1609. La station radio de Plainevaux

La station radio de Plainevaux (Seraing-Radio), « Chez Henrion » !

Daniel Van Alken

Retraçons brièvement le parcours de cet homme hors du commun qui malgré les sourires narquois et les quolibets a persisté dans sa quête de sensations et de nouveautés.

Marcel,Victor, Célestin, Pierre Henrion est né à Seraing le 12 juillet 1888. Il fut professeur à l’Ecole de Mécanique de la ville de Liège. Doté d’une grande curiosité, d’un humour certain, il va se faire plaisir en étant pionnier dans plusieurs domaines et il va parvenir à en vivre !

Il est passionné par les bicyclettes et les motocyclettes. Il est autant attiré par l’aspect mécanique que par la conduite sportive. En 1902, il participe à la course de motos Liège-Paris-Liège. Il est l’un des membres fondateurs du Royal Motor Union Club de Liège.

Attentif aux dernières nouveautés, il va être subjugué par l’exploit de Louis Blériot qui a traversé la Manche le 25 juillet 1909.

C’est décidé, il va apprendre à voler !

Son ami Camille Amand est enchanté de l’idée et lui aussi est partant pour aller… chez Blériot.

Louis Blériot, imitant les frères Caudron, avait ouvert une école de pilotage à Ville Sauvage, près d’Etampes. Les deux jeunes sérésiens en revinrent avec… des avions en kid et en septembre 1910, ils organisèrent un des premiers meetings d’aviation de la région.

La démonstration eut lieu à Seraing, près de l’endroit dit le « Thier-Potet » (la zone survolée pourrait être matérialisée actuellement par un rectangle compris entre la rue Concorde, Boulevard Pastor, Place de la Liberté et rue Boverie.)

C’est en souvenir de ce fait divers qu’une rue proche de l’endroit a été baptisée « rue de l’Aviation » (en 1929).

La « réclame » avait été bien faite… la foule était là pour admirer et frémir aux passages de ces deux « fous volants » sur leur aéroplane équipé d’un moteur de…25 chevaux !

Toute une génération a été marquée par l’évènement et comme souvent à l’époque on en a fait une chanson !

Je me souviens que pendant ma prime jeunesse, une de mes tantes la chantait encore et je n’en ai retenu que quelques bribes « … Vô châl Henrion qui plâne bin haut avoû s’t’aéroplane. Com inne aronde (une hirondelle) iss pavanne et vole sins façon… »

Je n’ai pas d’informations précises sur le programme de ce petit meeting aérien mais je sais qu’à l’atterrissage Marcel Henrion ne s’est pas contenté de « faucher les marguerites », il a « cassé du bois »… !

Cela ne devait pas être bien grave car plus tard, les vols ont continué !

Au moins deux imprimeries de Seraing éditent des cartes postales…

Voici le même monoplan (type 1910) un peu plus tard.

Deux hangars sont construits dans des terrains de la ferme Wéra. Cette ferme se trouvait presque à l’angle du « sentier du Thier Potet » (maintenant l’Avenue Concorde) et de la rue Basse-Marihaye. Les deux hangars étaient situés un peu plus haut, sur le site du cimetière de la Bergerie.

Marcel semble avoir pris quelques kilos… !

Caractéristiques de cet appareil :
Type : Blériot XI
Moteur : Azani, trois cylindres à refroidissement par air
Puissance : 22 à 25 chevaux
Envergure : 7,80 m
Longueur : 8 m
Hauteur totale : 2,59 m
Poids : 300 kg
Structure : sapin, bambou, tubes d’acier et toile caoutchoutée

Je n’ai pas d’information sur les activités de Marcel Henrion pendant la première guerre mondiale.

A Seraing, rue Ferrer, il tient un commerce de vélos et de motos mais il commence à se passionner pour la T.S.F.

En 1920, de la rue Ferrer, il fait ses premières expériences d’émission-réception avec un émetteur d’une puissance de 2 Watts !

Un sérésien, enfant à l’époque, se souvient que Marcel fabriquait des piles électriques avec des « potiquêts de Liebig » (en faïence)
Deux de ces piles sont restées longtemps en usage à l’église Notre-Dame à Lize (Pairay), elles servaient à alimenter la petite lampe rouge de la… sacristie !

Les résultats sont prometteurs car il parvient à établir une liaison suivie avec un poste militaire en Allemagne (Créfeld.)

Techniquement parlant, ce n’est pas étonnant car, à l’époque, les ondes n’étaient pas encore saturées par une multitude de signaux radio-électriques !

Une bonne qualité d’émission-réception dépend de plusieurs paramètres prévus et modulables ( fréquence employée, mode ;AM, FM, CW, SSB…, puissance, type d’antenne, la hauteur par rapport au sol, le taux d’ondes stationnaires etc…)

D’autres éléments périodiques et pas toujours prévisibles contribuent à des transmissions occasionnelles à longue distance ; ionisation des zones supérieures de notre atmosphère (ionosphère), rayonnement ultraviolet du soleil, sa rotation, les cycles solaires, les aurores boréales, les saisons etc…
Ces phénomènes « portent » les ondes, les réfléchissent et leur font faire des sauts (skips) dont la longueur varie suivant la fréquence employée. C’est en se servant de ces divers éléments que les Radioamateurs peuvent (parfois) faire le tour du monde avec très peu de puissance.

Rue Ferrer, il se sent à l’étroit pour réaliser ses ambitions, il déménage à quelques pas de là, rue Goffart au numéro 14.

Son ami, l’ingénieur Pirotte lui construit son vrai premier émetteur de radiotéléphonie.

On aménage un véritable studio-auditorium où le public peut assister aux émissions en direct. Le tout est parfaitement insonorisé et les émissions provoquent l’engouement des premiers auditeurs (beaucoup écoutent encore sur des postes à galènes…)

Photo de l’auditorium de la rue Goffart (vers 1930 !), à l’avant-plan, la fosse de l’orchestre…

Marcel Henrion a une fois encore une idée géniale, il est le créateur mondial des disques demandés !

L’entreprise est familiale, les demandes de disques dédicacés sont payantes, elles sont prises directement à la station, par courrier ou par téléphone !

Il y aura même des passages de correspondants au téléphone en direct sur les ondes !

La formule plait car on invite tous les artistes locaux, les « comiques » et certaines émissions, un peu trop arrosées, sont pour les écouteurs des moments inoubliables !

A gauche, Marthe Stordeur A droite, Marie-Louise (Loulou) Henrion, la fille de Marcel et la future Madame Peetermans… (A la radio : Miss Sourire !) Au centre, un animateur célèbre pour sa verve et ses imitations, Jules Deneumoustier Cette photo semble, elle aussi, avoir été prise rue Goffart !

L’épouse de Marcel, Madeleine Bolly participe aux émissions sous le nom de Tante Mady. Elle aura son petit succès grâce à ses « recettes culinaires ! »

Le studio réalisera aussi des enregistrements sur disques, pour preuve, cette étiquette centrale d’un 78 tours trouvé sur une brocante !
Bien entendu, je n’ai pas résisté à ressortir un ancien tourne-disque pour l’écouter !
Le disque ne contient pas un air de musique !
Il devait servir de générateur de fréquences.

C’était en réalité un outil de contrôle car il diffuse des sons purs en fréquence qui devaient assurément servir de référence pour l’étalonnage des amplificateurs.

Marcel Henrion a un peu trop de succès, il commence à faire de l’ombre au monopole d’état de la sacro-sainte institution qu’est l’I.N.R. ! (Institut National de Radiodiffusion)

En 1933, la loi change et on interdit des émetteurs à moins de 10 kilomètres du centre des villes !

Qu’à cela ne tienne, Marcel Henrion va déménager et venir s’installer à Plainevaux, au sommet du Thier de Strivay !

On construit une villa aussi originale que son propriétaire !

Le bâtiment est la réplique exacte, à l’échelle un tiers, de la bibliothèque du milliardaire américain Vanderbilt !

Pendant l’achèvement de la construction, les essais et les premières émissions de Seraing-Radio à Plainevaux seront faites dans un baraquement !

Par dérision, Marcel commencera ses émissions par un sonore « En direct depuis Stâ d’bouc ! » (En direct depuis l’Etable du bouc !)

La station est couronnée d’une tour métallique supportant l’antenne qui culmine à 22 m du sol.

Cette tour sera démontée en 1976 pour des raisons de sécurité.

Il y a une salle de réception, une salle de machines, des bureaux, un studio et un petit…zoo !

La villa et sa tour

Très belle photo de Henri Pirotte près du deuxième émetteur à Plainevaux
Sur le bureau, les deux platines et la table de mixage.
Dans le fond, l’émetteur et son alimentation électrique
A droite, le dernier étage de l’amplificateur et le circuit d’accord de l’antenne

Le samedi et le dimanche, Deneumoustier animait, avec son orchestre, les bals et les thés dansant du « Jardin Perdu » à Seraing.
Les émissions reprennent de plus belle et Plainevaux voit défiler « Chez Henrion » tout ce que la région compte comme artistes !

A la guitare, Deneumoustier…

La publicité, les disques demandés et la vente d’enregistrements sont les principales ressources financières. Des visites sont organisées pour un public venant « de la ville ».

Photo de l’intérieur de la station d’émission à Plainevaux vers 1935.

Photo de l’intérieur de la station d’émission à Plainevaux vers 1935.

L’affaire tourne bien !

Elle attire les curieux et les touristes !

L’ascension de la tour-antenne, d’où on découvre un panorama verdoyant sur 360 degrés, est payante ainsi que la visite du petit zoo (singes, renards, perroquets etc.)


Au centre, l’église de Plainevaux.

Tous les « anciens » de la région se souviennent avec nostalgie de cette radio locale qui leur a apporté des heures de plaisir.

Des rapports d’écoute prouvent que des émissions émises de Plainevaux ont été captées (par bonne propagation) dans les pays du nord de l’Afrique !

Au mois de mai 1940, les émissions cessent, la station est réquisitionnée par l’armée allemande. Le matériel va servir à brouiller les émissions de Radio-Londres avant d’être démonté et emporté !

L’antenne reste et… elle servira encore quelques fois… à la résistance !

Nous aurons, malheureusement, l’occasion de reparler de cette famille… accablée par les tourments de la deuxième guerre mondiale !

Marcel Henrion décèdera en 1971.