0363. L’ECOLE PRIMAIRE COMMUNALE DE PLAINEVAUX

Création de la première école primaire communale de Plainevaux

C’est au moment précis où la France venait d’annexer, le 9 vendémiaire an IV (ler octobre 1795), les provinces belges et la principauté de Liège, que la République tente de mettre en place l’enseignement primaire public.

Si la Révolution avait vu fleurir plusieurs projets d’organisation d’un enseignement public obligatoire, laïc et gratuit, la réaction thermidorienne ne laissa subsister que le « testament pédagogique » de la Convention, la « loi Daunou », loi incomplète et insuffisante du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795).

La loi prescrit l’établissement d’une ou plusieurs écoles primaires dans chaque canton et la création des jurys d’instruction publique chargés de vérifier les aptitudes des candidats instituteurs.

Chaque école primaire est divisée en deux sections, une pour les garçons, l’autre pour les filles et en conséquence, il y aura dans chaque école un instituteur et une institutrice.

L’école primaire doit enseigner à lire, à écrire, à calculer et les éléments de la morale républicaine. Les filles seront formées, en plus, « aux travaux manuels de différentes espèces utiles et communes ».

Les instituteurs ne reçoivent aucun traitement de l’Etat, mais sont rémunérés par de modiques rétributions payées par les élèves, à l’exception des indigents qui peuvent constituer jusqu’à un quart de la classe.

La municipalité doit fournir à l’instituteur une maison et un jardin, ou à défaut, une indemnité annuelle.

L’application de la loi du 3 brumaire an IV sera un échec complet. Dans un rapport au Ministre du 19 ventôse an IX (10 mars 1801), le préfet du département de l’Ourthe, Desmousseaux, écrit : « Au lieu de dix instituteurs primaires qui devaient exister dans Liège, il n’y en a que trois, et il serait impossible d’en compléter le nombre, le salaire étant nul et les écoles existantes désertes, personne ne se présente pour remplir les fonctions. Sur les 385 communes rurales, il y en a à peine douze qui sont pourvues d’un instituteur et ceux qui y sont placés y périssent de besoin ».

Plus tard, la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) remplacera la « loi Daunou ». Elle dispose que l’instruction sera donnée dans des écoles primaires établies par les communes, mais n’apporte aucune modification au statut et à la rémunération des instituteurs. La proportion des indigents exemptés du paiement de la rétribution est ramenée à un cinquième de la classe.

Le 26 prairial an XI (15 juin 1802), le préfet Desmousseaux tente, par une circulaire adressée aux communes, de relancer la création des écoles primaires dans le département. Mais le 3 avril 1807, son successeur Micoud d’Umons, constate « qu’un grand nombre de communes ne possèdent encore ni écoles primaires, ni écoles particulières », et prie instamment les maires « d’établir au moins une école primaire dans chaque commune ».

Le 8 décembre 1807, le maire de Plainevaux adresse au préfet une demande de nomination en qualité d’instituteur pour « Monsieur Lejeune, vicaire de cette paroisse, homme de probité et de capacité… »

Dans une seconde lettre du 15 février 1808, le maire signale que « le zèle, l’exactitude et le désintéressement qu’a manifestés ce digne ecclésiastique à remplir à la fois les pénibles devoirs de vicaire et d’instituteur éclairé, méritent les plus grands éloges ». Le maire ajoute encore les précisions suivantes : « Depuis près de trois ans qui seront écoulés au 24 juin prochain, il (le vicaire) s’est acquitté de cette double tâche à la plus grande satisfaction de nos habitants. Il en a sans doute bien mérité la recommandation et la reconnaissance par une patience d’autant plus rare que son traitement (qui est de deux cents francs) lui est redu en grande partie, n’ayant pu être placé dans les budgets des années précédentes, à raison qu’on a toujours négligé de présenter Monsieur Lejeune devant l’autorité supérieure pour être instituteur ».


La démarche du maire ne doit pas étonner.

L’Etat ne s’est pas donné les moyens d’organiser l’enseignement obligatoire, laïc et gratuit, voulu par l’idéal révolutionnaire, et la difficulté de trouver des instituteurs amène très souvent les Conseils municipaux à proposer vicaires ou marguilliers pour occuper la fonction d’instituteur, sous réserve de réussir l’épreuve d’aptitude à présenter devant le jury d’instruction publique. Le préfet prie donc le maire de réunir le Conseil municipal et de lui transmettre ensuite, dans les formes prescrites, la délibération du Conseil concernant la nomination de Monsieur Lejeune.

Les considérantes de la délibération du Conseil méritent un examen attentif, car ils sont typiques de l’époque et nous éclairent sur la situation et les conditions de travail des instituteurs :

« Nous, soussignés, membres du Conseil municipal de Plainevaux…

1. Considérant que l’instruction est un des premiers besoins de l’homme, que par conséquemment il est de nécessité indispensable d’établir une école primaire dans cette commune.

2. Considérant que l’enseignement dans les campagnes ne peut être plus sagement conféré qu’au vicaire ou desservant, qui par état, doivent être ordinairement plus instruits que le reste des colons.

3. Considérant que Monsieur Lejeune, vicaire moderne, sous le double rapport de la moralité et de l’aptitude est digne d’instruire la jeunesse confiée à ses soins,

4. Déclarons choisir ledit Monsieur Lejeune pour place d’instituteur de l’école primaire de cette commune,

5. Il jouira gratis de son logement et jardin et percevra deux cent quarante huit francs, quatre-vingts centimes à prélever ainsi qu’il a été spécifié au budget de cette année par Monsieur le préfet, et c’est attendu qu’outre les fonctions d’instituteur il remplit à la fois le ministère de vicaire.

6. Ledit instituteur devra donner gratuitement l’instruction aux enfants indigents qui lui seront désignés, depuis le premier lundi qui suivra le douze novembre jusqu’inclus le samedi de la veille des rameaux, le jeudi excepté.

7. Il percevra par mois de chaque élève non compris les indigents, une rétribution de soixante centimes pour les commençants qui n’écrivent pas, et nonante centimes pour ceux qui écrivent, à payer par les parents des élèves.

8. Il devra enseigner la lecture, les quatre premières règles de l’arithmétique, et les éléments du calcul décimal, commencer les leçons à huit heures jusqu’à onze du matin, à deux jusqu’à quatre après-midi.

Le Conseil se réserve de désigner annuellement le nombre d’indigents qui recevront l’instruction gratuite. Ce nombre ne pourra excéder le cinquième des élèves admis à l’école conformément à la loi du 11 floréal an X. La présente délibération sera soumise à l’approbation de Monsieur le préfet de ce département Fait en séance du Conseil municipal de Plainevaux, le 5 mai 1808″.

La délibération est signée par les membres du Conseil : J.L. Strivay, Lambert Dispa, J.Jh. Halleux, G.L. Thomas, J. Lecrenier, J. Morhet, Emmanuel Garitte, H.J. Strivay et le maire, R.J. Lafontaine.

Elle fut approuvée par le préfet du département, Micoud d’Umons, le 9 mai 1808

Il convient de remarquer qu’avec un traitement annuel de plus de deux cents francs, s’ajoutant à l’obligation légale de rémunération par les parents des élèves, et la disposition d’un logement et d’un jardin, le sort fait au vicaire-instituteur était bien plus enviable que celui qui est réservé à la plupart des instituteurs communaux de l’époque.

Texte communiqué par L. RADOUX. Décembre 1995.

1. F. MACOURS, « L’enseignement primaire dans le département de l’Ourthe pendant la Révolution (1795-1802) », dans « Bulletin de l’Institut Archéologique liégeois », tome LIX, Liège, 1935, p.81

2. Mémorial administratif du Département de l’Ourthe, n° 124 du 26 prairial An XI 3. Idem, no 377 du 8 avril 1807

4. Archives de l’Etat à Liège, Fonds français, Préfecture, Portefeuille n° 445-9

5. Ibidem

6. Ibidem