1551. En promenade avec Madame.

Ghislaine Rome-Souris

Impressions d’enfance.

Si l’après midi s’annonce belle, nous complotons:
Madame, si nous allions en promenade cet après midi? Nous prendrons nos tartines pour goûter. »
Encore!? Nous n’avons pas fini nos travaux manuels. » -«Et si nous les emportions? Ce n’est pas difficile de tricoter sur la petite colline du moulin.» Madame soupirait.
Que dirait l’inspecteur s’il venait?» Mais au fond elle ne demande que cela, marcher, s’aérer avec les enfants qu’elle affectionne
D’accord, mais n’emportez rien, nous rentrons à 3 1/2 h ! »
Waouw ! Hourra! Merci Madame! »


La porte de l’école à peine refermée nous nous envolons comme des moineaux maraudeurs dérangés dans un cerisier!
J’avale mon dîner bien plus vite que d’habitude. A 1 h, lestée de tartines de sirop pour mon goûter, j’arrive bien en avance sous le préau de l’école. Laurette a pris aussi sa boîte à tartines. Les autres fillettes accourent en brandissant les leurs. Voici Madame avec son manteau et son chapeau sombre quel que soit le temps. -«N’oubliez pas vos tricots! »

Le moulin de Neuville vu de l’ancien vicinal – Photo actuelle

Cela ne m’enchante guère, le tricot: mes aiguilles sont trop fines, les mailles trop nombreuses, je serre le coton à l’excès; je gesticule tellement que des échelles maladroitement réparées déforment mon travail manuel. Mais qu’importe puisqu’on part en promenade. Oh! pas loin! Nous descendons la drève du vieux château en chantant:

Une fleur au chapeau, à la bouche une chanson
Un cœur joyeux et sincère ;
Et c’est tout ce qu’il faut à nous autres qui marchons
Pour aller au bout de la terre !

A gauche, le joli chemin Madame nous accueille. Il surplombe le bief de l’ancien moulin. Sous les chênes, des graminées douces – des dactyles pelotonnés – nous invitent à nous asseoir. Laurette prend mon tricot et l’avance habilement de plusieurs rangs.

Tu tires trop fort sur le fil », dit-elle « Essaye encore! »
Je te ferai ton devoir d’analyse », dis-je reconnaissante.

Comment avons-nous si faim pour dévorer nos tartines de confiture bien plus délicieuses ici qu’à la maison? On bavarde comme des pinsons et Madame rit avec nous.

Je n’oublie pas ces instants de bonheur simple, au soleil tamisé par les arbres, dans un endroit qui m’est familier car j’y suis venue bien souvent avec papa ou tante Mathilde. Les bois, tout proches du village, sont les terrains de jeux des enfants de Neuville. Je connais le ruisseau qui serpente au bas de la pente douce en cascatelles bruissantes et mousseuses. Encore maintenant je sais par cœur l’endroit exact où, dès avril, fleurissent les délicates anémones, les pervenches et plus tôt encore les primevères du printemps, les ficaires, petites étoiles d’un jaune satiné et les tout premiers tussilages – ou pas-d’âne – qui annoncent les beaux jours.

Mon petit village! Comme j’y enfonce les racines de mes jeunes années. Comme j’y adhère encore et j’espère pour toujours!

Le bief de l’ancien moulin – vue actuelle.

Le tussilage est une plante rampante vivace de la famille des Astéracées (Composées). Elle se rencontre sur les talus, lieux humides, bords des routes, lisières, surtout sur sol calcaire. Les fleurs apparaissent au printemps (février-mars) avant les feuilles, solitaires sur des hampes aux écailles pourprées. Les feuilles sont toutes basales, arrondies, montrant un feutrage blanc à la face inférieure. Les fruits sont des akènes munis d’une aigrette comme les pissenlits et de nombreuses autres composées.

Le tussilage est commun. On l’utilise comme plante médicinale contre la toux et l’asthme. C’est d’ailleurs à cette propriété qu’il doit son nom, déjà mentionné par Apulée (dérivé du latin tussis = toux). Ce sont les feuilles séchées et fumées qui sont employées.

En Chine, une étude sur les extraits de la plante entière a révélé que les polysaccharides renforceraient les défenses immunitaires et seraient anti-inflammatoires. La plante est déconseillée pendant la grossesse, l’allaitement et ne convient ni aux enfants de moins de 6 ans ni en cas de maladie du foie. Le tussilage a des propriétés émollientes et expectorantes ; on l’emploie contre la bronchite et la toux en général mais aussi pour la guérison des plaies.

On peut en faire un sirop calmant et expectorant et même des cigarettes contre l’asthme ! Attention, le tussilage renferme des alcaloïdes pyrrolizidiniques, toxiques pour le foie, mais détruits par l’ébullition.