1052. Une année au pied du clocher

Mémoires d’acolytes d’entre les deux guerres(4) Joseph Filée†

Mais pourquoi ai-je commencé ces mémoires par la fin, par l’office des défunts? Allez savoir! Je vais donc vous parler de la première cérémonie religieuse, celle du baptême. Ce sera beaucoup plus gai car tout le monde est joyeux et la fête se termine par une distribution de « ronds sucres », (on dit maintenant des dragées) souvent rangés dans des cornets ou de très jolies boîtes de formes originales bordées de dentelles en papier.

Une procession après guerre (1945) – Joseph Filée est à l’arrière plan (doc. J. Piron)
Le porteur de candélabre est J.M. Maréchal.

Nous attendons donc avec impatience la sortie de l’église de la marraine tenant le nouveau-né dans les bras et suivie du parrain. J’ai écrit nouveau-né car dans le catéchisme il est écrit que « l’Eglise défend sévèrement de retarder longtemps le baptême des enfants » ce qui oblige la famille à rejoindre l’église dans les 2 ou 3 jours de la naissance mettant ainsi la maman dans l’impossibilité de se joindre au groupe.

La cérémonie comporte toute une série d’actes. Au début, sur le seuil de l’église, le parrain demande la foi pour son filleul. Ensuite auprès des fonts baptismaux, le curé souffle sur l’enfant, trace un signe de croix, lui impose les mains, le sel, de la salive puis enfin l’eau et le saint chrême.

Pour l’eau, il faut savoir qu’il s’agit « d’utiliser de l’eau naturelle, douce ou salée, chaude ou froide, minérale ou non (par ex. de la neige ou de la glace, fondue bien entendu) mais pas de l’eau de Cologne« . (Cfr Missel vespéral romain p.1559) .

Mais pourquoi toutes ces précisions puisque cette eau était prélevée dans le baptistère qui ne contient que de l’eau bénie le samedi saint, donc naturellement de l’eau naturelle!

Après cette cérémonie trop longue à notre avis, le cortège sort de l’église et nous nous précipitons sur les pièces (les cennes) que le parrain lance et tout particulièrement sur la pièce de 5 centimes ornée d’une étoile et agrémentée d’un ruban, bleu pour les filles et rose pour les garçons car elle porte bonheur, dit-on! Malheur au parrain imprévoyant qui n’a pas bien rempli ses poches de « clouches« . Il se fait alors huer aux cris de « Pèlé parrain« . Le parrain est souvent généreux mais il prend parfois un malin plaisir à lancer ses poignées de piécettes vers une flaque d’eau où nous n’hésitons pas à nous lancer, bousculant les moins rapides qui s’étalent dans la boue sous le rire des autres. Pour les mariages, c’est moins gai car notre aide est rarement sollicitée sauf si l’épousée est la fille d’un notable de la paroisse : Monsieur le Bourgmestre, Monsieur le Baron, ou le Président de l’une ou l’autre association. Dans ce cas on convoque le ban et l’arrière-ban des acolytes et même des enfants des écoles. A propos de ces « bans », il faut savoir que du haut de la chaire de vérité, Monsieur le Curé annonce les mariages les trois dimanches qui précèdent l’événement.

Cette publication se termine par ces mots : « si quelqu’un connaît un empêchement légitime à ce mariage qu’il le dise ou se taise à jamais« . Parfois on savait que le père officiel n’était pas le père naturel car quelques années plutôt…Mais « que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. » (St Jean chap. 8, verset 7) Donc, les futurs époux n’étaient peut-être pas aussi étrangers qu’on aurait pu le croire, et que donc … Mais évitons les cancans et sur ce sujet, moi aussi, je me tais le premier.

Ceci ne nous empêche pas, avec l’accord de notre instituteur lui aussi intéressé, de jeter un coup d’œil à la noce qui sort de la salle communale jouxtant l’école, sur ces beaux messieurs et ces belles dames.

Le marié porte parfois une « buse » et un habit, on disait : « pete-aux-fesses » ( le contraire du « pete-en-l’air » qui est court), la mariée, un grand chapeau et une ombrelle.

Quelquefois ils montent dans une calèche! Mais le plus souvent, le marié a mis son habit du dimanche et la mariée porte une robe … noire. Il m’est arrivé l’une ou l’autre fois d’entendre le soir un charivari de poêles et de poêlons: c’est qu' »on-z-aveu pêlté l’vi Houbêrt qui s’va r’marier! ». Moi, à l’époque, je n’en comprenais pas la raison qui consistait à huer à grand bruit un mariage mal assorti.

Mais alors que je voulais vous parler du déroulement d’une année liturgique, me voilà parti à vous conter celui de l’une ou l’autre cérémonie. Et pourtant avant d’en revenir à nos moutons et à notre calendrier liturgique, permettez-moi une fois encore une digression. Je suis incorrigible!

Les offices du dimanche sont agréables et le nombre d’acolytes assez élevé, chacun ayant sa charge selon son âge. Ainsi vous devenez acolyte dès 6 ou 7 ans (toujours ce sacro-saint âge de raison ou de discernement), de suite après avoir fait votre première communion appelée aussi « la petite communion » ou encore « la communion privée« !.

Aux toutes grandes cérémonies, on peut faire appel à de plus jeunes enfants qui ont un rôle de figurants ou à de plus grands, des gars de 14 ou 15 ans, des anciens qui portent les encensoirs ou les bannières de procession. A ces occasions les filles aussi ont un rôle à jouer (enfin!), les communiantes de l’année peuvent alors revêtir leur belle robe blanche et porter les petites bannières mais de cela je vous parlerai plus tard.

Enfants de chœur – Archives du MVW.

Donc vous commencez par être petit acolyte et vous êtes écolé par les grands qui vous apprennent votre service « sur le tas ». Cela amène parfois des situations cocasses, si on peut dire.

Un jour, alors qu’on attendait la visite de Monseigneur l’Evêque, un grand avait fait la leçon à son frère cadet : il devait se tenir bien droit, les mains jointes, s’agenouiller devant le prélat, lui répondre très poliment.

Il se fait que Monseigneur ému devant la tenue exemplaire du petit dernier s’arrêta devant lui pour le saluer tout simplement. Surpris, notre garçon répondit d’une voix claire: « Bonjour Monsieur l’Abbé« !.

La gaffe quoi, qui fit sourire Monseigneur mais qui mit en boule l’aîné qui s’arrangea après la cérémonie pour faire entrer dans la petite cervelle une leçon de protocole.


Les vêpres des communions vers 1955-1956. A l’avant plan les deux communiantes sont : Nicole DESTEXHE et Yvette BRISSA.

Aux grand-messes chantées, les charges se répartissent comme suit: au bas de l’échelle des valeurs vous avez le porteur de navette, cette petite boîte contenant l’encens. Sur un geste du thuriféraire le plus haut gradé (!), on soulève le demi couvercle du récipient et on s’approche de Monsieur le Curé qui prélève 2 ou 3 cuillerées de la précieuse résine dont il saupoudre les braises rouges de l’encensoir qui ont été activées précédemment par le souffle vigoureux du grand acolyte. Attention à celui qui a oublié, comme les vierges folles, d’entretenir le feu qui serait parti sans bruit, il est certain d’encourir les foudres de son supérieur. La fumée parfumée qui s’élève n’est pas appréciée de tous: j’ai connu un membre de la famille qui s’évanouissait à chaque fois ce qui l’a dispensé définitivement d’être de la confrérie des acolytes.

Au deuxième échelon, vous avez l’acolyte gauche, non pas maladroit mais celui dont la place au pied de l’autel se situe à gauche; son rôle consiste surtout à être le pendant de celui de droite et à accomplir des tâches mineures : porter la burette à eau alors que le collègue porte le vin, présenter le manuterge au prêtre après que votre voisin ait versé l’eau sur les doigts de l’officiant au moment du « lavabo », soulever la chasuble avec l’autre acolyte pendant qu’il agite la sonnette au moment de la consécration.

Porter également le voile du calice avec un subtil croisement des bras (pour présenter le beau côté devant lui) alors que l’autre a la responsabilité du transport du missel et de son lutrin qui sont encombrants et bien lourds. Il est vrai que ce transport n’est pas très facile et que bien souvent c’est le moment choisi par le nœud du cordon de votre jupe pour vous lâcher et vous empêtrer les pieds.

A propos des burettes, voici encore une anecdote: vous savez, je suppose, que nous devons, à un certain moment de la messe, verser de l’eau sur les doigts de Monsieur le Curé pendant qu’il les tient au dessus du calice et c’est avec un malicieux plaisir que nous tentons de vider le contenu en basculant rapidement la burette. Mais Monsieur le Curé qui a été acolyte avant nous, relève brusquement les mains mettant ainsi fin à notre petit jeu.


Les vêpres des communions vers 1955-1956. A l’avant plan les deux communiantes sont : Nicole DESTEXHE et Yvette BRISSA.

Le rôle ultime dans la hiérarchie des acolytes est celui de thuriféraire ou porteur du feu contenu dans l’encensoir.

Encensoir Louis XVI de 1793-1794. Eglise Saint Jean.

Vu la longueur des chaînes qui soutiennent le récipient où les braises se consument, il faut être assez grand pour balancer l’engin sans toucher le sol et pouvoir le présenter au prêtre pour qu’il y dépose l’encens. Le thuriféraire doit également être capable d’encenser le prêtre en faisant sonner les chaînes contre le bol. Ces grands aiment épater les petits en faisant effectuer, dans la sacristie, un tour complet à l’ustensile. Je connais personnellement un de ces aînés qui s’y est si mal pris pour cette manœuvre que l’encensoir, ayant heurté le sol, s’est vidé de tout son contenu rougeoyant et fumant sur le carrelage dans un bruit de fin du monde. Ceci lui valut une fameuse peur et … la colère de Monsieur le Curé!

Jouets en étain dits : « jeu de messe ». Liège – Collection MVW

Le rôle des acolytes consiste aussi à débarrasser la crédence, petite niche pratiquée dans le mur et où sont déposés le plateau avec les burettes et le manuterge; éteindre les cierges avec l’éteignoir, longue canne coiffé d’un petit chapeau pointu et autour de laquelle est enroulé du rat de cave. Il faut aussi déployer sur l’autel où sont couchés les canons (prières ordinaires de la messe) un long drap le protégeant de la poussière. Pour terminer, on rabat la nappe du banc de communion, cette toile que les fidèles doivent tendre entre le pouce et l’index de leurs mains écartées ce qui forme une espèce de petite nappe sous le menton pour y recevoir éventuellement l’hostie victime d’un faux mouvement du communiant.

Et si, malgré toutes ces précautions, cette hostie vient à tomber sur le sol? Dans ce cas, Monsieur le Curé est seul habilité à la ramasser. Puis il dépose un petit linge sur l’endroit de la chute lequel sera minutieusement nettoyé après l’office. Une seule exception à cette règle: lorsque l’hostie tombe dans le décolleté d’une dame, … celle-ci peut la récupérer et la consommer. Ben voyons!! Tout ceci est clairement expliqué dans un précis de casuistique rédigé … en latin.

Les filles ne comprennent pas pourquoi ces menus services ne peuvent leur être confiés : le rangement est une affaire de filles, non? Alors elles nous envient un peu.

Avant de quitter ce chapitre, je ne résiste pas au plaisir de vous donner la réponse du catéchisme sur la manière de se placer au banc de communion. Elle se trouve p. 105, question 15 précédée d’une + : »Je me mettrai à genoux et j’étendrai la nappe sur les mains; puis, tenant les yeux baissés, j’ouvrirai la bouche en avançant la langue sur la lèvre inférieure« . On ne peut être plus clair!