1335. Un beau « dimanche à la campagne»

Daniel Van Alken

C’était le but des « voyeurs» !

Rassurez-vous, le carré blanc est inutile!

C’est le nom le plus approprié que j’ai trouvé pour qualifier certains automobilistes du dimanche!

Le phénomène a commencé, je pense, au tout début des années cinquante quand un bon nombre de sérésiens ont eu la possibilité de s’acheter (ou de se racheter) une voiture après les années de guerre.

Pendant près de deux ans, vers onze heures du matin, on les voyait venir s’installer…au carrefour de la route du Condroz!

On sortait la table et les chaises pliantes et on s’installait confortablement en famille pour un pique-nique champêtre bercé par le bruit rageur des moteurs et l’enivrant parfum d’essence agrémenté d’un soupçon d’huile dégagé par les pots d’échappement!

Il fallait avoir une bonne place pour bien voir… car les beaux dimanches, il n’y avait pas moins d’une vingtaine d’automobiles éparpillées autour du carrefour !

Bientôt, les verres et la bouteille d’apéritif (Dubonnet était à la mode à l’époque) faisaient leur apparition et on sirotait son verre, l’oeil rivé à la route.

Mais que regardaient-ils ? Il n’y avait pas de course cycliste prévue…

Le reste du repas se faisait joyeusement en jetant de temps en temps un coup d’oeil furtif vers le ruban d’asphalte.

Ils attendaient…

Le repas terminé, les enfants jouaient le long du bois, les femmes tricotaient et les hommes se rassemblaient pour une partie de pétanque ou de cartes mais tout le monde regardait…les autos pétaradantes, à qui mieux mieux, qui passaient.

Mais enfin, qu’attendaient-ils?

Aujourd’hui, cela peut nous sembler incroyable mais c’était bien la réalité de cette époque, ils attendaient tout simplement un… accident! Comme ce carrefour a toujours été dangereux, c’était l’endroit rêvé pour voir un « bel» accident!

Quand enfin, leur attente était récompensée par le crissement des pneus et le son mélodieux de la tôle froissée, il fallait les voir se précipiter…

L’un était armé d’un « box Kodak» afin de prouver qu’il se trouvait au bon endroit, des femmes jetaient les bras en l’air, d’autres accouraient afin de voir les véhicules de plus près et les toucher.

Heureusement, souvent, il n’y avait que des dégâts matériels.

On plaignait hypocritement les conducteurs, on les consolait en leur versant un petit coup de « péquêt » et on attendait les gendarmes qu’un « spécialiste» de l’endroit avait prévenu par le téléphone de chez Morelle, le premier café, à droite, en descendant la Grand-Route. On avait le temps, on rediscutait le coup et même on le rebuvait car les gendarmes venaient… a vélo.

Les représentants de l’ordre étant sur place, les discussions allaient bon train car tout le monde avait quelque chose à dire et …à faire noter!

…c’était pour les «voyeurs» un très « beau dimanche à la campagne» !