0503.LES TROIS SEIGNEURIES

R. HERRIN et H. GROSJEAN

Au début de notre millénaire, une part importante (plusieurs milliers d’hectares) de la vaste forêt occupant l’interfluve Meuse-Ourthe, se trouvait sur le territoire des actuelles communes de Flémalle-Neupré et Seraing, rive droite.

A l’intérieur des limites modernes de celles-ci, cette masse forestière abritant quelques villages et hameaux, resta composée durant des siècles de quatre secteurs principaux1. Ce furent :

  1. Les bois du monastère du Val-Saint-Lambert.
  2. Les bois des Seigneurs de la Neuville-en-Condroz.
  3. Le bois de la Principauté de Liège dit « bois commun ».
  4. Les terrains gérés par les communautés rurales selon de complexes droits coutumiers datant du 9ème siècle sinon plus loin2. Au fil du temps, ces terres évoluant vers l’agriculture devinrent soit propriétés privées, soit bien communaux.

Nous parlerons peu des communautés : leur part de sylve s’amenuisa du fait des besoins agricoles jusqu’à disparition complète3.

Leur gestion concernait notamment versants et plateaux de la rive droite de la Meuse, en regard de la courbe de celle-ci.

Sous l’action des défrichements, la lisière forestière recula progressivement vers les sommets.

Il y a deux siècles, cette lisière s’étirait encore entre les actuelles places de la Bergerie et de la Chatqueue à Seraing, en passant par la Belle Pierre. Les Biens-Communaux et les hauteurs de la Chatqueue étaient donc toujours boisés (Bois des Masuirs), mais il ne s’agissait plus que de broussailles, landes pâturées, essarts, résultats de la surexploitation. Comme les pentes inférieures, ces bois maigres se transformèrent en campagnes puis en quartiers d’habitations.

Les autres territoires, les trois seigneuries où la forêt se perpétua jusqu’à nos jours, ont inspiré le titre de cet ouvrage.

Leur point de rencontre géographique évoluait aux alentours des confluents des ruisseaux de la Neuville, du Chèrâ, de la « Petite Vallée« 4. De ce fait, le site s’appela « Les Trois Seigneuries » ou encore « Les Trois Ris« .

A la fin du 19ème siècle, les héritiers de l’ancien Régime possédaient dans l’angle Nord des rus Neuville/Chèrâ, la forêt dite « de la Vecquée« . De l’autre côté, dans l’interfluve des mêmes ruisseaux, prospérait la forêt de la Neuville. En face, rive gauche du ruisseau principal, s’étendait le Bois de Rognac, ancienne possession de l’Abbaye du Val-Saint-Lambert.

Les limites administratives des trois communes concernées sont exactement les mêmes à cet endroit. Mais l’appellation « Les Trois Seigneuries« , après s’être modifiée en « Les Trois Peupliers« , fut remplacée par le surnom moins poétique « Al Tram » (La Tram), allusion au chemin de fer vicinal qui, durant plus de soixante ans, traversa ce lieu-dit.

Première Seigneurie

Les Bois de l’Abbaye du Val-Saint-Lambert

Villencourt ou le Val-Saint-Lambert

1738 – « Un valon dont les agréables Colines s’écartent suffisamment pour lui donner une assez belle largeur . . . ofre à la vue mile Tableaux . . . Ces Coteaux couronnés de forêts de haute futaie, dont la pante insensible forment un Amphitéatre est chargée de quantés de vignobles, de jardins et de vergers entrelassés parmi de superbes rochers . . . (qui) bordent ce Valon garni de prairies émaillées, que cent Ruisseaux tortilleux rendent gras et fertile.

Rassemblant ses eaux tranquilles, après avoir arosé ce terrein & fourni le Monastère, il les conduit dans un Bassin de cinq cent piés de longueur, sur une largeur de cent cinquante . . . ».

SAUMERY.

GéographieGéologie (sommaire)

Situé au Nord/Ouest de la forêt, le site se répartit entre Flémalle et Seraing, de part et d’autre du ruisseau de La Neuville, limite de ces deux communes. Observé des hauteurs, il offre la forme d’un amphithéâtre allongé. Les versants sont surtout forestiers. La région basse est plutôt campagnarde. Une partie de la crête du Bar est occupée par de l’habitat. Le Nord du cirque est fermé par les Cristalleries qui succédèrent au monastère du Val-Saint-Lambert.

Situation en 1777

La découpe périmétrique de la clairière (domaine de la ferme de l’Abbaye) est fort semblable à ce qu’elle est maintenant. Le ruisseau est évidemment à ciel ouvert partout. Un biez part du Sud de la plaine alluviale le long du versant de gauche puis rejoint le ruisseau. Face à cette jonction, un autre biez va vers l’Abbaye dans laquelle il pénètre sous les bâtiments de la ferme.

Le réseau de chemins desservant le monastère est déjà important :

  1. l’un vient de la Meuse en passant sous la Tourette; l’autre rectiligne, court jusqu’au bout de la friche humide du fond de la vallée (sous-secteur n° 1);
  2. une voie forestière vers la Neuville s’élève en biais dans les champs jusqu’à la lisière de la forêt (s.s. n° 3). Dès cet endroit, ce n’est plus qu’un sentier qui escalade la colline plein Sud, sillonne les plateaux des Bois de l’Abbaye et de la Vecquée pour redescendre dans le vallon du Chèrâ, franchit le ru, emprunte la Petite Vallée, débouche sur le plateau du Bois de La Neuville pour se souder, au Berceau Madame, à l’Allée de l’Ermitage;
  3. le chemin de l’Abbé grimpe directement vers l’Est (s.s. n° 3), contourne l’amont du Fond des Stiennes (s.s. n° 4) et s’unit à l’Allée du Ban de Seraing dans le Bois des Masuirs. Là, cette importante voie de communication se scinde en plusieurs embranchements menant à Lize, La Neuville, Rotheux (Voie du Chèrâ), Boncelles, Plainevaux (Allée du Ban).

Situation de nos jours

Le ruisseau entre sous terre jusqu’à la Meuse, dès qu’il atteint les Cristalleries (soit 200 mètres avant l’ancienne enceinte de l’Abbaye). Le premier biez a peu changé, mais du second il ne reste qu’une cinquantaine de mètres.

Le réseau de chemins est un peu plus important :

  1. si la Tourette a disparu, sa rue va maintenant jusqu’au moulin industriel de Villencourt. Il ne subsiste au total, çà et là, que quelques centaines de mètres du Chemin de la Friche. Il est remplacé par l’ancienne assiette du chemin de fer vicinal (elle remonte la rive droite du ruisseau, s.s. n° 1).
  2. la voie vers La Neuville est toujours là, bordée par des cépées de peupliers jusqu’à la même lisière (s.s. n° 3). Mais elle se termine maintenant au Chemin des Macrâles (créé après 1867). Celui-ci vient du Sud de la Colline du Bar (La Solitude), en recoupant successivement le biez du moulin, l’ex-chemin de la Friche, l’ex-voie du chemin de fer vicinal. Avant de rejoindre le Chemin de l’Abbé, il reçoit donc la Voie de La Neuville dont la continuation en sentier est disparue sur de grands tronçons;
  3. du Chemin de l’Abbé, il ne reste que des vestiges en creux (s.s. n° 3). Il ne réapparaît vraiment sur quelques centaines de mètres, qu’après son union avec le Chemin des Macrâles vers l’amont du Fond des Stiennes (s.s. n° 4), où les remblais le font disparaître.

Vers l’Ouest, non loin de la Solitude, les alentours d’un château du 19ème siècle sont sillonnés par quelques chemins et sentiers, de même que le Fond des Stiennes vers l’Est. Un autre chemin suit le sommet de la Grande Colline, dans la partie Sud du site. Il en descend des sentiers (s.s. n° 3).

La faille eifélienne traverse le site d’Ouest en Est. Elle y sépare les soubassements du Dévonien et du Houiller. Les étages inférieur, moyen et supérieur du Houiller sont représentés à Villencourt au Nord de cette faille. Le fond du val est une plaine alluviale à drainage lent (s.s. n° 1). On remarque également en plusieurs endroits la présence de dépôts caillouteux de terrasses. Les dénivellations sont particulièrement remarquables sur le versant Nord de la Grande Colline (s.s. n° 3).

1D’autres, détachés plus tard de ce qui est toujours le massif actuel, ne seront pas étudiés.

2Structure du domaine carolingien, selon L. Genicot et P. Houssiau, in le Moyen-Age, Casterman :

« . . . la villa se divise en deux lots, la réserve et les tenures.

– La réserve est mise en valeur au profit du maître par des serfs qui lui sont attachés à demeure et par des corvéables . . .

– Les tenures sont cultivées par les serfs ou les corvéables à leur propre profit. Elles sont le plus souvent constituées en « manses » . . . (qui comportent) des droits sur les bois de la réserves. La superficie de la tenure varie . . . de 3 à 30 hectares. . . . (« . . . le manse (masure) était un lot concédé à une famille paysanne (masuirs) et suffisant pour la faire vivre. C’était aussi un ensemble de droits. Les superficies du manse variaient énormément.l).

A l’époque médiévale qu suivit, les seigneurs louaient à une famille, à perpétuité, certaines terres (voir « tenures » carolingiennes) tout en conservant leurs droits tréfonciers. Les tenanciers ou Masuirs avaient la jouissance effective moyennant une redevance immuable, un « cens ». Cette location comprenait le droit d’aller chercher hors de chez soi, dans la forêt du seigneur (voir « réserve » carolingienne) ce qui était nécessaire aux besoins de la vie rurale et ne se trouvait pas ou plus dans les terres exploitées. Outre les Masuirs, les serfs ou manants avaient des droits d’usage dans la forêt.

Pour le ban de Seraing, par exemple, il semblerait qu’initialement, une soixantaine de Masuirs (tenanciers primitifs) disposaient chacun de 4 bonniers minimum (ou mazure) dans le Bois du Ban d’abord, dans le Bois des Masuirs ensuite, indépendamment de droits ancestraux dans tous les Bois du Ban. Ils virent ces avantages accrus lors de la constitution du bois commun indivis (future Vecquée).

3Mais les communautés rurales conservèrent longtemps des droits d’usage dans les autres secteurs forestiers.

4Les limites se modifièrent par legs et tractations immobilières. Le Monastère du Val-Saint-Lambert en était arrivé à prolonger le Bois de l’Abbaye par le Bois de Rognac allant de la Croix Saint-Hubert (Ivoz) au Petit Moulin (Neuville).