Les Ambassadeurs du Condroz Liégeois (2)
1Texte communiqué par Charly DODET
2ème partie – Ovide MUSIN
Nul n’est, dit-on, prophète en son pays. Cet adage convient certes à Ovide Musin mieux qu’à quiconque. Voilà en effet un Condrusien qui, à la fin du siècle dernier, a fait le tour du monde, a fait connaître la musique et son talent aux quatre continents, a même fondé une école à New-York ! Et nous, les Condrusiens, à peine connaissons-nous encore son nom…
Ovide Musin est né en 1854 à Nandrin, en Condroz, dans une grosse maison de la place du village . Il était le fils de Jacques Musin, un ingénieur civil et de Louise de Mille. Il naquit quatre ans avant Eugène Ysaïe.
La carrière du jeune Musin a commencé très tôt : à 15 ans, il est déjà premier violon solo au Théâtre royal de Spa. Il rencontrera les plus grands virtuoses de son temps, même il deviendra l’ami de Henri Léonard, de Vieuxtemps et de Camille Saint-Saëns. Celui-ci, de 20 ans son aîné, composa ses premières oeuvres à 5 ans et donna son premier concert à 11 ans. En 1877, il composait « Samson et Dalila« , l’une de ses grandes oeuvres dramatiques.
La même année, Musin, lui, passait la Manche pour jouer « Le Déluge » de Saint-Saëns, une oeuvre qu’il interprétera cinq années durant.
Sa première tournée, Musin l’a faite deux ans auparavant, en 1873, à 19 ans. Il dirige des orchestres à Londres, à Vienne, à Paris. A Paris justement, il forme un quatuor à cordes qui fera connaître aux Parisiens la musique de chambre de Brahms.
1879 : Ovide Musin a 25 ans. Il commence une carrière de succès, d’aventures et de travail acharné qui le conduit d’abord à Copenhague, puis à la Cour du Tsar de Russie, en Sibérie et en Amérique. Son ami Saint-Saëns a d’ailleurs dédié à Musin un morceau de son concerto opus 62.
Le virtuose condrusien n’était pas seul pour exprimer son art; à 18 ans, ses premiers concerts, il les donna avec Anna de Belloca. En Hollande, c’est son amie Nilson qu’il emmena avec lui. Et en France, le baryton Fauré. A 19 ans, pour son premier voyage en Amérique, son imprésario s’appelle Abbey.
Nous retrouvons Ovide Musin en 1890. Il a 36 ans et il fait le tour de l’Amérique. Chaque soir, jusqu’en juin de l’année suivante, il joue. Il joue avec passion. Le voilà à Boston, à Portland, à Topeka, dans le Sud du Kansas, à la Nouvelle-Orléans; il traverse le Texas, la Californie du Sud, se produit tout le long du Pacifique. A Boston, où il est accueilli avec sa troupe, les concerts ont lieu à bureaux fermés. A San Francisco, les recettes sont plus importantes que celles de la troupe de l’opéra « Bostonians » avec ses 70 exécutants !
En mai 1892, Musin découvre l’Australie où son imprésario, R.E. Johnston l’a devancé de 60 jours pour préparer la tournée. En 34 semaines, Musin donnera la bagatelle de 230 concerts !
Après l’Australie, il y aura le Japon, puis la Chine. C’est l’époque où l’artiste condrusien écrit « My Memories« , un ouvrage dans lequel il raconte ses aventures de par le monde.
En 1898, las de voyager, il rentre à Liège où il est appelé à donner, pendant dix ans, le cours supérieur de violon au Conservatoire royal de la Cité Ardente.
La grande presse internationale et américaine en particulier s’enflamme pour lui. Ainsi, l' »American Art Journal » écrit, en 1897, « Les nombreux succès qu’il a obtenus dans le monde entier ont placé depuis longtemps Musin en tête des virtuoses du violon. Nous avons entendu Vieuxtemps, Léonard et beaucoup d’autres mais nous devons sincèrement confesser que nous n’avons jamais eu une joie artistique plus complète…« .
Un peu plus tard, en 1907, c’est « The Musical Observer » qui écrira de son côté : « Il n’y a aujourd’hui de nom plus connu dans le monde du violon que celui d’Ovide Musin…« .
Le « New York Times » lui-même et le « New York Tribune » consacreront par la suite à la carrière d’Ovide Musin des articles d’une longueur impressionnante et inusitée…
1908 : Musin ne tient plus. La nostalgie du Nouveau Continent le rappelle. Il est vrai que Musin a d’autres raisons de rentrer à New York que les éloges de la presse américaine : dix-sept ans auparavant, il avait épousé le « Rossignol américain » comme on l’avait appelée, un soprano new yorkais qui a participé aux deux tours du monde musicaux de son wallon de mari. Aussi, est-ce tout naturellement que Musin démissionne du Conservatoire de Liège et que le couple s’installe, en 1908 dans l’un des quartiers les plus chics de New York : Brooklyn où Musin fonde -hommage ou défi à sa patrie ?- le « Belgian Violon School« , école belge de violon dont il sera le premier directeur.
Interprète de génie, Musin fut aussi un compositeur. On lui doit des oeuvres pour violon et piano et pour violon et orchestre, des concerti, une « Mazurka romantique« , une « Mazurka de Bravoure« , etc.
Mort à Brooklyn le 24 novembre 1929, à l’âge de 75 ans, il serait sans aucun doute tombé dans le plus total oubli chez nous si, 33 ans après sa mort, dans son village natal, il ne s’était trouvé quelqu’un pour réveiller les mémoires.
Mme Zujic-Gerday, fille d’un ancien élève de Musin, créa un comité d’hommage qui aboutit, l’année suivante, à l’inauguration sur la place communale de Nandrin, d’un buste réalisé par le sculpteur liégeois Louis Dupont. Cette oeuvre nous restitue la bonhomie d’un artiste complet, chaleureux et précurseur s’il en est des plus grandes tournées du show business à travers le monde.
Le voilà donc ce Condrusien qui, au siècle dernier, a fait vibrer les salles les plus dissemblables, à Tokyo, Hawaï, Boston, Java, Londres, Paris et qui a échappé aux primitifs de Nouvelle-Zélande comme aux typhons du Pacifique. Cet Ovide Musin à qui nous sommes reconnaissants malgré tout d’avoir incrusté un air de Condroz dans cette ville fondée jadis par d’autres Wallons, New York…