1881. Armée Secrète

Historique du Groupement Territorial 9 – CT 9.

Dans « les Cahiers de Jadis » n° 47, nous évoquions le souvenir de Nicolas Compère, membre du groupe CT9 (Commandement Territorial 9) de l’Armée Secrète (Seraing – Flémalle – Condroz et Hesbaye). Pour compléter notre information, Marcel Lardin, Président Honoraire de la Fraternelle, nous a aimablement transmis les informations ci-dessous.

Le groupement 9 (T9) est surtout concentré dans le bassin industriel liégeois dont il englobe quelques localités riveraines au nord du fleuve.

Il se constitue, début 1942, par la fusion de deux organisations, celles de Victor Lafosse, chef de bureau de l’administration communale de Seraing et de Me Joseph Goffin, avocat à la Cour d’Appel; ces deux anciens de la guerre 14-18 peuvent donc être considérés comme les fondateurs de T9.

Victor Lafosse fait partie, dès mars 1940, d’un service de renseignements axé sur les activités ferroviaires et fluviales de la région de Seraing. A la déclaration de guerre, le service fonctionne. Dès septembre 1940, Lafosse reprend contact avec son service (SR BAUWERAERTS) dont le délégué est un certain Van Hoegaerden de Bruxelles; c’est ainsi que se crée le groupe de Seraing et environs dont les cofondateurs sont, outre Victor Lafosse, Simon Reynkens, Lambert Pauchen, Jules Pirard, Oscar Bertholet, l’avocat Fernand Cartier, Henri Rousseau, Léon Duchesne et Bellefroid.

Au fil des mois, le groupe s’étoffe; il englobe les communes de Flémalle- Haute, Flémalle-Grande, Saint Georges-sur-Meuse, Seraing, Ramet, Plainevaux, Rotheux et s’étend même à Andenne dont Victor Lafosse est originaire. Son caractère militaire s’affirme par l’enrôlement d’officiers de réserve tels que l’ingénieur Louis Wauthier, l’inspecteur de l’enseignement Jules Kefer, Camille Bocca et des adjudants de carrière Grégoire Delnooz et Philippe Coenen. L’effectif s’accroît encore du groupe de 210 hommes formé par Emile Fey dans les communes de Montegnée, Grâce-Berleur et Saint-Nicolas, totalisant ainsi un millier d’hommes.

De son côté, dès août 1940, Joseph Goffin, aidé de quelques amis, entreprend une propagande anti-allemande qui se concrétise notamment par la distribution de tracts et articles patriotiques.

Vue aérienne de 1947

Ce cercle restreint s’étoffe peu à peu et devient un groupe de résistance qui se caractérise surtout, outre diverses brimades aux ordres de l’occupant et de ses satellites, par la création du journal clandestin « Churchill Gazette »1. Début 1941, Joseph Goffin entre en contact avec l’agent commercial Franz Hentjens et accepte sa proposition de constituer son groupe en un corps franc dénommé « Francis DANIEL ».

Début 1942, Victor Lafosse et Joseph Goffin sont mis en contact par l’intermédiaire de Franz Hentjens avec le major Georges Ouwerx, commandant la Légion belge de la province de Liège (CP6) ; les deux organisations fusionnent et forment, comme nous l’avons déjà dit, le groupement 9 sous le commandement de Joseph Goffin.

La section d’Andenne est rattachée à la province de Namur (P5).

Le 14 octobre 1942, Franz Hentjens est appréhendé par les Allemands; Joseph Goffin se sentant menacé, renonce provisoirement à ses activités et remet le commandement de T9 à Victor Lafosse.

Le groupement continuant à prendre de l’ampleur dans une région traversée par un cours d’eau aussi important que la Meuse, CT9 décide de créer deux échelons subordonnés qui faciliteront l’exercice du commandement: la rive droite est confiée à Jules Kefer tandis que Louis Wauthier prend en main la rive gauche.

Les premiers mois de 1943 sont difficiles pour le mouvement; le recrutement se heurte à la concurrence du Front de l’Indépendance et de l’Armée de la Libération; de plus, dans cette région fortement industrialisée, le nombre de réfractaires au travail obligatoire augmente et on sait que l’aide officielle de Londres, sous la forme du service « Socrate », ne se manifestera pas avant la fin de l’année.

Dans la nuit du 13 au 14 février 1943, une mission composée de Walthère Gauthier dit » Griffon », ancien chef de la section de Jemeppe-sur-Meuse de la Légion Belge (1er nom de l’Armée Secrète), parti quelques mois plus tôt en Angleterre, et de Raymond Holvoet, dit « Badger » fut larguée au hasard sur la plaine de refuge dite « du Sanglier »2. « Griffon « , blessé à l’atterrissage, parvient néanmoins à rejoindre le chef du CT 9 à Seraing ainsi que  » Badger » quelques heures plus tard.

Ferme et château de Halledet.

En effectuant les recherches du matériel, trois autres terrains furent découverts et retenus: entre Plainevaux et Rotheux, à Clermont-sous-Huy et Stockay-Saint-Georges. Décidés à retrouver le précieux matériel, ils découvrirent cette plaine ainsi que le matériel éparpillé. Dès le lendemain et les deux jours suivants, « Badger » et trois autres adjoints du chef de CT 9 transportèrent le matériel.

Les parachutes furent entreposés dans un endroit et les valises et le poste furent amenés à Jemeppe-sur-Meuse. Malheureusement, « Badger » fut repéré par les Allemands qui cernèrent le village d’Yvoz-Ramet le 18 avril 1943. Il parvint à fuir et à rejoindre la Grande-Bretagne. Le 25 août 1943, nouveau coup du sort pour T9 ; Victor Lafosse est arrêté ; le lendemain, ce sera le tour de son épouse, de son fils et de la fiancée de celui-ci. Après l’arrestation de Victor Lafosse, son adjoint Camille Bocca, ayant dû prendre du champ pour échapper aux recherches de la police allemande, la succession est reprise par le lieutenant de réserve Louis Wauthier, chef de la rive gauche, homme de la première heure.

Début 1944, CT 9 prescrit de former dans chaque commune, une équipe de saboteurs de six hommes spécialement sélectionnés en fonction de leurs capacités. L’historique du groupement 9 indique les sabotages exécutés par les communes de Jemeppe-sur-Meuse, Seraing, Tilleur et Flémalle; les renseignements sont corroborés par le « Rapport sur les sabotages exécutés par CT « 9 ».

C’est en mars 1944 que fut officiellement créé le service de parachutage du CT 9 sous la direction d’Albert Francken et sa mission prioritaire était de découvrir des terrains de réception et en nombre. Travail ardu, car le secteur n’offrait pas beaucoup de ressources en fonction des nombreux postes de D.C.A. (Boncelles, Val Saint- Lambert, Seraing, Jemeppe) et surtout la position fortifiée du Corbeau à Grâce-Berleur munie d’un important poste d’écoute. En prévision de nombreux parachutages et de la mobilisation du CT 9, une plaine de parachutage fut agréée par Londres au lieu-dit « aux Houx », Commune de Neuville-en-Condroz ainsi qu’un Refuge dénommé « Le Sanglier» (dont une partie est actuellement devenue le Cimetière Militaire Américain des Ardennes)3.

Vue aérienne du Cimetière Américain et entrée du château de la Croix Saint-André.

Le 6 juin 1944, l’état-major du groupement est mobilisé; il siège d’abord pendant une semaine au domicile du CT9 à Flémalle-Haute pour s’installer ensuite à la ferme de Sart-le-Diable à La Neuville; sur le point d’être repéré, l’état-major se fixe à Liège au café Carabin, rue Sainte-Foi. C’est de cette époque que date le ralliement du groupe Hubert Simon, fort d’une quarantaine d’hommes dont le début de l’activité remonte à 1941. Le 21 juin, Louis Wauthier, recherché par la police allemande, se réfugie à l’état-major de la zone V à Grandmenil.

Le même jour, l’adjudant de carrière Philippe Coenen prend le commandement du CT 9 et peu de temps après, donne l’ordre de passer aux opérations de sabotage, à savoir :

A Jemeppe, une équipe composée de Paul Vanlofvelde, Alexis Guyot, Jean Debatty, Roger Leburton, René Etienne et René Coudons, coupe le 15 août 1944 en douze endroits, en emportant 200 mètres de fil, le dispatche de la ligne Liège-Namur et le lendemain, après un sabotage à la dynamite sur la ligne Liège-Namur entre Flémalle et Jemeppe ayant amené le déroutage du trafic par la ligne à voie unique du Limbourgeois (tronçon FLÉMALLE-ANS), l’équipe de Jemeppe procède au déboulonnage d’un rail entre le pont de Lambert et le Bois de Jemeppe provoquant ainsi une interruption du trafic de plus de 40 heures.

Le 1er septembre, pour empêcher le chargement au charbonnage des Kessales à Jemeppe-sur-Meuse, des bateaux de charbon à destination de l’Allemagne, l’équipe du 1er sergent Evrard procède à la destruction des piliers du pont sur lequel roulaient les wagons dont le contenu était versé dans les bateaux au bassin de chargement.

Avion Lysander utilisé pour le transport et la récupération d’espions et d’agents secrets.

Lorsque la retraite allemande s’accentuera, une équipe composée de Joseph Lecocq et des agents de police Georges Lakaye et Jean Kittel, sème à trois reprises, des clous à trois pointes sur l’itinéraire suivi par les colonnes allemandes avec un certain succès puisque, successivement, 37,42 et 28 camions seront mis hors d’usage.

A Seraing, à signaler tout d’abord, deux sabotages téléphoniques. Celui au cours duquel les lignes reliant un poste d’observation situé sur le terril Mikiels au fort de Boncelles seront coupées successivement, en haut du plateau, dans le champ de la ferme Kalbuch et sur le vicinal et qui paralysera pendant plusieurs jours la DCA ennemie. Le deuxième se traduira par le sectionnement des câbles partant du fort de Boncelles.

La nuit du 26 au 27 juillet 1944, une équipe de trois hommes dirigés par le sergent Alfred Lardin, déboulonnera un rail de 18 mètres sur la ligne Liège-Namur au lieu dit « Les Béguines » ; le travail est terminé vers 1 heure du matin. A 4 heures, un train militaire se dirigeant vers Namur saute des rails en cet endroit, parcourt encore une trentaine de mètres sur le ballast avant de se coucher sur le flanc. La locomotive, le tender et la première voiture sont inclinés sur le garde-fou du viaduc, interrompant tout trafic sur les deux voies pendant deux jours.

A retenir également, le cambriolage fin 1942, des bureaux de l’Association des Amis du Grand Reich Allemand (AGRA) au Théâtre de Seraing où le fichier complet de tous les membres de la section de Seraing et environs fut enlevé, caché et remis à la division de police de Lize lors de la Libération de la Ville.

Lorsque la retraite de l’armée allemande se manifestera par le passage de nombreux convois de camions, dans la nuit du 25 au 26 août, une équipe composée du Sergent Lardin Alfred, de Lardin Marcel, Herkens Jean, des frères Debrye Louis et Charles, effectuera un épandage de clous à trois têtes:

1 ) sur la route de France (route La Neuville-en-Condroz vers Yvoz-Ramet en passant par la Croix Saint Hubert) qui a provoqué la chute de plusieurs camions allemands dans le ravin bordant la gauche de la descente et une collision en chaîne, interrompant tout trafic sur cette route pendant plus d’une demi-journée.

2) sur la route de Seraing vers Yvoz-Ramet qui a également perturbé tout le trafic routier et obligé les Allemands à réveiller les habitants pour aider à l’enlèvement des clous.

A Tilleur, les sabotages sont exécutés exclusivement dans la station : 200 boyaux de freins Westinghouse sont sectionnés, 124 wagons et une locomotive mis hors d’usage entre le 3 juin et le 11 août 1944. Dans le courant du mois de juillet, la ligne téléphonique Liège-Huy est sabotée.

A Flémalle, deux équipes seront particulièrement actives pendant les quatre années d’occupation.

En gare de Flémalle, Julien Delvoye (chef de station), Constant Archambeau, Joseph Deville, René Michel, Eugène Vangenechten, Gustave Houbette, Jean Guala, Jules Aigret et Victor Houlmont; pour les deux Flémalle, Hubert Beckers, Jean Collet, Louis Maroy, Marcel Proesman et Florent Nison, (chefs de commune), Joseph Tilman, Jean Closquet, Marcel Leplat, Pierre Staelens et Victor Ummels.

Leur activité ne se traduira pas par des sabotages spectaculaires mais bien par des opérations poursuivies inlassablement de manière variée; des centaines de wagons et de locomotives seront traités au carborundum avec les conséquences que l’on sait; il y eut aussi ce que l’on pourrait qualifier de résistance passive qui se manifestera par le retard mis à effectuer des réparations, de fausses manoeuvres, le sabotage de la locomotive de manœuvre chargée de déblayer les voies touchées par le bombardement du pont-rail du Val Saint-Lambert, le ralentissement délibéré des expéditions de matériel divers, parfois au préalable saboté, s’il s’agit d’équipement militaire.

Comme l’indique le rapport sur l’historique du groupement 9, on eût pu faire mieux et plus si les moyens nécessaires avaient été fournis; ajoutons que cette déclaration est également applicable aux autres communes du groupement.

Le dimanche 3 septembre 1944, Philippe Coenen ordonne la mobilisation du CT 9 qui se fera dans des conditions particulièrement difficiles en raison, non seulement de son implantation en milieu industriel urbain, à forte densité de population, mais aussi de la présence de l’obstacle majeur constitué par la Meuse et que les unités de la rive gauche (dont la Commune de Flémalle) devront franchir de nuit, et à certains endroits, sous le feu de patrouilles allemandes. Le problème de la mobilisation n’est pas pour autant résolu par l’arrivée massive de près de 1.500 hommes car rien n’existe ou presque pour les armer, sinon quelques armes personnelles ou récupérées. Malgré le danger, les hommes restent sur place, sans autres protections des intempéries que les sous-bois, mais ce qui maintient l’espoir, c’est l’annonce de plusieurs parachutages dans les 48 heures. Une partie des hommes sont renvoyés dans leurs foyers avec prière de se tenir toujours en état d’alerte afin d’assurer le maintien de l’ordre.

En raison du faible effectif armé et de l’avance foudroyante des Alliés, les opérations se limiteront à quelques actions de harcèlement.

Le 4 septembre à 3 heures du matin, une patrouille de la 1ère Compagnie, commandée par le Capitaine-Commandant Jules Kefer, Chef de Bataillon, exécute un coup de main sur un poste allemand installé près du château Chaudoir : un Allemand est tué et deux autres faits prisonniers. Cette action permet la récupération d’un armement précieux dans les conditions de pénurie que nous connaissions: 1 mitraillette, un pistolet et deux fusils Mauser.

Dans la journée du 5 septembre, diverses patrouilles de la 1ère Compagnie, opéreront jusque dans le centre du village de Neuville-en-Condroz et vers le village « Aux Houx» : un accrochage avec une patrouilles d’arrière-garde allemande, se soldera par la destruction d’un camion, la capture de deux prisonniers et d’un blessé qui sera ramené ici et soigné par notre médecin, le Docteur Paul Desaive.

Les sections spéciales du Groupe de l’aumônier Roger Barras sont mobilisées à Seny et Pair (Condroz) et assumeront le maintien de l’ordre dès la libération de ces communes.

Deux autres groupes sont mis à la disposition du commandant de la Compagnie « Léopold » sous les ordres du capitaine Gilbert Colon et serviront dans la Hesbaye.

Les autres Compagnies ne resteront pas inactives dans leurs secteurs suite au renvoi des hommes non armés :

  • La 2ème Compagnie, fera à Yvoz-Ramet et Val Saint-Lambert, 6 prisonniers et arrêtera 10 inciviques;
  • La 3ème Compagnie, au départ du refuge, se regroupera à Engis ou elle appréhendera 17 Gardes wallonnes et 32 inciviques.
  • La 4ème Compagnie, sera mobilisée à la ferme de Sart-le-Diable à Neuville-en-Condroz fera mouvement le 7 septembre vers Flémalle et prendra d’assaut le dépôt de tram de Jemeppe-sur-Meuse occupé par une quarantaine d’Allemands. Au cours de cette action, notre camarade Louis Maroy est tué et deux Allemands sont faits prisonniers. Le même jour, une opération analogue est organisée contre les batteries ennemies installées au Terril du Corbeau, à Jemeppe-sur-Meuse : elle se traduit par la mort de notre camarade Raymond Delaer par la capture de deux Allemands.

-La 5ème Compagnie constituée d’éléments non armés cèdera le peloton Evrard, originaire de Jemeppe-sur-Meuse, à la 7ème Compagnie dont l’essentiel provient de cette localité. L’autre peloton sera chargé du maintien de l’ordre dans les communes de Boncelles, Ougrée et Sclessin.

1 Voir « Les Cahiers de Jadis » n° 37 et 39

2 Cette plaine se trouve à proximité du village de Neuville-en-Condroz au lieu-dit « Tronleu » (Aux Houx) à l’est du bois de Halledet et à l’ouest de la route menant de cette localité à Engis

3   Le Refuge était limité de la ferme de la Croix Saint-Hubert par la route descendant vers le pied de la Route de France, remontait derrière le moulin du Val-Saint-Lambert en direction du Bois de Rognac jusqu’à la route qui descend actuellement vers le centre de Neuville et revenait vers la Croix Saint-Hubert par les dépendances du Château Chaudoir.
   Trois entrées étaient gardées par les quelques hommes disposant d’armes diverses et souvent personnelles : la Croix Saint-Hubert, le chemin prenant dans le double virage de la Route de France et à hauteur du Château Chaudoir   Lorsque vous êtes derrière le Mémorial du Cimetière Américain, dans le coin gauche au fond du cimetière, il subsiste un très gros chêne. C’est sur cet arbre qu’était fixée l’antenne éclipsable construite par le commandant du génie Monsieur Hubert SIMON de Seraing. A l’époque le cimetière était encore boisé et cette antenne permettait de transmettre et recevoir les messages radio de l’état-major de la Zone V qui devaient être répartis entre les unités du Secteur 2.
   Cette antenne pouvait être facilement déplacée dans le  bois avant le petit château du lieu-dit du  »Hadelet » afin de guider les avions éventuels sur la plaine de parachutage située a gauche de la route conduisant « Aux Houx ».