APERCU SUCCINCT DES INSTITUTIONS POLITIQUES, ADMINISTRATIVES, JUDICIAIRES ET SOCIALES DE NEUPRE SOUS L’ANCIEN REGIME.
7ème partie.
Dans le numéro 10 des Cahiers de jadis, nous avons évoqué les conséquences de l’implantation de l’ordre cistercien dans nos régions à la fin du XIIe siècle: les moines, qui allaient fonder en 1202 l’abbaye du Val Saint-Lambert, avaient reçu les terres de Plainevaux et de Strivay du comte Gilles de Duras, seigneur d’Esneux.
Il s’agit de la première étape d’un parcours qui conduit les cisterciens à s’écarter de l’austérité initiale de leur ordre. Grâce à des dons, des legs des achats ou des échanges, le chapitre abbatial avait acquis des terres, des bois, des moulins des fermes; des dîmes1, des droits d’usage2, des cens, des rentes et des exemptions de tonlieu dans des localités proches ou éloignées de l’abbaye du val: la ferme des Moges, Nandrin, Ehein, Seron, Ans, Hollogne-aux-Pierres, Herstal, Ans, Bailleur, Beaufays, Harre, Hotton, Dinant, Maastricht, …
En 1356, les revenus annuels du domaine de l’abbaye sont estimés à 843 muids d’épeautre3. L’exploitation de ce domaine est confiée à des « frères convers » et à des laïcs, ouvriers salariés ou serfs, placés sous la direction de l’abbé du Val Saint-Lambert.
L’institution cistercienne fondera également sa prospérité sur « l’industrie », en l’occurrence sur l’exploitation houillère dont la première mention écrite date de la fin du XIIe siècle pour la région liégeoise. A ces propriétés foncières et immobilières, l’abbaye du Val ajoutera dans le courant du XIIIe siècle des Seigneuries: les Seigneuries d’Ivoz et de Ramioul, auxquelles il faut ajouter le droit de « haute justice » à Plainevaux acquis en 1285, dont nous traiterons plus loin.
La période de prospérité de l’abbaye cistercienne se termine à la fin du XIIIe siècle en raison de facteurs externes et internes à l’ordre cistercien: troubles politiques et sociaux de la principauté de Liège, fiscalité pontificale croissante, mauvaise gestion, endettement, déclin des dons de la population hostile à l’enrichissement des moines, engouement pour de nouveaux ordres, …
L’abbaye du val sera amenée à aliéner ses propriétés: la Seigneurie de Ramioul est cédée à la collégiale Saint-Paul; la Seigneurie de Plainevaux est vendue en 1316 à Jacques de Tongres. Il est intéressant de noter à ce sujet que cette cession concerne probablement l’ensemble des droits de l’abbaye: droits de propriété et droit de « basse justice » et « haute justice« . alors que la « basse justice » (cours censales, cours des tenants) s’occupe des relations entre propriétaires et tenanciers, la « haute justice », composée d’un mayeur et d’échevins, traite les litiges relatifs aux contrats et aux héritages et poursuit les délits et les crimes (le « sang et le larron »: rapt, incendie, vol, homicide). C’est donc la totalité de la Seigneurie de Plainevaux qui passe dans les mains de Jacques de Tongres en 1316. En 1649, Guy de Fisenne, seigneur de Plainevaux et lointain héritier de Jacques de Tongres, revendra la Seigneurie de Plainevaux à l’abbaye du val Saint-Lambert qui la conservera jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
Il est également intéressant de noter que la cession des droits de propriété et de justice de l’abbaye à Jacques de Tongres n’implique pas de rupture avec la principauté de Liège: le nouveau seigneur de Plainevaux est toujours sous la « souveraineté » du prince-évêque de Liège et de ses cours de justice installées à Liège.
Un événement témoigne de cette continuité institutionnelle: en 1316, Jacques de Tongres décide de devenir le vassal du duc de Brabant Jean III: la Seigneurie de Plainevaux devient donc un fief du duché de Brabant, au XIVe siècle, et des Pays-Bas, au XVe siècle, après l’unification réalisée par les Bourguignons et les Habsbourg. L’inféodation de la Seigneurie de Plainevaux ne concerne pas cependant les droits de justice et les droits de souveraineté: cela signifie que le prince-évêque reste le souverain du Seigneur de Plainevaux, même si ce dernier s’est déclaré le vassal du duc de Brabant. Le territoire de Plainevaux, Strivay continuera jusqu’à la fin de l’Ancien Régime à présenter cette double appartenance institutionnelle: liégeoise et brabançonne.
Marc LORNEAU.
1 Dîmes: du latin « decima »= dixième de la récolte. On distingue la grosse dîme perçue sur les grains (orge, seigle, épeautre, avoine) de la menue dîme perçue sur le foin, le bétail et la volaille.
2 Droits d’usage: droit de vaine pâture du bétail et droit d’afforçage (récolte du bois de chauffage et de construction).
3 A titre de comparaison, les revenus de la collégiale saint-Paul s’élèvent à 3547 muids.