1173. La fête à Rotheux vers 1930.

Renaud Bertrand

L’été finit et les cours de récréation ont retrouvé les cris, les jeux en un mot la vie. Je suis heureux de vivre, je viens d’avoir 9 ans et bientôt ce sera la fête, mot magique, pour les bambins que nous sommes.

Les mamans fourbissent la maison de la cave au grenier, la « belle place >> retient toute leur attention. Durant la dernière semaine vient le tour des bons petits plats, le rôti de beuf en est le centre, c’est parfois l’unique jour de l’année où il est au menu. Les mains enfarinées confectionnent de succulentes tartes et des gâteaux volumineux. Les papas supervisent les alentours de la maison et font la guerre aux mauvaises herbes, les pelouses ne sont pas encore à l’honneur.

Les enfants soupèsent de temps en temps leur tirelire espérant, sans doute, qu’elle s’alourdisse miraculeusement. Le matin, ils partent à l’école plus tôt que d’habitude et traînent sur la place de l’église. Quand pourrontils enfin les voir ? Qui ? Mais les chevaux de bois voyons !

Enfin le bruit de la caravane des forains retentit jusque dans les classes et au son de la cloche une nuée de garçons s’abat autour de la place du « galopant ». Tout est dispersé sur le gazon. Les chevaux, bien rangés, ne peuvent être approchés, ils sont trop fragiles ainsi abandonnés à eux-mêmes, surtout leurs jambes.

Chacun, les yeux extasiés, choisit son cheval : « ça c’est le mien » et moi (c’est celui-là ». Aucune jalousie ne les sépare, ils ont le choix et durant la fête, ils sont fidèles à leur décision. Les filles, plus timides, admirent les gondoles, elles ne portent pas encore le pantalon et seules quelques intrépides se promettent de monter en amazone !

Tous les enfants retournent à la maison, non pas tous, certains s’attardent et rendent de petits services : porter des planches, du petit matériel, ils recevront des « bons » comme salaire.

Le surlendemain le manège se dresse fièrement, surmonté d’une corniche peinte. Un orgue de Barbarie appelle gaiement à la fête. Elle dure deux jours entiers, les adultes participent à la joie générale. Ce sont des retrouvailles pour des habitants de hameaux lointains, les frontières sociales sont franchies avec simplicité. Tous les participants baignent dans un bonheur intérieur. Les attractions sont nombreuses : jeux, pêche, loterie, quilles, confiseries, mais les garçons sont de valeureux cavaliers chevauchant en rêve à travers champs et campagnes, ils franchissent haies et clôtures sans difficultés, le Far West n’est pas encore à la mode.

Dans plusieurs maisons privées, autour de la place, des tables sont dressées et on vide la « goutte », un bon petit verre de genièvre qui fait fleurir des sourires sur les lèvres même des vieilles grands-mères coiffées de leur « gamète » noire ornée de perles. Le soir les tables sont installées dans la belle place et quelques couples dansent. Dans la salle chez le « Pèhell » un grand bal est organisé et la piste de danse est comble. Les parents, du haut du balcon, veillent sur leur progéniture surtout sur les jeunes filles parées d’une nouvelle toilette pour l’occasion.

Dans l’ancienne crémerie, chez Guillaume GILLON, on danse « au cachet >> l’entrée est gratuite mais à chaque danse, un responsable passe auprès des couples et perçoit les « centimes dus », de plus la musique jaillit d’un modeste orgue noir, des cartons perforés en sortent mais il faut pour cela glisser une pièce dans la fente prévue à cet effet.

La fête du dimanche est renommée et attire beaucoup de personnes des villages voisins, car c’est une des dernières de l’année.

Le lundi, seuls les Rotheusiens festoient ou dansent, c’est entre nous, puis le village où nous sommes contents de vivre, retourne à ses habitudes.

Je vous ai parlé du galopant et de mes souvenirs personnels, je vais passer la parole à un spécialiste des manèges. Il s’agit de notre ami Gilbert TIHOUX de la rue de la Limite qui est le petit-fils de Julien THIOUX qui fit le bonheur de mon enfance.

« Le galopant »de la foire d’octobre à Liège.
Un galopant bien Liégeois installé dans un parc d’attraction au Canada.

Album photos des métiers forains de la famille Thioux.

Mes grands-parents Julien et Césarine TIHOUX sont les propriétaires des manèges forains. Ceux-ci ont visité presque tous les villages du Condroz en particulier Rotheux, Neuville et Plainevaux.

Césarine et Julien TIHOUX

Galopant «ascenseur », les chevaux montent et descendent le long d’une barre fixe. Sur la photo nous voyons de gauche à droite : Césarine (ma grand-mère), Fernand (mon oncle), Marcel (mon père) et Julien (mon grand-père).

Sur la gauche la « routière » machine à vapeur, elle fournissait l’énergie et permettait de tirer les convois. Mon père Marcel me raconta un jour que les véhicules de ce genre étaient rares et que seuls les gros métiers en possédaient. Il lui est arrivé de tracter 18 remorques en une seule fois pour aider un autre forain, certains restent ensemble pendant les trajets et sur les fêtes.

Ces deux métiers datent d’avant 1933. Sur le fronton, en petit vous pouvez lire THIOUX Marcel, le nom de mon papa qui était peintre.

Galopant véritable, les chevaux sont fixés sur un axe relié à des coudes situés de chaque côté de cet axe, les chevaux effectuaient un réel galop. Carrousel plus moderne transformé par la famille THIOUX.
Chenille « Serpolare » photographiée à Sclessin et construite en 1934.

Ce carrousel fut réalisé par la famille suivant les plans et les directives du fils Marcel qui réalisa également les peintures. Sur la photo de gauche à droite : Marcel et sa fiancée Hélène, Fernand et sa fiancée Mariette.

En 1936, transformation de la chenille en auto-scooter, mon père coupa la chenille en deux et plaça un milieu, les arcades et les poteaux sont identiques.

Mon père m’expliquait qu’il réalisait certaines pièces dans la cuisine au coin du poêle « crapaud >>

Le scooter était actionné grâce à un groupe électrogène. Le vieil orgue dû être remplacé et je me souviens de sa structure. Certains des cartons furent donnés, dans les années 60, à M. Raymond BOVY pour son « Limonaire 1900 ».

Sept personnes étaient nécessaires pour le montage du scooter. Sur la photo de gauche à droite : Hélène (ma maman), Gilbert (moi), Marcel (papa) un ouvrier saisonnier, Marcel (mon frère), G. BAHA (un ouvrier), G. CHARLIER (un ouvrier), une amie et Césarine (ma grand-mère).

A Rotheux, le scooter se montait face à l’église; un pré existait entre elle et la cremerie avec un chemin d’accès au garage Delincé qui se trouvait dans les bâtiments situés à l’arrière.

A Neuville, il se trouvait d’abord face à l’église, le monument n’existait pas, un samedi il fallut démonter la moitié du scooter afin de laisser passer un enterrement.

Après l’édification du monument, ils durent s’installer Allée du Château que l’on barrait. Le troisième endroit se situait le long du mur faisant le coin, chaussée de Marche et route d’Engis.

Quelques noms de forains des années 50 qui visitaient nos villages : GODBILL, TITELBACH et le gros THONON …

TIHOUX Gilbert, Rue Limite, 15 – NEUPRE

Les autos sont en tôle d’acier sur un châssis de bois. Bandage en caoutchouc recouvert d’une tôle d’acier à ressort. Photo de droite : Marcel, son fils Gilbert et son neveu Roger. A l’arrière, camion à chaînes de marque Benz