0890. Promenade dans le bois de NEUVILLE

Illustration Renaud Bertrand

Lors de la journée du patrimoine 1999, nous avons eu l’occasion de parcourir la promenade « découverte de Neuville ».

Cette promenade avec celles de Rotheux et de Plainevaux devraient constituer un ensemble d’itinéraires permettant la découverte de notre entité. C’est à la demande de l’Echevinat de la culture que Mémoire de Neupré à collaboré au tracé de ces itinéraires. Pour ce travail nous avons pu bénéficier de la collaboration et du savoir faire de Françoise Lempereur.

Le travail n’est pas terminé, il appartient maintenant à la commune d’obtenir certaines autorisations de passage, de restaurer des chemins vicinaux (identification et nettoyage) de baliser ces 3 circuits et enfin d’en faire la promotion.

Nous vous proposons de découvrir un tronçon (environ 5 kms) de la promenade de Neuville, avec le commentaire de Monsieur Burghartz, garde forestier.

Départ de la promenade à Neuville en Condroz, place des Cèdres. Nous prenons rue des Genets, avant de rejoindre l’allée du Chêne Madame nous prenons à droite le coupe feu de la ligne haute tension.

1. On aborde la promenade par le long coupe-feu de la ligne à haute tension. Paradoxalement, cette zone de mise en lumière présente un réel intérêt écologique, par la diversité des espèces végétales herbacées et buissonneuses.La faune est celle des grandes clairières forestières mais aussi aire de chasse pour les rapaces (diurnes et nocturnes): Buse, autour, faucon crécerelle, chouette hulotte, et lieu de gagnage pour le chevreuil.

2. Après avoir parcouru 600 mètres sous la ligne haute-tension (après le restaurant du Chêne Madame) , on se dirige vers l’Est en pénétrant par une drève bordée de hêtres qui nous dirige vers le cœur du Bois de Neuville. Sur la droite, remarquons quelques beaux baliveaux de chênes pédonculés sur le sol humide (sol hydromorphe à tendance très humide en hiver et au printemps). Ce type de sol semble convenir à la chênaie pédonculée en association avec le bouleau pubescent et l’aulne glutineux.

Pour les amateurs de plantes herbacées, notons ici présence sous les chênes de la houlque molle, la canche cespiteuse, le galéopsis tétrahit, la fougère femelle, le dryoptéris des chartreux.

Notons aussi que +/- 65% des sols du bois de Neuville sont du type hydromorphe (formule pédologique : Aha et Aia)

3. Cette forêt a subi un profond bouleversement depuis 1946. Nous remarquerons tout au long de cette balade sylvestre les nombreux peuplements de résineux plantés entre 1946 et 1951. Ceux-ci sont principalement composés d’épicéas communs, d’épicéas de sitka, de pins sylvestres et de mélèzes du Japon.

L’objectif des gestionnaires de l’époque était exclusivement économique. C’est également ainsi que nous remarquerons que les futaies feuillues ont été largement « écrémées » de leurs plus beaux arbres (chênes, hêtres, érables et frênes), dont il subsiste actuellement un taillis sous futaie très relictuel composé de bouleaux, sorbiers, saules marsault, peupliers tremples, mais dont la réserve est très pauvre et clairsemée.

4. Le réseau hydrographique est typique de ce plateau sommital qui s’incline légèrement puis de façon de plus en plus prononcée vers le Nord-Est et la vallée de la Meuse.

Les quelques rus que nous traversons sont pour la plupart du type alternatif, c’est-à-dire collectant les eaux pluviales et ayant un écoulement régulier en hiver et au printemps, mais à sec en été et au début de l’automne. Ces petits ruisseaux confluent avec les ruisseaux de la Neuville et du Ry Chéra, ces derniers étant

affluents du ruisseau du Bois de l’Abbaye jusqu’à sa confluence avec la Meuse à Seraing (au Val Saint-Lambert). Les petites dépressions creusées par ces rus sont parfois colonisées par l’aulne glutineux et présente un faciès forestier particulièrement intéressant que nous appellerons l’aulnaie galerie.

En effet, l’aulne glutineux est l’essence la mieux adaptée dans les sols gorgés d’eau, même stagnante. C’est ainsi que se forment ces remarquables aulnaies galerie de plateau et leur flore typique composée de carex remota, carex pendula, cardamine amère, jonc commun, valériane dioïque, prèle des bois …

5. A l’extrême Est de la promenade, nous aboutissons à une petite vallée creusée par le ruisseau du Ry de Chéra. Rappelons que ce ruisseau est la limite entre la forêt indivisée de la Vecquée et le bois de Neuville. Cette vallée est intéressante car elle constitue la seule jonction locale naturelle entre leplateau de Neuville Vecquée et la vallée de la Meuse. C’est par celle-ci que transitent le Martin pêcheur et le cincle plongeur. Ce couloir est un élément essentiel dans le maillage écologique de notre région. les deux versants de cette vallée mériteraient un statut particulier de conservation

Avant de sortir du Vallon, remarquons la différence de faciès forestier, car c’est ici que la compétition entre le chêne sessile et lehêtre pourrait avoir lieu si l’homme n’était intervenu. « chênaie sessiliflore mixte à hêtre, sur sol pentu pierreux (grès et schiste) et mieux drainé, nous y rencontrons la luzule blanche, la luzule des bois, la germandrée scorodoîne, la fougère aigle, le bouleau verruqueux, le sorbier, le chèvrefeuille …

6. Tournant à gauche vers l’Ouest, nous entamons le chemin de la Rondelle ou Allée verte, long chemin rectiligne de 1400 mètres jusqu’au lieu dit « LiRondelle ».

Cette allée est bordée de peuplements résineux (pessières de 1946 à 1948) sont en cours d’exploitation car ces épicéas sont arrivés à « maturité commerciale ». Les gestionnaires actuels font replanter ces larges espaces mis à blanc soit en épicéas ( en mélange avec du douglas ), soit en hêtres.

D’autres zones sont transformées en peupleraies (hélas mal adaptées car eau stagnante … ). Toutefois, quelques plantations de chênes indigènes sont envisagées dans le secteur Sud-Ouest du bois de Neuville.

Les quelques rus que nous traversons…

FICHE TECHNIQUE.
Bois de Cockerill – Neuville en Condroz
Situé sur la commune de Neupré
Superficie: 300ha
Altitude : de 200m à 260m
Territoire naturel de l’Ardenne condrusienne
Le bois de Cockerill est délimité :
Au nord : par un bois privé dit bois Galand ;
A l’est : par l’indivision Vecquée (Seraing), la limite entre les deux propriétés est matérialisée par le ruisseau du Ry de Chera ;
A l’ouest : par la drève de Rotheux, axe rectiligne S.s.e /N.n.o et le quartier résidentiel du Rognac;
Au sud : par la zone urbanisée de Neuville Domaine dont une école communale et un complexe sportif.
Géologie:
Socle schisto-gréseux recouvert de limon nivéo-éolien de l’époque post-glacière
Pédologie : groupe des sols bruns acides (Aia, Aha, Ada, Aca, Aba..). Tout comme dans la Vecquée voisine, il y a dans le bois de la Neuville une importante proportion de sols hydromorphes.


Vers le Ry Chéra
Groupements végétaux:
Cette portion de forêt a subi un profond bouleversement à partir de 1946, époque de l’enrésinement (1946 à 1951).
Toutefois, on peut y identifier des associations végétales similaires à celles que l’on rencontre dans la Vecquée : soit les associations découlant de la forêt naturelle du Luzulo-fagetum et ses sous associations :


– Hêtraie acidophile à luzule ;
– Chênaie- charmaie à stellaire ;
– Chênaie sessiliflore à molinie ;
– Chênaie pédonculée à bouleau ;
Chênaie mixte à hêtre ;
– L’aulnaie riveraine à carex remota et cardamine amara ;
L’aulnaie oligotrophe à sphaigne(zones de suitements) ;


Survol historique :
Neuville en Condroz dépendait jadis de la cour féodale d’Hermalle-sous-Huy.
Du 13 siècle au 16 siècle, la seigneurie était propriété d’une branche de la famille
Warfusée désignée sous le nom  » Marteau de la Neuville « .
La famille de Warnant succède jusqu’en 1725 au Marteau de la Neuville.
L’héritage revient alors au Comte de Lannoy. Cette famille possédera le château de la Neuville et les bois situés entre le bois de la Vecquée et ceux de l’Abbaye du Val-saint-Lambert.


En 1856, le dernier des de Lannoy décédant sans enfant lègue ses biens à son épouse Marie-Amélie, Baronne de Tornaco.
Cette nouvelle famille conservera le domaine 90 ans jusqu’au décès du Baron F.de Tornaco en 1943. Le domaine fut vendu et scindé en plusieurs lots.
Des textes de cette époque décrivent le bois de la Neuville comme étant un havre de paix pour la faune et un milieu naturel exceptionnel qui aurait peu subi les pressions anthropiques.


Notons que l’état belge, à cette époque, a probablement laissé échapper une occasion particulièrement propice de rattacher ce massif à celui, contigu, de l’indivision Vecquée.
La forêt de la Neuville dont la superficie était en 1943 de 787ha, allant du château du même nom (à l’ouest) à l’indivision Vecquée (à l’est).
Elle sera divisée en deux parties soit 428ha de la partie ouest vendue en 1943 à la S.A.Technimo qui la revendit à Michiels-Mariens.
Les 359ha de la partie située à l’est furent vendus à la compagnie immobilière condrusienne. Cette dernière chargea le sieur Michiels de l’exploitation des richesses forestières !

Le chêne « Madame » (Collection Maggy Bihet)


C’est à partir de 1946 que l’ensemble de la Neuville va subir la plus forte spéculation de ses promoteurs par l’exploitation en coupes  » réglées  » de vastes secteurs et l’écrémage systématique des plus beaux chênes.
Cette portion de forêt (359ha) passa en 1948 aux mains de la société auxiliaire liégeoise de construction et d’urbanisme (SALIDUR) filiale de la SA d’Ougrée-Marihaye jusqu’à sa fusion le 27 juin 1955 avec la SA John Cockerill. Celle-ci devint donc propriétaire du bois de la Neuville.

Actuellement la SA Cockerill /Sambre fait l’objet de changement de direction et d’actionnaires. Dans ce contexte, qui peut présager de ce qu’il adviendra de ces 300ha de la forêt de la Neuville ?

Est-il nécessaire de rappeler l’importance au niveau paysager et du maillage écologique des reliquats forestiers de la région liégeoise ?
Dans une région suburbanisée où l’industrie, les centres commerciaux et les cités résidentielles foisonnent, les zones naturelles et bois sont des sanctuaires qu’il nous (MRW – DGRNE ) appartient de préserver.

Les massifs forestiers de la Neuville et de la Vecquée sont une entité écologique indiscernable voire indissociable. Le plateau sommital , coupé par la route de Rotheux-Seraing, est composé de larges plages de sols hydromorphes (Aia et Aha). Tout comme en Vecquée voisine, ce plateau est parcouru par un réseau de rus au régime alternatif.


Deux ruisseaux, permanents ceux-là, collectent les eaux de ruissellement du plateau de la Neuville – Ceux-ci sont les limites naturelles du bois ; ils s’écoulent dans deux vallées de plus en plus encaissées jusqu’à la confluence avec le ruisseau du bois de l’abbaye, affluent de Meuse à Seraing.Il faut hélas noter que ces deux ruisseaux sont pollués par les eaux domestiques des lotissements de Neuville Domaine et Neuville Rognac.


Les comparaisons entre les massifs de la Vecquée et de la Neuville sont inévitables car ils sont l’un pour l’autre un intime prolongement écologique.
Qui pourrait présager de l’impact négatif important que subirait l’indivision Vecquée si, d’aventure, la déforestation du bois de Cockerill devait continuer à ce rythme. Car, s’il est bien légitime pour un propriétaire forestier de «réaliser » et rentabiliser d’anciens peuplements résineux (principalement épicéas, pins sylvestres, et mélèzes plantés entre 1946 et 1951), les méthodes radicales de gestion n’en sont pas moins préjudiciables pour le maillage écologique local.


Certes, des plantations de hêtres (1994 et 1997) ont été effectuées sur une superficie de + 8 ha, mais une partie de celles-ci ne sont pas en adéquation écologique (sols hydromorphes Aha-Aia).
Depuis quelques années, les notions de biodiversité et de protection des zones sensibles sont scrupuleusement d’application dans la Vecquée voisine. C’est ainsi, que les compartiments n°50/51/22181 et 82 de l’aménagement de cette forêt font l’objet d’attentions toutes particulières en harmonie avec la circulaire 2619 relative à l’aménagement des bois soumis au régime forestier (sols hydromorphes et vallée encaissée).

Or, nous constatons que ces compartiments sont limitrophes du bois de la Neuville ! Notons également, que la vallée du ruisseau de Chera (ou ru de la Vecquée) forme la limite naturelle entre ces deux propriétés, le versant ouest appartenant à Cockerill. Or, cette petite vallée mérite une gestion conservatrice homogène !

Ce vallon présente un grand intérêt écologique par son prolongement vers le bois de l’Abbaye, car il est le seul « couloir naturel » vers la vallée de la Meuse à Seraing ! Le Martin pécheur (Alcedo athis) et le cincle plongeur (Cinclus cinclus) y sont également observés.

Un regard sur la carte IGN Seraing-Chênée (n’42/5-6 1/25.000) permet d’appréhender la problématique du maillage écologique de nos banlieues citadines. Nous constatons que les trois massifs soumis au régime forestier (indivision Vecquée 700 ha, bois domanial de la Marchandise 90 ha, et le bois communal de l’Abbaye 75 ha ) subissent une très forte pression urbanistique aux lisières Nord (Seraing) et à l’est (Boncelles). Au sud, la voie rapide du Condroz représente un obstacle presque infranchissable vers les massifs forestiers de Plainevaux et la vallée de l’Ourthe.

Nous connaissons l’importance du maillage écologique local, car si un massif, aussi remarquable soit- il, et quels que soient les soins attentifs prodigués, se retrouvait «isolé », il serait irrémédiablement condamné à « l’étiolement » et à la banalisation biologique. Qui plus est, les trois massifs précités ont une vocation socio-récréative et sont fréquentés quotidiennement par des centaines d’usagers.