Récit de Joseph FILEE
Un autre renseignement que j’ai pu récolter dans les archives communales concerne les cumuls. Généralement l’instituteur cumulait sa fonction avec celle de secrétaire communal ou de bibliothécaire ou de chargé du cours de l’école d’adultes. C’était le cas de Monsieur Adolphe Regnier qui « fut proclamé secrétaire communal le 17/12/1885 ». Son fils Gustave Constant Marie qui lui succéda en 1891, était, pour sa part, pharmacien.
Ce Monsieur Adolphe Regnier a été pensionné le 01.01.1892 au taux de 1.804 frs l’an et a reçu la médaille civique le 25.07.1901. Il faut lire l’éloge (j’ai failli ajouter « funèbre ») lu à cette occasion et qui était à mon avis mérité. Ainsi on écrit ces mots : »... zèle, dévouement auxquels nous nous plaisons à rendre un hommage public… sa classe a toujours et chaque année été classée dans les premières du canton scolaire de Seraing… que la preuve de ses succès est faite par les nombreux élèves qu’il a formés et dont un grand nombre ont occupé et occupent encore des positions brillantes… Considérant en outre qu’il a été l’un des plus grands propagateurs de l’épargne et du chant choral tant à l’école que dans la commune… Le Conseil à l’unanimité de ses membres et par acclamation a l’honneur de solliciter auprès de sa Majesté le Roi et du Gouvernement, la croix civique de 1 ère classe pour le Sieur Regnier Alphonse« . Un tel hommage fait chaud au coeur.
A propos des cumuls, permettez-moi de vous conter la mésaventure qui arriva à mon grand’père. Cet homme dont je me souviens très bien, était instituteur mais aussi bibliothécaire et s’occupait en plus d’assurances. Par un bel après-midi d’octobre, il reçoit la visite de Monsieur l’Inspecteur des écoles, de l’Inspecteur des bibliothèques ainsi que celui des assurances!
Que faire? Mon aïeul, homme futé, charge son épouse de recevoir dans la cuisine, le bonhomme des assurances et dans le salon, l’Inspecteur des bibliothèques en les invitant à patienter autour d’une tasse de café et de quelques petits fours dont ma grand’mère avait le secret en attendant que son époux en termine avec l’Inspecteur des écoles. Dès le départ de ce dernier, Monsieur le « Maître » confie l’ordre de la classe à un des grands élèves qui en était très fier, s’en va au salon pour écouter les remarques de l’Inspecteur des bibliothèques et termine son après-midi avec le « monsieur » des assurances!.
Un autre cumul autorisé et pour cause, était l’enseignement donné, en soirée, aux adultes. Je vous en livre quelques articles du règlement.
Chapitre premier.
De l’enseignement en général.
Art. 1. L’école d’adultes pour hommes (Tiens! de la discrimination!) de la commune de Neuville en Condroz comprend:
1) Un cours élémentaire destiné aux jeunes gens qui n’ont pas reçu l’instruction primaire ou qui ne l’ont reçu que d’une manière très incomplète.
2) Un cours de répétition et de perfectionnement destiné aux jeunes gens qui ont suivi les leçons des trois degrés d’une école primaire.
Art. 2. L’enseignement comprend :
Au cours élémentaire, la lecture, l’écriture, les notions de langue maternelle et les éléments du calcul et du système métrique.
Art. 4. L’instituteur s’attache à donner un enseignement à la fois raisonné et essentiellement pratique; il le met autant que possible en rapport avec les besoins généraux des élèves et avec les exigences locales.
Il s’efforce d’éveiller l’esprit d’observation, de recherche et de réflexion; il fait de fréquents appels au jugement, à la raison et à l’expérience des élèves. ( Ndr: Voilà un programme concret!).
Art. 5. Il ne néglige aucune occasion de cultiver en eux le sens moral, de leur inspirer le sentiment du devoir, l’amour de la patrie, ….
Il s’abstient de toute attaque directe ou indirecte contre les convictions religieuses ou politiques des élèves et de leurs familles.
Art. 27. Les seules peines disciplinaires autorisées sont l’éloignement provisoire et l’exclusion définitive de l’école.
L’éloignement provisoire est prononcé par le chef de l’école et ne peut durer plus d’une semaine. L’exclusion définitive est prononcée par le Collège sur rapport motivé du chef de l’école.
Art. 30. L’année scolaire commence le 1er mardi de novembre et finit le dernier vendredi de mars.
Art. 31. L’enseignement est donné: les mardis, jeudis et vendredis de 7 heures à 9 heures du soir.
Art. 32. Les jours de congé sont: le 1 et 2 novembre, le jour de Noël et le lendemain, le jour de Pâques et le lendemain, le 1er janvier et le 15 novembre, les jours de conférences pédagogiques.
Art. 34. L’indemnité est fixée à 294 frs. (par an pour l’instituteur, ndr.).
Art. 35. L’instruction des élèves sera entièrement gratuite. L’indemnité pour chauffage et éclairage y compris l’entretien de la propreté est fixée à 50 frs ».
Voilà quelques uns des articles du règlement; j’espère ne pas avoir été trop long ni trop ennuyeux.
Ces cumuls étaient tout à fait légaux et permettaient à l’instituteur de vivre décemment selon son rang en lui permettant de payer le costume et la cravate qui faisaient partie de sa « tenue » de travail car le traitement d’un instituteur n’était pas mirobolant. Pour confirmer cet avis voici quelques chiffres.
Budget de l’instruction primaire pour 1887.
Besoins de l’école des garçons :
Traitement fixe de l’instituteur : 900 frs*
Indemnité pour instruction gratuite : 1010 frs
Rétribution des élèves solvables : 165 frs
Suppl.traitement pour parfaire instr. : 125 frs
Chauff.nettoyage, fournit.class. : 143 frs
Total : 2343 frs
Besoins de l’école des filles :
Traitement fixe de l’institutrice : 600 frs*
Indemnité pour instruction gratuite : 756 frs
Rétribution des élèves solvables : 297 frs
Chauffage et entretien de l’école : 198 frs
Total : 1851 frs
Ressources de l’Instruction :
Allocation du Bureau de Bienfaisance : 275frs
Produit des élèves solvables : 462 frs
Allocation communale : 1482 frs
Allocation commune d’Ehein : 204 frs
Total : 2424 frs
Un subside de 1770 frs sera donc demandé à l’Etat et à la Province.
[(*)La différence de traitement n’a pas de raison sexiste mais est la conséquence d’une différence d’ancienneté de service entre les deux enseignants].
J’ai pu lire par ailleurs que le 20.10.1863, « la commune « n’ayant pas assez de ressources, le traitement de l’instituteur qui était de 300 frs devra être diminué et réduit à 200 frs ». Heureusement pour la commune, les syndicats n’avaient pas encore été inventés à cette époque!!.
Tiens, en moins de 25 ans le traitement de l’instituteur a triplé! Décidément, il n’y a rien de nouveau et l’inflation est de tous les temps; c’est ainsi qu’entre 1945 et 1995 soit sur près de 50 ans cette fois, les traitements sont passés de 6.000 à
42.000 frs par mois ce qui donne cette fois une augmentation septuplée: là, le processus s’emballe! Passons, cette constatation pourrait nous emmener trop loin.