Les Ambassadeurs du Condroz Liégeois.
Texte communiqué par Charly DODET
1ère partie – Jean Del Cour.
Liège, où il mourut le 4 avril 1707, et Hamoir qui le vit naître en 1631, lui rendent sans doute dans leurs monuments un certain hommage. Mais un bien piètre hommage malgré tout. Pourtant, lorsqu’on approche l’oeuvre de Jean Del Cour (ou ce qu’il en reste), on comprend mieux la richesse et la valeur de notre artiste.
On sait peu de choses de sa vie, si bien que l’on mesure mal l’envergure du « Maître de Hamoir« , sa renommée de son vivant et l’héritage artistique qu’il a légué au style baroque et à l’art sculptural en général.
Tout le monde connaît, en général, la célèbre « Vierge à l’Enfant » de Vinâve d’Ile, à Liège, ou les trois grâces de la fontaine de la Place du Marché. Mais que sait-on d’autre d’une oeuvre aussi riche, intense, évolutive, mille fois copiée que celle de Jean Del Cour ? Les spécialistes se sont heureusement penchés sur son héritage artistique. Personnellement, c’est chez l’abbé Justin MORET et surtout chez René LESUISSE, deux références en la matière, que je puiserai les avis les plus avertis.
On sait que Del Cour est né à Hamoir en 1631. A cette époque, le village ne comptait encore que 70 à 80 maisons, mais c’était une localité importante et active sur la route d’Allemagne, avec ses forges et ses carrières. Son père était menuisier ou « scrini » comme on disait, et il habitait le quartier « del cour », d’où l’appellation. Sa mère venait du hameau voisin de Xhignesse, dont l’église était d’ailleurs la seule de Hamoir. Jean fut l’aîné des cinq enfants, suivi de Jean-Gilles, qui allait devenir un peintre lui aussi très célèbre, deux filles et enfin Nicolas, ordonné prêtre en 1668.
C’est à Huy que Jean Del Cour commença ses humanités au Collège des Augustins. A 15 ans, il les abandonna toutefois pour s’enfuir à Liège. Et, selon certains, il fréquenta l’atelier du peintre Gérard DOUFFET, un des premiers disciples de RUBENS, et du sculpteur de la Chartreuse Arnold HENRARD. Le premier lui apprit le dessin, le second à pétrir la glaise et manier l’échaudoir. C’est là qu’il apprécia la statuaire antique et les oeuvres de la Renaissance. Son apprentissage dura 6 ou 7 ans puis il suivit, dans son exil en Italie, le peintre DOUFFET dont le nom figurait sur la liste des proscrits en 1648.
Les grands monuments de l’Antiquité impressionnèrent le jeune Del Cour. Le voilà maintenant chez Jean-Laurent BERNINI, artiste considéré comme le plus représentatif de son temps en Italie et qui travailla pour les papes, les hauts dignitaires de la cour et les Romains nantis du XVIIe siècle. Promis à un bel avenir à Rome, Del Cour décida pourtant de rentrer au pays, le terroir wallon lui manquant. En 1657, il était de retour à Liège.
Dix ans plus tard, il s’installait à Liège, rue Soeurs de Hasque, mais il conserva à Hamoir une maison et un atelier important.
Son père mourut à Durbuy en 1664 et sa mère en 1673. Tous deux sont enterrés à Xhignesse. Dernier survivant de la famille, Jean Del Cour mourut célibataire, douze ans après son frère Gilles, le 3 avril 1707. Dans son testament il léguait tous ses biens à sa filleule, mais il légua aussi de quoi bâtir, au « pré Jouga« , la première chapelle de Hamoir. Sa construction fut achevée en 1739. En 1869, la population ayant augmenté, on bâtit à sa place l’église actuelle.
La statuaire religieuse liégeoise a connu, aux 17e et 18e siècles, un essor remarquable et l’on considère aujourd’hui Jean Del Cour comme l’incontestable plus grand sculpteur belge du 17e siècle.
Dans son oeuvre, dans l’évolution de son art, on décèle, au gré de ses sculptures et bas-reliefs datés, différentes étapes. Très tôt, on sent chez Del Cour, la nette influence de Bernini, son maître à penser italien.
Une des plus anciennes créations de Del Cour, le Christ en croix de bronze qui orna le pont des Arches à Liège en 1663, déplacé en l’église des Capucins avant la Révolution et que l’on peut voir aujourd’hui à la cathédrale Saint-Paul, est typique à ce point de vue. Ecoutez ce qu’en dit Lesuisse : « La forme est nette, sans ostentation anatomique et sans envahissement graisseux. Les détails sont exprimés avec sobriété. (…) On est frappé par la clarté de la pensée et la sobriété de l’exécution« .
En 1663, Del Cour est considéré comme un artiste complet, bien équilibré. On citera de lui, en 1669, un mémorial commandé par la Confrérie du Saint Sacrement, pour l’église de Spa. Pétri de romantisme, Del Cour habille ses personnages et meuble ses fonds « à l’antique« . Il met en évidence le sujet à exprimer, en négligeant quelque peu les détails. A 39 ans, il s’en tient à un baroque à l’italienne, par opposition aux Flamands, qui accordent autant d’importance au détail qu’au sujet principal.
En 1667, Del Cour contribue à la réalisation de la fontaine Saint Jean Baptiste, en Hors-Château. Mais avec les statues réalisées pour l’église Saint Jacques à Liège, on peut dire que Del Cour a définitivement abandonné la conception spatiale au profit de la conception expressive. Il abandonne les attitudes qui reposent fermement sur le sol pour adopter celles qui s’élancent dans l’espace. Tel est son Saint Benoît, créé en 1687 (Hanchement bien prononcé, jambe repliée, élargissement du geste, amplitude du drapé).
La statue de Saint Jacques le Mineur, en l’église Saint Jacques à Liège, qui date de 1691, est considérée comme un chef-d’oeuvre de Del Cour.
Les spécialistes y voient un frémissement intérieur se reporter dans les vêtements, une vie intérieure ardente éclater en lyrisme. Remarquez la position surélevée du pied gauche qui entraîne un rythme nouveau, lui-même amplifié par le geste des bras levés. La lumière y joue avec des ombres étranges.
En 1696, Jean Del Cour a 65 ans. C’est cette année-là qu’il va réaliser l’oeuvre qui l’immortalise, la célèbre fontaine à la Vierge de Vinâve d’Ile à Liège.
A l’époque du sculpteur, ce monument était entouré de gradins circulaires et d’une grille, et surmonté d’un perron. On raconte que la statue de la Vierge a été fondue dans le métal d’un ancien perron qui existait au-dessus de cette fontaine auparavant et avec le cuivre du balcon de l’ancienne maison communale de la Violette. C’est une des oeuvres maîtresses de l’artiste.
De 1670 à 1696, on constate que les grandes lignes, les creux puissants, le dessin net ont fait place aux petites brisures, aux creux légers, aux directions imprécises. A la rigueur de la robustesse plastique succède une sorte de vibration purement visuelle.
En 1698, on commande à Del Cour la restauration du perron de la fontaine de la place du Marché, le tout aussi célèbre Perron de Liège. On note tout particulièrement le charme des Trois Grâces en marbre blanc. Par la suite, en 1717, le perron menaçant ruine, on retirera les statues pour les installer dans le hall du nouvel hôtel de ville.
Del Cour a aussi conçu des ensembles monumentaux mais la plupart ont été dispersés ou détruits. Subsistent encore intacts le monument funéraire d’Allamont, à Saint Bavon de Gand et le maître-autel de l’église abbatiale d’Herckenrode, aujourd’hui transféré à Hasselt.
Parmi toutes les oeuvres de Del Cour que l’on dénombre à l’heure actuelle, on évoque volontiers les cinq grandes statues de l’église Saint Jacques, les bas-reliefs en marbre blanc de Saint Martin. Une anecdote : il y avait aussi de Del Cour un crucifix en bois de buis, mais il a disparu durant la dernière guerre. Citons aussi la Vierge assise du maître-autel de la collégiale d’Amay, une pierre tombale en marbre blanc qui se trouvait dans l’église Saint Mengold à Huy, deux anges en la chapelle de Xhignesse, des oeuvres importantes en de nombreux sanctuaires liégeois,…
On lui attribue encore les dessins de toute l’église de Vyle-Tharoul aujourd’hui détruite.
Sculpteur, Del Cour était aussi ce que nous appellerions aujourd’hui un architecte-décorateur et un maître de carrière, car pour s’assurer sa matière première, il avait loué une carrière de marbre noir à Theux.
Si la statuaire religieuse liégeoise a connu un tel succès aux 17e et 18e siècles, il faut remarquer que l’on a souvent préféré au marbre un bois tendre, peint en blanc, le tilleul, si bien que nombre d’oeuvres ont été détruites par le temps. La vente des églises et des chapelles, les démolitions et l’enlèvement d’oeuvres d’art à Liège dès 1797 et jusqu’en 1808 ont eu raison de bien des trésors d’art de Del Cour et de combien d’autres.
Interprète de la grâce et de l’élégance, de la tendresse (comme dans la fontaine de Vinâve d’Ile), de l’énergie et de la rigueur (on le constate dans l’attitude tragique du Saint Joseph de l’église Saint Antoine de Liège et le geste triomphant du Saint Jacques de l’église du même nom), Del Cour reste aussi le virtuose de la draperie. Nul n’est plus habile que lui pour la creuser, l’onduler, la faire claquer au vent dans un jeu d’ombre et de lumière.
L’artiste de Hamoir a maîtrisé la pierre autant que le bois ou le bronze, il les a anoblis, a fait chanter, vibrer et s’animer les éléments.
Son visage, c’est celui que son frère artiste-peintre fit de lui en 1680, mais c’est aussi celui de ses oeuvres où l’intelligence rejoint la grâce, l’émotion et la beauté.