0427. LA PLACE SAINT LAMBERT

Dans le cadre des conférences organisées par « Mémoire de Neupré« , nous avons eu l’occasion et le plaisir d’accueillir Jean-Marc Léotard, archéologue provincial à la Région wallonne et responsable des célèbres fouilles de la Place Saint-Lambert à Liège.


Liège, le chantier de la Place Saint-lambert, 1995. Au pied du palais des Princes-Evêques on découvre de gauche à droite – la sortie du tunel amenant les bus sur la place – l’échancrure correspondant à l’entrée de l’archéoforum – et la terrasse en demi cercle protégeant la succession des choeurs occidentaux de la cathédrale.
Photo J-m. Léotard – Reproduction R. B.

En guise de préambule à ce résumé, citons Jacques Stiennon qui déclarait dans l’introduction du 4ème Congrès de l’Association des Cercles Francophones d’Histoire et d’Archéologie de Belgique: « ces 25 années ont été dominées par un événement qui se déroule encore aujourd’hui devant nous sous la forme d’une saga aux épisodes variés, fertiles en rebondissements, à la fois irritante et passionnante (…).

Tout le monde a compris que je fais allusion à l’aménagement de la place Saint-Lambert et à l’intégration des vestiges archéologiques dans une conception d’architecture urbaine résolument contemporaine« 1.

Pour illustrer la difficulté du travail de l’archéologue dans ces conditions, citons alors Jean-Marc Léotard: « Dans ce contexte si particulier, la mission de l’archéologue fut souvent périlleuse. Il ne peut oublier cette tension extrême entourant de ses gestes rapides: ces gestes étant à la fois à l’origine de la destruction et de la connaissance formaient dans ce cadre une espèce de rituel porté à la vue et au jugement d’une foule de curieux assimilables à des ouailles. La médiatisation de cet événement nouveau amplifia encore le phénomène, mais elle permit également de faire partager à un très grand nombre la qualité et la densité de nos découvertes: il convient sans doute d’en souligner les plus novatrices« 2.

Et c’est ce que nous avons eu l’occasion de découvrir lors de cette passionnante soirée du 12 mars.

Dès le VIème millénaire avant notre ère, de vastes campements mésolithiques se répartissent sur les éminences dégagées par les bras de la Légia. Des restes d’habitat, des foyers et des ateliers en témoignent et révèlent une structuration de l’espace utilisé. une zone d’ateliers et d’abattoirs se situe au Nord alors qu’au Sud se trouve une zone d’habitat.

Après l’abandon du site par ses derniers chasseurs, les premiers agriculteurs néolithiques s’implantent. Localement, il semble même qu’une forme de contemporanéité ait pu exister si l’on en juge par les vestiges des deux occupations.

« Le noyau du bâtiment romain semble être circonscrit. Allongé selon un axe nord-sud, il se trouvait coincé entre la Légia, la colline et les berges mosanes. Bien que certaines annexes aient été localisées à l’est et au sud du bâtiment principal, la plupart sont mal connues. Les invasions et destructions des IIIème et IVème siècles ne viendront pas à bout de la villa comme en témoignent la distribution et l’orientation des premières implantations médiévales à sa périphérie« 3.

A partir du VIIème siècle, l’habitat se diversifie. Dans un ouvrage récent, l’historien liégeois Jean-Louis Kupper décrit ce que devait être le vicus mérovingien où Lambert, évêque de Tongres-Maestricht a établi sa seconde résidence. Il devait s’agir d’ « un village blotti au fond d’une vallée où serpentent et s’entrecroisent les méandres de la Meuse et de l’Ourthe. Une petite agglomération traversée par les bras de la Légia et entourées de massifs boisés qui, lentement , se dégradent: la fôret, réserve de bois et lieu de parcage pour les porcs, cédant progressivement la place aux herbages, aux champs et aux vignes…« .

Reprenons le récit de Jean-Marc Léotard, « D’après les textes, les reliques de Lambert, assassiné sur le site vers 705 sont, dans un premier temps, déposées à Maestricht et, ensuite, ramenées à Liège sur le lieu du drame. Cette proposition se trouve étayée par la construction, au début du VIIIème siècle, à l’emplacement du bâtiment romain, d’une chapelle orientée vers l’ouest, peut-être le martyrium où furent déposées les reliques du Saint. Probablement à la fin du VIIIème siècle, un bâtiment plus important le remplace. Il est flanqué à l’ouest d’un épais chevet plat et plusieurs éléments semblent indiquer un second choeur à l’ouest. Cet édifice est peut-être la première cathédrale correspondant au transfert, à cette époque, du siège de l’évêché, de Maestricht à Liège. Le cloître occidental et le baptistère sont alors agrandis« .

Deux faces d’un chapiteau daté de la seconde moitié du 12e s. Il devait surmonter un des piliers séparant la nef de la cathédrale de son bas-côté. Photo Y. Hanlet – Reproduction R.B.

C’est au Xème siècle que Notger fait construire une vaste cathédrale; de style ottonien. Elle est flanquée de cloîtres à ses extrémités. Le changement fondamental réside dans l’orientation de l’ensemble. C’est une rupture définitive avec le passé. « Le baptistère et le vicus sont éliminés au profit d’une place préfigurant le « vieux marché ». La fonction baptismale est reportée au sud de la cathédrale, dans l’église Notre-Dame« .

« Dès la deuxième moitié du XIIème siècle, le cloître occidental et la cathédrale elle-même subissent d’importants travaux. Les nombreux éléments de supports, bases, colonnes, chapiteaux, dernièrement découverts, concluent à leur remplacement dans cloître, cryptes et nefs. Au-delà de leur plastique remarquable, on note la présence insolite de chapiteaux de piliers décorés. Ces expressions fabuleuses de l’art roman n’ont guère le temps d’impressionner. L’incendie de 1185 provoque leur démontage et leur implantation, sous forme de reliques, dans les massifs de fondation gothique. En effet, à la fin du Moyen Age, on habille l’ensemble du complexe en style gothique. Les tours en pierre de sable à l’ouest, le choeur de Sainte-Marie, la « grande tour », les chapelles latérales, … s’établissent sur le squelette ottonien toujours appréhendable au travers de son double transept et du mode d’accès à la cathédrale.

De nombreux fragments de sculptures gothiques nous sont parvenus.

Réalisés dans une fragile pierre de sable, les rares exemplaires bien conservés portent des traces de polychromie.

Durant les Temps modernes enfin, l’habitat se développe au contact du complexe cathédral. L’étude des sous-sols des maisons canoniales bordant le « vieux marché », des puits, caves et fosses d’aisance ont fourni un riche matériel archéologique« .

Lavis de Vincent TAHAN, 1802 – Musée Curtius.

Depuis 1793, année du début de la destruction de la cathédrale, l’eau a beaucoup coulé (et l’encre aussi!) sous les ponts de la Meuse… Espérons que le réveil de la mémoire suscité par cette redécouverte du coeur historique de Liège ne demeurera pas lettre morte.

Rendons hommage au travail titanesque et complexe des archéologues et, malgré la destruction irrémédiable de nombreux vestiges, acceptons l’augure d’un futur désormais respectueux du passé. Pourtant, comme le remarque avec pertinence Jean-Marc Léotard, « le lieu qui engendra la cité et la légende de son saint fondateur est à nouveau englobé dans un immense reliquaire (…), un nouvel écrin … de béton!« .

Alain-Gérard KRUPA

1     STIENNON,Jacques,Vingt-cinq ans de recherches sur l’histoire et l’archéologie liégeoises, in Congrès de Liège, 4e Congrès de l’Association des Cercles Francophones d’Histoire et d’Archéologie de Belgique, Liège,1994,P.6

2     LEOTARD,Jean-Marc,HOFFSUMMER-BOSSON,Anne,La place Saint-Lambert à Liège.Bilan d’un ultime sauvetage archéologique in Les Echos du Patrimoine,n29,1996,pp.1-3.

3     Ibidem,p.2