Un siècle d’histoire anecdotique de la Neuville-en-Condroz de 1840 à 1940.
Dessins Renaud BERTRAND
Tout au long de ma promenade, j’ai croisé pas mal de personnes: Benjamin bien entendu. Il circule tous les jours même le dimanche et aussi 2 fois par jour en semaine pour distribuer le courrier. Il s’arrête à la maison pour manger sa tartine et maman lui verse une tasse de café qu’elle vient de passer au ramponô; en hiver, papa lui sert parfois un petit pèket; il est à peine huit heures et il est en route depuis cinq heures et demie et la bise mord et …ça nous permet d’avoir les nouvelles du village qui ne se trouvent pas, bien entendu dans la gazette qu’il apporte.
Il y a aussi Fernande ou Sidonie, les couturières qui louent leurs services dans les fermes et dans les « grandes maisons« ; en voilà encore deux qui sont au courant de tous les potins du village. J’ai vu aussi Irma qui faisait prier à l’enterrement de la vieille Hortense qui est morte hier et qui sera enterrée jeudi à 10 heures. Parfois je vois Jef, le flamand , marchand de draps portant son énorme ballot sur l’épaule. Au milieu de la cuisine, il défait de gros noeuds et libère des essuies, des lavettes et des torchons, des draps de « mains » et des draps de « maisons » des draps de lit en pilou ou en coton et surtout en lin venant directement des usines de Courtrai.
Plus rarement c’est le vendeur de « trappe-souris » avec sa ferblanterie. Un autre son de cloche: c’est le « pétroli » et sa charrette, il vend le combustible des quinquets (l’électricité n’est venue qu’après 1920) ou c’est le vannier: attention, celui-ci annonce la pluie, à ce qu’on dit!.
Mais
n’allez pas croire après celà qu’à la Neuville les gens ne savent
pas s’amuser et qu’on travaille tout le temps. Oh que non!
C’est
ainsi qu’en hiver, on va cizer
chez les voisins; ainsi chez moi, Zénobe notre voisin l’herbager
chez qui je porte chaque jour ma jusse, pardon ma cruche à lait,
Jean de la cristallerie et Benjamin le facteur sont réunis autour
du quinquet pour jouer à la « matche« .
Papa, après avoir mouché la mèche qui fumait, est allé à la
cave chercher la bouteille de pèket dont il remplit les petits
plats-culs pendant que chacun prépare ses cennes;
aux grandes occasions il sort une bouteille de vieux bourgogne.
Pendant ce temps, les épouses s’échangent les nouvelles tout en tricotant, crochetant ou brodant et en buvant une jatte de café accompagnée de petits bonbons faits maison. Ainsi j’apprends que pendant la guerre (l’autre) les boches, pardon, les Allemands ont encerclé le château pour prendre le baron parce qu’il aurait signalé leur position au fort de Boncelles et comme ils n’ont pas pu mettre la main dessus, grâce à sa fuite par les souterrains, ils ont saccagé tout l’intérieur: les livres de la bibliothèque ont été éparpillés sur le sol, les tableaux sur toile, lacérés, les meubles renversés ou découpés par ces vandales pour en faire du bois de chauffage, les latrines souillées….. Maman raconte à ses voisines que l’Inspecteur à demandé au Bourgmestre de faire mettre des encriers dans les bancs et de remplacer la cloche de l’école.
Mathilde, de son côté a appris que le menuisier Stiennon a reçu 4 frs du bureau de bienfaisance pour le petit cercueil de l’enfant de chez Constant; elle dit aussi que son mari, le facteur, lui avait dit que Nandrin, l’aubergiste avait reçu 2 frs 50 de la commune pour avoir hébergé la nuit dernière, 2 ouvriers pudleurs indigents venant du Luxembourg et qui cherchent du travail.
Sylvie, notre voisine, se demande qui on va avoir pour remplacer Antoine qui a donné sa démission comme fossoyeur.
Mathilde reprend en disant qu’il y a des affiches aux 7 Fawes qui disent que les assassins d’Anne ont été condamnés l’un à mort, l’autre à perpétuité. Quant à Sylvie, elle raconte que la commune a fait une enquête sur un fermier qui voudrait engager un garçon de 15, 16 ans, comme vacher alors même qu’il aurait de bons gages, selon son travail bien sûr et qui seront versés sur un livret de caisse d’épargne et qu’en plus, il aurait un lit et une chambrette pour lui tout seul! Qu’est-ce qu’on veut de mieux? Et maman de lui demander si c’est ce même fermier qui a touché 29 frs pour un cochon de 29 kgs qui est mort du rouget?
Hortense leur apprend que les débitants de cigares rouspètent contre la taxe annuelle de 16 frs qu’on leur réclame!. A ce moment-là, les maris se retournent pour leur demander de parler moins fort car ils ne savent plus se concentrer sur leur partie de cartes! C’est pourquoi, deux tons plus bas, Hortense continue pour leur apprendre que le mayeur a écrit au Commissaire d’arrondissement pour lui faire connaître qu’en l’absence d’une « chambre sûre » pour servir à l’incarcération de délinquant quelconque, on pourrait disposer de la morgue du cimetière. « Et saviez-vous, ajoute-t-elle, que Mademoiselle Bleurheid habite le faubourg de Constantinople? » et Mathilde de demander: » Constantinople? w’est-ce que c’est ça? » Et maman de lui répondre: » Mais c’est Byzance! la Turquie, les mille et une nuits! » Tenez,tenez,tenez!!!
Elles parlent aussi de l’autorité de l’abbé Cordonnier qui est telle qu’elle fait fuir des paroissiens qui se tournent alors vers le culte du Père Antoine.
A propos de curé, il faut que je vous raconte en deux mots l’histoire de la chapelle dite de « Tornaco« . En 1831, la Fabrique d’Eglise dûment autorisée, a concédé au comte de Lannoy, un terrain jouxtant le choeur de l’église pour y faire une sépulture suite au décret du 23 prairial de l’an XII. Plus tard, la famille de Tornaco avait pris l’habitude d’assister à la messe depuis cette chapelle funéraire. Sur plainte de l’abbé Franck, curé de l’époque, le Ministre de la Justice interdit cette pratique en 1844, tout en leur accordant la jouissance des deux premiers bancs fermés en haut et à droite dans l’église, ceux de gauche étant réservés aux fabriciens. Ce litige privera plus tard, l’église de certains dons que les curés demanderont par la suite aux chatelains de la Neuville qui avaient été vexés.