.Marc LORNEAU
En 1929, dans Les Veillées Villageoises, Renaud Strivay nous conte son Initiation à la poésie à l’école moyenne de Seraing: « Jusqu’alors, j’avais cru que les vers tombaient de la plume des poètes comme l’eau tombe de la cascade (…). Mais quand j’eus compris que l’écrivain devait s’acharner sur un tercet ou un quatrain, comme un orfèvre sur un bijou, je me sentis grandi de cent coudées et (…) me mis à rythmer ma première chanson« 1
Ensuite, à l’école normale de Huy, « un de mes pâles essais tomba (…) entre les mains d’un poète hutois (…). Le lendemain, il me fit mander près de lui, me félicita de ma bonne volonté et, après m’avoir enseigné les règles essentielles de la prosodie, me lut en les disséquant quelques-uns de ses meilleurs poèmes; Ce fut pour moi un jour de gloire! Le ciel me paraissait plus bleu (…) et je tâchais de découvrir, parmi les femmes rencontrées sur ma route, celle qui ressemblait le mieux à la Muse« 2. Dès lors Renaud Strivay vécut « en communion constante avec les arbres et les vents, les astres et les oiseaux, bien plus qu’avec les exercices d’algèbre et les théorèmes de géométrie« 3.
Cet amour de la nature est une des clés pour comprendre la poésie de cet homme qui, ample mais toujours claire, riche mais toujours accessible, s’articule autour de quelques thèmes et influences principaux. Il est certain d’abord que Renaud Strivay, qui dans l’introduction à son deuxième recueil, Du coeur à l’âme (1900), se considérait lui-même comme un « exilé des champs« 4, appartient à ce courant qui , au tournant du siècle, s’attachait à doter la Wallonie d’une littérature originale profondément enracinée dans son terroir. En 1904, ses Chansons claires sont saluées par Edmond Picard, Albert Mockel et Fernand Séverin, tandis qu’en 1908, Albert Bonjean parle en ces Termes du Poème des saisons: « la poésie de Renaud Strivay puise son inspiration dans les paysages natals, dans le milieu où s’est écoulée l’enfance de l’écrivain, dans l’atmosphère dont on se grise par habitude et par besoin« 5
Quant à Jules Destrée, il proclame « avoir trouvé dans ces petits poèmes une fraîche odeur de champs et de nature« 6
Poèmes où, d’après Georges Rency, l’auteur « dit simplement, sans vaines recherches, ses émotions et ses rêves« 7.
Comme nombre de ses contemporains, Renaud Strivay chérit les poètes parnassiens et en particulier Sully Prudhomme (1839-1907) auquel il rend hommage à plusieurs reprises. Ce dernier, qui entreprit de « faire entrer dans le domaine de la poésie les merveilleuses conquêtes de la science et les hautes synthèses de la spéculation moderne« ? ne pouvait que toucher Strivay qui s’oriente, avec La Vie ardente (1913) puis L’effort glorieux (1921), vers une poésie de plus en plus sociale, imprégnée des divers aspects de la vie industrielle. A la suite d’Emile Verhaeren « dont les vers trépidants chantent la vie actuelle dans ses manifestations les plus tumultueuses » et de tous ceux qui « exaltent la pensée et la science de l’homme devenu plus puissant que les dieux et les héros des mythologies« , Renaud Strivay se définit de nouveaux objectifs: « A notre tour, nous qui vivons dans la cité bruyante de Seraing, nous avons voulu, en ce recueil de poèmes, dégager la poésie tragique des horizons calcinés, des corons lépreux et des ateliers fumants d’où montent les clameurs de l’existence prolétarienne« 8.
Dans sa préface à L’effort glorieux, Georges Eekhoud lui donne l’assurance qu’il a atteint son but: « … mon cher Renaud Strivay; vos décors industriels, vos moeurs ouvrières, vos types de travailleurs m’ont ravi et souvent profondément touché par leur lyrisme, leur coloris et surtout par leur vive et profonde sympathie humaine« 9.
Avec Les Heures Enchantées (1925-1926) et L’Echarpe d’Iris (1931), Renaud Strivay revient aux thèmes qui, de tout temps, lui ont été les plus chers: les souvenirs d’enfance, le Condroz, la Nature.
Avant de lui laisser le soin de conclure et d’expliquer ce retour, nous nous contenterons de souhaiter un nouvel avenir aux oeuvres de Renaud Strivay qui en 1929, écrivait, à propos de son chemin de poète: « Dès lors, je mis toute ma confiance en moi-même et, loin des cénacles d’exaltation mutuelle, je poursuivis ma route, très humblement, comme les trouvères de jadis…
Avant tout, comme les oiseaux de nos bois, je chante pour moi-même« 10
1STRIVAY(R.), Initiation, in : Les Veillées villageoises, o.c.,p.18
2Idem,p.19
3Ibidem
4Strivay(R.), Du coeur à l’âme, Seraing, G. Lecomte-Monard,1900,p.5
5Citée dans: DETHIER (René), Préface, in: STRIVAY(R.), Aux Tournants de la Vie, Charleroi, Ed. de la « Jeune Wallonie », 1910, p.7
6Idem, pp.7-8
7 Cité dans: DETHIER(R.), Préface, in: STRIVAY(R.), Aux Tournants de la vie, o.c., p.8
8 STRIVAY (R.), La Vie ardente, Seraing, A. Génard, 1913, p.7
9 EEKHOUD (Georges), Préface, in: STRIVAY(R.), L’Effort glorieux, Seraing, P.Martino, 1921.
10 STRIVAY(R.), Initiation, in: Les Veillées Villageoises, o.c.,p.20