0351. Joseph FILEE raconte NEUVILLE …

Un siècle d’histoire anecdotique de la Neuville-en-Condroz de 1840 à 1940. Dessins Renaud BERTRAND

En repartant de la route d’Yvoz, dans le parc actuel du Pré Mohons, Nobie tient une boucherie. En traversant la route d’Engis, vous avez la Poste qui logera plus tard un coiffeur. C’est d’ici que le facteur venant d’Engis sonne de sa trompe, celle qui est l’emblème des PTT, pour annoncer qu’il est là; chacun arrive, l’un pour prendre son courrier, un autre pour acheter des timbres, un troisième repart les mains vides, il n’y a pas de courrier pour lui.

Après un jardin en surplomb et d’un seul tenant, le café Goffart. A ce propos, le vieux Camille a disparu pendant la première guerre et, sans confirmation de son décès, les listes électorales ont conservé son nom pendant bien des années. Son fils Camille a repris le commerce et comme il est mécanicien, il a ouvert un magasin de motos et de pièces de rechange pour les FN et les Gillet ainsi qu’un atelier de réparations (Papa avait,lui, une Wanderrer). De plus, c’est de chez lui qu’on peut aller téléphoner et moyennant le prix d’une communication téléphonique, Marie, la fille du vieux Camille se charge de porter à domicile le contenu de vos messages. C’est un service public pour lequel Camille a gratuitement le téléphone chez lui.


En ce temps-là, le téléphone est chose rare: il y en a quelques uns dans le village: Monsieur le Bourgmestre a le n9, Monsieur le Notaire, le n11 qu’il a conservé puisque son n actuel est le 041.71 40 11, (on en a fait du chemin depuis, 9 chiffres + tous ceux de l’international !!)… Pour appeler la Centrale de Rotheux, il faut tourner la manivelle et alors le standardiste se signale par son n ( par exemple: « Rotheux 2 »). Celui-ci connaît par coeur tous les numéros et c’est ainsi qu’on peut lui dire: « Dis, Edouard,(car nous les connaissons nous aussi ceux de Rotheux) tu veux bien me passer le Docteur Jacob?  » Du coup Edouard vous demande des nouvelles de votre santé et vous vous sentez ainsi réconforté.

Après l’épicerie Rome et le café Lacroix…

la CAV … la salle Muraille-Lecocq.

Il rend de nombreux services aux habitants de Neuville, Rotheux, Plainevaux, Ehein-haut (ceci est Neupré actuel) et Saint-Séverin ainsi qu’une partie de Nandrin; il a en mémoire tous les numéros de son secteur (139 au début) et même quelques numéros à la côte belge ou à Paris: parfois ça rend service.

A l’époque, pour être rentable, (eh oui, ça non plus ce n’est pas nouveau) il fallait assurer au moins 30 appels à la minute : Edouard a été contrôlé jusqu’à plus de 80 : c’est le contrôleur, la sévère Madame Mignolet, qui n’a pas été assez rapide pour les noter tous!. Et c’est un véritable service social: c’est ainsi qu’une personne du Haleu sur Nandrin qui, n’ayant pas pu aller à l’école primaire et ne sachant donc pas lire les chiffres, a fait reprendre son appareil par la Régie le jour où le service a été automatisé; elle s’en est excusée auprès du standardiste.

Mais je digresse une fois de plus. Reprenons notre visite. Après l’épicerie Rome et le café Lacroix, dépôt des colis du tram, une petite cour suivie d’un nouveau bloc de deux maisons. Tout d’abord la CAV (Centrale d’Achat et de Vente et non … criminel,assassin,voleur comme disent les gamins). Elle est tenue par les Demoiselles Fouarge ensuite par Erselie puis par Hélène et sa maman Poldine. On y donne des ristournes en fin d’année d’après le montant de vos achats inscrits sur un carnet; cette somme vous permet d’avoir en contre valeur, de l’aunage en stock : draps, nappes, essuie,etc….

Tout à côté, la salle Muraille-Lecocq, avec café, auberge, épicerie, tabac et salle de réunions pour les colombophiles, l’harmonie, la dramatique, les combattants, et j’en passe; salle reprise plus tard par Eugène. Celui-ci qui assure un service de messagerie, laisse parfois à son cheval le soin de le ramener à la maison,sur le retour, il prend ainsi un accompte de sommeil sur ses longues soirées à venir. Je ne vous conseille pas cette méthode car je ne crois pas que votre voiture soit à même de vous ramener seule chez vous.

La « Salle des Variétés Muraille » est le centre des grandes réunions des gens du village. On y organise des bals au profit du Bureau des Bienfaisances pour le prix de 2 frs pour les dames. La musique est souvent assurée par l’accordéon de Fernand. Celui-ci, aveugle, sait faire valser les filles aux bras des garçons pour 25 cts, la danse au cachet, comme on dit. Pour se rendre aux bals, comme il n’y voyait rien, un de ses amis musiciens le chargeait sur son cadre. Pendant la semaine, Camille n’est pas inactif: c’est un très bon vannier qui répare les chaises cannées et fabrique des mannes et des paniers d’osier.

Parfois il y a des spectacles de théâtre donnés par des comédiens amateurs du village, des concours de chiens; il y a un jeu de quilles couvert avec une belle « pire di djeu d’beyes« , le quillier et ses 9 énormes quilles en bois cerclées de fer qui doivent être renversées si possible d’un seul coup par la lourde boule percée de 4 trous pour y placer les doigts à l’exception de l’auriculaire. A la distribution des prix des écoles, les enfants en groupes mixtes (mon Dieu, quelle affaire, on pourra croiser les filles dans les coulisses) les élèves donc, tantôt en français, tantôt en wallon, jouent à bureau fermé, les pièces souvent inédites créées par leur instituteur. Il arrive même qu’on doive bisser les séances. De plus pour alimenter la caisse de la coopérative scolaire pour l’achat de matériel didactique, on imite « Radio-Seraing » de Henrion à Strivay: moyennant une petite somme (1 fr je crois) les commerçants peuvent faire lire des annonces publicitaires devant le public et à l’époque, ils étaient nombreux à user du système (comme vous voyez encore ici, la Télé n’a rien inventé).

L’hiver, la salle est chauffée par un gros poêle à colonne qui est aussi haut que moi car elle est aussi le local d’ autres associations. Le café est l’un des 20 débits de boissons alcoolisées mais aussi l’un des 10 débits de tabac. C’est là sans doute que l’un des 17 détendeurs de chevaux, dont Monsieur Gillet qui en possédait 9 sur les 50 recensés en 1883, vient boire la goutte dans un petit plat-cul pour faire affaire avec le marchand de vaches et toper dans les mains pour conclure un marché ou avec Adrien, le maçon, pour une réparation urgente dans une étable. Et bien entrons-y, je vous offre un verre, ça nous reposera un peu car la promenade n’est pas finie..