt un véritable lac de plusieurs mètres de profondeur emplissait tout le site du chantoir…

Chaque jour, Joseph Dosseray venait contempler le spectacle quand, tout à coup, l’eau s’est mise à bouillonner avec un bruit bizarre, un immense tourbillon s’est formé dans un grondement sourd et, en quelques minutes, tout le lac s’est vidé avec un bruit de succion!

Pendant l’aspiration de l’eau, il put voir nettement le rocher mis à nu et le trou dans lequel l’eau se ruait.

Quelques minutes plus tard, presque toutes les traces étaient effacées par le flot des boues entraînées à la suite de ce mouvement des eaux.

J’étais réellement pétrifié par la peur !

Cette relation est très intéressante mais elle doit être confrontée à d’autres.

Si un volume de plusieurs centaines de m³ d’eau a pu être « avalé » en si peu de temps, il est certain qu’une caverne importante existe sous cet endroit.

Le chantoir accumule les boues qui bientôt forment un « bouchon » qui ne laisse passer que le mince ruisseau. Pendant les crues, le passage étant trop étroit, l’eau s’accumule. Quand la pression de l’eau est suffisante, le « bouchon » cède et elle se précipite dans la caverne.

Ici commence l’énigme; où va cette eau? »

Voila où en étaient mes notes en 1966.

L’année suivante, à la fin de l’été, avec Joseph Dosseray, nous étions aux abords du chantoir, armés de pelles et de bêches. Sur une bonne vingtaine de mètres, nous avons creusé une nouvelle tranchée pour détourner le ruisseau. Nous voulions que l’eau s’engouffre au trou de gauche, celui-là même où le lac s’était vidé en 1960.

D’année en année le trou s’est agrandi, il est devenu dangereux car les alentours sont minés par l’eau. Pendant les crues l’eau continue à passer par les trois orifices et, jamais durant les vingt dernières années, je n’ai eu l’occasion de voir le trou dans le roc dégagé de sa boue pour tenter d’y pénétrer!!

Après le succès de la preuve de la communication du chantoir de Plainevaux–village avec la résurgence proche de la Venerie par José Schoonbroodt en janvier 1998, la question se reposait.

Le parcours souterrain de l’eau sur une longueur de deux kilomètres entre la rue du Ruisseau et la résurgence de la Venerie avec une dénivellation d’une centaine de mètres allait relancer l’énigme de la Douxhe de la Croisette.

L’eau de la Douxhe de la Croisette va-t-elle retrouver celle du chantoir de Plainevaux pour sortir en aval de la Venerie ou bien est-ce un autre parcours dans le massif ?

Avec José Schoonbroodt, confrontant nos données, nos mesures et nos hypothèses, nous avons décidé de tenter une coloration qui avait si bien « marché » pour le chantoir de Plainevaux village. L’hypothèse de José était celle d’une sortie de l’eau à la résurgence de Fêchereux. La mienne penchait pour une communication avec celle en aval de la Venerie.


Placement des capteurs

Prise d’échantillons

Lundi 27 décembre 1999

Reconnaissances sur le terrain et détermination des points de captages. Difficultés diverses car l’Ourthe est en crue.

Mardi 28 décembre 1999

Reconnaissance à la Douxhe de la Croisette, le ruisseau débite correctement. Placement des capteurs au charbon de bois aux résurgences. L’Ourthe est haute et le chemin presque inaccessible. Une grande partie du GR526 est sous eau, nous devons nous déplacer avec difficulté sur le versant.

Le placement des capteurs se fait à l’aide d’une foreuse à percussion autonome et nous devons sortir les cordes et les harnais car l’endroit est dangereux, les rochers glissants et l’Ourthe tumultueuse… Des échantillons témoins sont prélevés. Il fait très froid !

Mercredi 29 décembre 1999

-09h, visite le long du GR526, le passage est difficile mais possible, les eaux ont baissé de 40 cm. Le traçage est prévu pour l’après-midi. Il pleut.

-15h, injection de 136g de fluorescéine dans la Douxhe de la Croisette.

Des « visites » aux résurgences et un examen minutieux des bords de la rivière sont prévus pour les deux prochains jours.

Jeudi 30 décembre 1999

Première visite à 08 h…

Victoire.

Une des résurgences « crache » une eau réellement bien colorée, les analyses ne sont vraiment pas nécessaires ! C’est l’hypothèse de José qui est vérifiée, l’eau sort de la résurgence de Fêchereux !

Analyse de la situation du sous-sol de l’Est de la commune de Plainevaux :
En deux ans, nous avons complété nos connaissances et des certitudes en découlent.
La direction générale des cours d’eau souterrains dans le karst inférieur suit une ligne droite partant du Sud-Ouest et se dirigeant au Nord-Est.

  • Les chantoirs de Beauregard vers Monceau
  • La Douxhe de la Croisette vers Fêchereux
  • Le chantoir de Plainevaux-village vers l’aval de la Venerie

Les axes sont rigoureusement parallèles.

Répartition générale des endroits étudiés

Carte des deux liaisons souterraines mises en évidence.

Photographie partielle de la carte générale de travail de José Schoonbroodt.

Les zones foncées représentent les bancs calcaires.

Liaison du village de Plainevaux avec la résurgence occidentale de la Roche aux Faucons

  1. Chantoir de Plainevaux village
  2. Doline d’effondrement près de l’ancien cimetière
  3. Douxhe de la Croisette
  4. Chantoir de la « Triple Douve »
  5. Chantoir du « Trou de la Vache »
  6. Chantoir des « Eaux Sauvages »

Liaison de la Douxhe (Croisette) avec la résurgence orientale de la Roche aux Faucons

État des recherches actuelles (mai 2001) :

  1. Liaison souterraine Beauregard-Monceau

Plusieurs investigations ont eu lieu durant les années 1997 et 1998 par le G.R.S.C. L’activité des recherches s’est surtout concentrée sur le chantoir des « Eaux Sauvages » avec plus de quatorze séances de désobstructions (des séquences vidéo sont disponibles). Les résultats sont assez démoralisants car après chaque orage, le travail accompli était à nouveau remblayé… D’autres tentatives sont programmées.

Lors d’une prospection de routine, entre la « Triple Douve » et la Roche aux Faucons, faite par José Schoonbroodt, un trou souffleur1 a été mis en évidence. Sa situation est très proche du « Chantoir de la Vache », il sera peut-être baptisé le « Trou de la Vachette ! ».

Le G.R.S.C. a entrepris un programme de désobstruction qui est toujours en cours, espérant pouvoir ainsi accéder à la rivière souterraine qui se dirige vers le Monceau…(à suivre)

  1. Liaison souterraine Croisette-Fêchereux (Longueur : 962 m. ; Dénivellation :

140 m. )

Le 27 février 2000, le G.R.S.C. a entrepris une journée de prospection sur cet axe vers la résurgence orientale : deux points ont été retenus.

Deux journées de désobstruction leur ont été consacrées mais, sans succès.
Près de la résurgence même, un sondage vertical a été entrepris en 1988 par le C.R.S.L., une progression d’une vingtaine de mètres a été réalisée et stoppée par des blocs instables… Les conditions de travail étaient pénibles car le matériel lourd (groupes électrogènes, foreuses, tuyaux etc..) était acheminé par canots pneumatiques depuis l’autre rive ! De nouvelles mesures ont révélé que ce sondage était peut-être un peu trop à droite! Il faudra attendre les grosses gelées afin d’apprécier l’importance de l’échange calorifique et de décider du bien-fondé de nouvelles recherches.

  1. Liaison Plainevaux-village-aval de la Venerie (Longueur : 2000 m ; Dénivellation : 110 m.)

Les travaux sont en cours surtout du fait de José Schoonbroodt qui s’évertue courageusement à trouver un passage vers la résurgence occidentale.

Le travail en ce lieu est particulièrement pénible car il y a une pollution énorme ! Les rejets de mazout, d’huile de vidange et de lisier sont tellement importants que les membres de son club ont baptisé ce chantoir «Le Trou à M… » !

Le sous-sol présente des failles toujours en évolution et il n’est pas exclu qu’une autre disparition du ruisseau se produise dans les prochaines années…

Tel était le texte en date du 11 juin 2001…

Trois jours plus tard, le ruisseau disparaissait de nouveau !

En effet, c’est le 14 juin, certainement à la suite de pluies très abondantes, que l’eau a trouvé un nouveau passage un peu en amont du chantoir de Plainevaux-village. José a effectué les travaux nécessaires pour que l’eau reprenne le chemin normal !

Le 17 juin 2001, un prélèvement de macrofaune benthique a été effectué entre le pont de la Maison des Jeunes et le chantoir par M. Dethier et J.M Hubart de la Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux (Unité de Zooologie générale et appliquée)

Les résultats ne sont vraiment pas bons ! L’I.Q.B.G. est mauvais!

L’I.Q.B.G. est l’Indice de Qualité Biologique Global qui permet d’estimer la qualité biologique d’un cours d’eau. Il se calcule en comparant la liste des organismes récoltés à un tableau standard dans lequel les macro invertébrés aquatiques sont disposés des plus sensibles aux plus résistants à la pollution.

En tenant compte du nombre d’organismes présents dans l’échantillon, on obtient l’I.Q.B.G. qui est se situe de 1 à 20. Un indice élevé (19-20) se rencontre dans les cours d’eau exempts de pollution. Pour un ruisseau comparable, on pourrait s’attendre à une note de 14. L’indice du ruisseau de Plainevaux est de 6, ce qui traduit une forte pollution et l’état déplorable de l’eau. On n’y rencontre aucun organisme polluo-sensible, il n’y a que des polluo-résistants !

Cette eau peut représenter un danger pour la santé publique, surtout pour les jeunes enfants qui jouent au bord du ruisseau et qui pourraient porter les mains à la bouche !

L’analyse bactériologique n’a pas été faite mais cela ne doit pas être joli… donc pas de panique mais prudence !

Deux jours avant la rentrée scolaire de septembre, j’ai personnellement averti Monsieur Jamaigne, directeur de l’école pour qu’il prévienne les enfants.

(L’interprétation de ces analyses macrobiologiques nous apportent des renseignements précieux sur une éventuelle vie cavernicole (troglobie). D’autre prélèvements ont été fait à d’autres endroits de la commune en vue de rechercher des grottes cachées et les premiers résultats sont encourageants… à suivre !)

1 Ces prospections de routine se font par une température nettement inférieure à 0°C. L’intérieur de la grotte ou de la faille étant à une température constante d’environ 12°C, une condensation se produit à la rencontre de l’air de la grotte et de l’air ambiant. Sur le terrain, cette rencontre est matérialisée par une vapeur s’échappant de la faille.