R. HERRIN et H. GROSJEAN
1ère Seigneurie – Les Bois de l’Abbaye du Val-Saint-Lambert (2).
VILLENCOURT
Apercu historique.
On peut se demander si l’origine profonde du sîte et d’une grande part de la forêt avoisinante, ne remonte pas à une époque lointaine où une fortification s’érigeait au sommet de la Colline du Bar ou Montagne d’Ivoz (SS n2).
Ces remparts légendaires – aujourd’hui disparus – surplombant les ultimes vagues forestières venant border la Meuse, veillaient peut-être sur le trafic du fleuve.
Des mentions confuses sont faites à une bataille au cours de laquelle des pillards étrangers, surpris par la garnison alertée, se virent défaits et leurs captifs libérés. A la suite de quoi , un pèlerinage et une chapelle furent institués près des murailles salvatrices et donnèrent les noms de « Croix au château » ou « St Lambert Chaesteal ».
La forteresse passe pour avoir appartenu à la lignée des de Clermont. Il semble aussi que l’un d’eux disposa un jour de ses grands biens – sous forme de donations ou de ventes – notamment vers l’Eglise de Liège (Chapitre cathédrale c’est à dire l’Etat) ainsi qu’au bénéfice des faibles populations locales.
Les tenanciers primitifs de ces antiques domaines profitèrent de ces largesses mais aussi la future abbaye cistercienne. Celle-ci reçut par le biais de la Principauté son lieu d’implantation. A ce moment, le château devait être abandonné, ruiné, car seule la chapelle commémorative est citée.
C’est elle qui donna le nom au vallon: val St Lambert!
En 1188, pour satisfaire au voeu du Comte de Clermont, les cisterciens provisoirement installés à la Rosière près d’Esneux – un legs de ce seigneur – se voient attribuer par le prince-évêque des terres au lieu-dit « Champ des Maures », au débouché en Meuse du ruisseau de la Neuville, devant la Colline du Bar.
Ce choix fut-il lié au fait que ces bois appartenaient autrefois, peut-être, à la famille de Clermont?
Des textes ratifient cette donation:
1202 « …ratification de la donation faite à l’abbé de Signy par Hugues, évêque de Liège, d’une vallée qui est située sous la chapelle St Lambert, au lieu-dit Champ des Maures..«
« Champs des Maures », appellation étrange aux diverses interprétations ne serait-il pas l’endroit où les pillards mentionnés ci-dessus furent anéantis1?
Documents: Archives de l’Abbaye du V.S.L.
Copie extraite d’une chronique existant près de la cité de Liège en l’église de St Lorrin (St Laurent?).
L’an 326, Porus duc de Lotrange entra en Condroz avec grand nombre de gens d’armes puis passa la rivière Meuse où il fit multes grands dommages car il y ardit multes villes et prit hommes, femmes, enfants et tous leurs biens et les emmena …mais quand il dut passerprès du château M. Butoir qui était alors appelé château Gentis et après fut nommé le Château aux croix et Château St Lambert, le dit Butoir qui était fils du comte de Clermont, qui avait rassemblé tous ses amis, courrut sur le dit duc de lotrange, le fit prisonnier avec plusieurs autres et tua le restant. Peu en réchappèrent. Il (seigneur Butoir) récupéra tout ce que le dit duc emmenait et quand St Valentin le 9ème évêque de tongres fut informé de la dite victoire, il édifiat une église de St Materne, le premier évêque de Tongres, dans le dit château et la dédicaça le second jour de l’Ascension et ordonna que dorénavant toutes les gens …qui avaient été délivrés par le dit seigneur Butoir vinssent en procession (avec croix) en dit château, tous les ans, lendemain de l’Ascension, pour honorer Dieu et St Materne en rendant grâce et louange à Dieu du paradis de leur délivrance et allégement de leur captivité et ce fut 374 ans avant que Liège fut commencée… c’est la raison pour que les croix soient portées en la place du lieu d’IVOZ qu’on dit aux Croix en château le lendemain de l’Ascension.
(étude J.G. Schoonbroodt sur document original).
Analyse de ce texte par J.G. Schoonbroodt – 1875.
La même chose est racontée dans la chronique manuscrite de Sylvius conservée à l’Université de Liège (Fond Capitaine, n133) et dans une chronique que possédait feu M. de Fabry-Beckers de cortils. De son côté, Jean d’Outremeuse parle d’un Porus, comte de Flandres, vivant dans le premier tiers du IVème S. Mais ni Jacques de Guyse, qui a rteproduit toutes les anciennes légendes de lucius de tongres, de Hugues de toul, de Nicolas Rucleri et de Clerembaud, ni les chroniques publiées par M. de Smet dans le premier volume des Chroniques de Flandre, ne font mention de ce Porus, duc de lotrange (Lotharingie), ou Comte de Flandre. Il faut donc supposer que cette légende est de provenance liégeoise.
Nous venons de qualifier de légende la pièce dans laquelle sont consignés les faits ci-dessus; cependant, comme cela a lieu presque toujours dans les légendes, le fond pourrait en être véritable.
Il existe en effet (nous l’avons constaté nous même), à l’endroit désigné, des ruines d’une ancienne construction et le duc de Luxembourg, qui prit le parti du duc de brabant et du comte de Namur contre les liégeois dans la guerre dite de la Vache, peut avoir détruit le château dont les habitants d’Ivoz connaissent tous l’emplacement. De plus, il ne se conçoit pas qu’il existerait un lieu-dit « au château » quand il n’y en aurait pas eu à une époque quelconque. On ne conçoit pas non plus que l’on aurait attribué à des faits inexacts l’origine de la procession qui se faisait le lendemain de l’Ascension.
Sous l’Ancien régime
Sous secteur n1 (SS) – Plaine alluviale
Villencourt (« Ville en Court » ou « Domaine de la Ferme ») est le vallon s’évasant au « Champ des Maures » et qui, dédié à St Lambert, donna ce patronyme au Monastère d’abord, aux Cristalleries ensuite, à l’agglomération qui suivit enfin (elle s’implanta en bord de meuse dès le 19ème s.).
Le monastère cistercien (1188) fermant le vallon au Nord, une éclarcie fut progressivement dégagée vers le Sud pour devenir le domaine de la ferme de l’Abbaye, secteur à micro-climat favorable, bien protégé par son cirque de collines. Entre autres choses, on y cultiva la vigne et le noyer.
1207 « ... Hugues, évêque de Liège, Jean, prévôt, Thierry, doyen, les archidiacres et les autres membres (du chapitre St Lambert) font donation à l’abbaye du VSL de tout le Champ de Bure – Chans do Bu – et de la vallée dans laquelle est située la susdite abbaye avec le bois qui lui est contigu, le tout ainsi qu’il a été borné par le maire et les échevins de Seraing… ils lui font encore donation dans l’angle de leur bois joignant la vallée précitée, de l’emplacement nécessaire pour construire une ferme…«
L’antique fonderie
Des données nous sont parvenues sur son existence à Villencourt en 1306. Ce fait n’offre rien d’exceptionnel pour les monastères de cette époque. Le plus curieux est de voir cette installation du côté de l’actuelle ferme de la Venne, où d’autres informations situent une fonderie fin du 18ème s., origine des bâtiments actuels.
Or il semblerait que les défrichements consécutifs à l’arrivée des moines n’avaient pas atteint le fond de la plaine alluviale en 1306. D’ailleurs le gros de cette plaine est toujours en friche en 1777 et Ferraris – cartographe le plus fiable de son temps – ne montre aucune construction ni ruines en ce lieu. pourtant il renseigne le grand chemin bordé d’arbres qui part de l’abbaye et se maintient au centre de la friche pour atteindre le même endroit.
Cependant, il reste possible qu’au moyen-âge cette installation se soit trouvée dans une clairière entre biez et ruisseau et qu’elle fut abandonnée puis rendue à la nature par la suite. Mais pourquoi l’avoir placée si loin de l’Abbaye? Pour des raisons de pollution? Pour être proche de minerais et charbon de bois?
Quant à son accès ancien, des données mentionnent le chemin creux quittant vers la droite la drève du Grand Sart et franchissant ensuite le ruisseau sur le ponceau disparu (Hanoupont ou « As noü pont ») non loin du vivier. Malheureusement, Ferraris ne fait pas apparaître ce chemin très ancien, pourtant encore là aujourd’hui. de même l’existence d’un étang de pisciculture est dûment attestée près d’Hanoupont mais il n’existe pas chez Ferraris. Il ne pouvait être que dans la plaine alluviale. Il n’est pas exclu que la pièce d’eau détruite récemment n’ait utilisé tout ou partie de son ancien emplacement.
1306 » … à Villencourt, cité dans une charte, l’abbaye possède un jardin, un moulin à farine et à grains, un four à métaux, un pressoir à huile, une vanne, un vivier, un biez, … »
En 1441, il est interdit aux meuniers, locataires du moulin de Villencourt:
« … de retenir l’eau du vivier de Hanoupont ou d’en empêcher le cours. Les preneurs sont aussi obligés de nettoyer le vivier… »
1443 « 20 mars … font savoir… Jean le Gobair dans la stuit du moulin et du pressoir à l’huile de Villencour… »
1519 « … Jean le meunier de Villencour… »
1551 « …Dom Jean d’ivo, abbé du monastère du VSL…ayant ajourné Jean, meunier de Villencour, qui avait coupé des chênes portant haute fleur et plusieurs olneaux (aulnes) croissant sur la propriété du moulin et dépendance de Villencour appartenant au susdit monastère et tenus en location par ledit Jean … »
1566 « … grains fait par Johan le meunier De Villencours en faveur de Loijs Goffart… » (du « Petit Moulin de la Neuville).
Le biez fait fonctionner le pressoir à huile et le moulin à farine. Ils seront à l’origine du moulin industriel de Villencourt fin du 19ème siècle.
Sous secteur n2 – Colline du Bar2.
« … voici l’aspect que présentait, d’ordinaire, un camp de refuge. Il occupait le sommet d’un promontoire, d’un éperon rocheux, isolé de trois côtés par des pentes raides ou à pic, et dont le seul côté accessible, le point faible, était fortement défendu par une solide muraille souvent flanquée d’une tour et précédée d’un fossé, voire d’un ou plusieurs retranchements en terre… »
En 1777, le flanc sud du côteau expose un vignoble qui s’interrompt au coin du parc de l’Abbé. En effet, au départ de la Tourette (petite tour carrée permettant au moines de l’Abbaye d’accéder par une arcade de la colline), existe depuis peu un parc accidenté enfermé dans un haut mur. A l’intérieurt, au sommet du mont, le « Cabinet de l’Abbé », jolie bâtisse hexagonale, domine vers le Nord le magnifique paysage mosan et ses quatres îles.
« …à la fin du siècle, Dom Grégoire Falla cinquante-deuxième abbé du VSL, conçut le projet de convertir cette arête hirsute en jardin d’agrément et en son point culminant d’installer un mirador. De là, il bénéficierait d’un panorama magnifique s’étendant sur plusieurs lieux à la ronde… »
« … le parc établi sur un roc et montagne, n’est qu’un planti d’agrément d’aucun rapport et d’un assez grand entretien dans quel se trouvent plusieurs promenades dans les pentes de chaque côté de la montagne dont on a tiré un parti très agréable. Au-dessus est un beau plateau en quinquonze fruitier avec un très beau cabinet d’où l’on jouit de la belle vue, ce parc est de deux bonniers dix sept verges grandes, cinq petites et quinze pieds carrés, joignant sur sa longueur vers Meuse à la chaussée (de France), d’arrière et d’amont au bois (Bois de la Croix au ch^^ateau). de même, d’aval au chemin de Villencourt (dite de la Tourette) ».
A l’occasion de fouilles, des tombes gallo-romaines et franques furent mises à jour au sommet.
« … au hasard des choses, en différents endroits, on mit à jour des substructures qui laissèrent supposer que l’éperon fut fortifié et que l’on repense au Chestreal des Croix. La configuration du terrain et sa situation stratégique semblent assez plausible.
On a dégagé des murs très épais sur le Bar et une assise de 2 m. d’épaisseur vers Villencourt et l’on parla même d’un sarcophage… Le Parc de l’Abbé aurait-il épousé, en tout ou en partie, l’emplacement du Chateaux des Croix? – G. Claessens – 1963″
1276 « …sire Johan de Flémal condist del Heiz, chevalier »
Après avoir relevé de l’évêque de Liège un fief sis:
« …en la montagne ki siet delez le val-Saint-Lambert sor Mose, en lieu com appelle Saint-Lambert Chasteal… »
y renonce en favuer de l’abbaye du Val-Saint-Lambert.
Il avait:
« …épousé la fille de … Pierre de Ramet…qui lui avait laissé la la moitié du dit fief … et l’autre moitié à Amel de Ramet, son seroge… »
1276 « … fait savoir qu’une contestation s’était élevée entre Jean de Flémalle… et l’abbaye du VSL … à l’occasion d’un fief situé au lieu-dit St-Lambert Chasteal dont chacune des parties réclamait la propriété…Témoins: Werris d’Astenoit (d’Esneux), Jacques…seigneur de Clermont approuve que son frère Werris …seigneur D’Astenoit… »
Au 14 ème siècle , l’abbaye s’efforce de convertir à la vigne des bois donnés en location (exploitations) ce qui n’arrange pas toujours les usagers traditionnels:
« Che sunt li despens a plantere 3 jounaz de vinge al Bare… » (Ce sont les dépenses pour plantation de 3 journaux de vignes au Bar)
1346 « … (plusieurs habitants d’Ivoz) … ayant allégué par Gérard de Muse que l’abbé – dom Jakemes li Jai du val-St-Lambert – avait donné … pour faire des vignobles … des bois sur lesquels les habitants d’Ivoz devaient avoir le droit de Weadage (pâturage)… »
1363 « …doit plantir demi fornal de vingnes dedans 4 ans… »
1374 « …trois bonniers qui soloient estre bois et que ons at ors atens planteit a vingue… »
1389 « …terre sor Saint-Lambert chesteal que Fhiris de Mure jadis, Salhadins d’Yvo et Giles Bilns avoient planteit a vingne liqueil vingnes or a present pierdue.. »
1421 » 20 juillet…record demandé à la cour d’Ivoz… Petit Hubert d’Ivoz transporta par devant la cour de ce lieu, à Jean le Bron, demeurant à Villencourt…environ trois journaux en vignoble, terre et jardin, situés au St- Lambert Chastealz…ayant appartenu à Henri Henro de Bressin… »
1426 » 6 mars … Jean le Bron, le vieux, transporte à Wilmot son fils, trois journaux de vigne situés à St Lambert Chasteal et joignant vers Ardenne, au fossé du Grand Thier, du bas à St Lambert Chasteal et vers Meuse au passeal qui va du susdit château d’Ivoz… »
1457 » 2 février… Jean, fils de feu Wilhmot de Bron relève … trois journaux de vigne situés à St Lambert Chasteal… »
1 Deux autres hypothèses sont reprises dans différents ouvrages:
– Moerkamp (du germanique)
Effectivement, le fond alluvial à drainage lent de la basse vallée du ruisseau de la Neuville, les sources et affluents de l’endroit, le tout débouchant dans la plaine alluviale mosane, ont pu accentuer le caractère naturellement humide d’un tel milieu. D’où ce « moerkamp » (marais) venant peut-être des Mérovingiens dont la présence est attestée à Seraing.
A l’heure actuelle encore, Villencourt conserve des coins fangeux.
Ce genre de sîte n’a jamais rebuté les bâtisseurs de monastères. Ceux-ci étaient alors construits sur un système compliqué de drains. Les ruisseaux étaient repoussés en bordure des terrains plats. quant aux endroits irrécupérables, on en faisait des étangs de rapport.
– Mors champs (Champ des Maures)
La présence de « houilleurs » noirs comme des maures est peut-être l’explication. Sur les deux versants de Villencourt et ceux des collines mosanes voisines, la houille fut exploitée depuis des temps reculés. Les moines reprirent d’ailleurs ces concessions.
Remarque:
« En Wallonie, sarrasin (ndr: ou more), est synonyme de paîen
(ndr: et notamment Viking). Félix Rousseau « La Meuse et le
pays mosan… avant le 13ème
siècle »
2 Analyse du mot « Bar » – M. COSYNS – Vallée de l’Ourthe – 1919.
« … on a crue reconnaître dans le mot « Bar » dans le mot Barvaux, dont l’orthographe n’a guère varié; le mot « Bar » désigne souvent des endroits fortifiés (Bar-le-Duc) et la colline située dans un angle des routes (à Barvaux) semble s’être prétée à des fortifications… »
En 1337, le terme « Baire » signifie enceinte, barrière.