Par Marc LORNEAU – 2ème partie
Les guerres de religion sont la conséquence de la division de la chrétienté entre catholiques et protestants. Jean Curtius (1551-Leganez, 1628) comprend que la révolte protestante dans les Pays-Bas inaugure une guerre longue dont il est possible de tirer avantage grâce à la neutralité de la principauté de Liège: Jean Curtius livre de la poudre aux Espagnols dont il devient le principal fournisseur. Appelé le « Fugger liégeois », il devient l’homme le plus riche de la principauté. Homme de la Renaissance, Jean Curtius se situe à la jonction du XVIe et du XVIIe siècle.
Le palais Curtius, l’église Saint-Barthélemy, le quai et une porte sur Meuse.
Le XVIIe siècle se caractérise par la Contre-Réforme catholique (concile de Trente 1545-1563) et par l’essor de l’absolutisme.
La principauté de Liège n’échappe pas à l’évolution générale des états européens: le prince-évêque Ernest de Bavière (1581-1612), apparenté à la puissante famille des ducs de Bavière, favorise la Contre-Réforme à Liège :
fondation du grand séminaire de Liège (1592) ; accueil de nouvelles congrégations religieuses: Jésuites, Récollets, Carmes déchaussés, Capucins, Carmélites, Ursulines, Clarisses,… L’opposition entre les princes de Bavière et leurs sujets éclate en raison du contexte international et social qui opposeles Chiroux aux Grignoux : en 1637, sous le règne de Ferdinand de Bavière, Sébastien La Ruelle, chef des Grignoux, est assassiné. Le prince-évêque Maximilien-Henri de Bavière, successeur de Ferdinand, réussit à imposer en 1684 unnouveau système électoralqui met définitivement fin à la « démocratie » corporative héritée du Moyen Age. Au XVIIIe siècle, les Habsbourg d’Autriche dont les possessions s’étendent dans les Balkans et en Europe représentent la puissance dominante, mais cette supériorité est fragile. Les Habsbourg possèdent la dignité impériale, mais le Saint Empire forme en réalité une mosaïque d’états catholiques ou protestants relativement autonomes. Frédéric II (1740-1786) prétend régner sur la Prusse sous l’égide de la raison, de la science et de la philosophie : c’est ce que l’on a appelé le « despotisme éclairé ». En France, l’arrière-petit-fils de Louis XIV a cinq ans lorsque ce dernier décède : la direction des affaires est confiée à un régent, Philippe d’Orléans, dont le règne (1715-1723) est marqué par une réaction vive contre le régime autoritaire imposé par Louis XIV. Sous le gouvernement de Louis XV (1723-1774), l’empire colonial français des Indes et d’Amérique se disloque au profit de la Grande-Bretagne qui devient l’une des grandes puissances européennes.
Le XVIIe siècle a été marqué par les « guerres de Louis XIV » et par leurs conséquences: bombardement des villes (Liège: 1691), dévastation des campagnes, essor industriel brisé. Au XVIIIe siècle, la principauté bénéficie du répit précaire que lui laissent les grandes puissances : la reconstruction de la place du Marché et de l’hôtel de ville détruits en 1691 représente les prémices de ce mouvement de renouveau qui préfigure le « Siècle des Lumières ».
En principauté de Liège, le Siècle des Lumières commence avec l’élection de Georges-Louis de Berghes (1724-1743). Il se poursuit avec Jean-Théodore de Bavière (1744-1763), Charles-Nicolas d’Oultremont (1763-1771), François-Charles de Velbruck (1772-1784), pour se terminer avec César-Constantin de Hoensbroeck (1784-1792). Georges-Louis de Berghes fait reconstruire l’aile du palais épiscopal détruite par un incendie en 1734. Cet évêque très pieux lègue toute sa fortune aux indigents. Sous le règne de son successeur, Jean-Théodore de Bavière, etde sa cour « frivole et mondaine », un air d’aisance et de galanterie pénètre dans la cité. Le renouveau de la vie musicale à Liège coïncide avec l’accession au pouvoir du prince de Bavière. Les premiers ouvrages philosophiques (Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot,…) commencent à se diffuser à Liège sous son règne. L’initiative en revient à des éditeurs liégeois ou étrangers: Pierre Rousseau, Français installé à Liège, édite dès 1756 le Journal encyclopédique qui sera condamné par les autorités religieuses liégeoises. En 1752, cet imprimeur publie, avec la collaboration du médecin Jean-Philippe de Limbourg, un ouvrage consacré aux eaux minérales de Spa, destiné aux estivants qui viennent semer « leurs écus dans les plaisirs et les jeux de la cité des Bobelins » (Jacques Stiennon). Spa est en effet devenu, après le séjour du tsar Pierre le Grand (1717), le rendez-vous général de l’Europe galante. Signalons au passage qu’en 1762, François-Joseph Desoer lance la Gazette de Liège promise à un avenir assez brillant.
François-Charles de Velbruck (1772-1784) apparaît comme une illustration originale du despotisme éclairé, courant de pensée politique qui tentait de moderniser les états sous l’égide la « raison ». Velbruck, prince-évêque franc-maçon, appartient à la loge « La Parfaite Intelligence » qui réunit depuis 1770 des dignitaires de l’Eglise liégeoise, des nobles et des bourgeois. La maçonnerie d’Ancien Régime, férue d’esprit de « fraternité », demeure cependant fort respectueuse de la religion et des autorités constituées.
Dans le domaine social, ce prince cherche à résoudre les problèmes liés à la mendicité par la création d’un Hôpital général, par la fondation d’Ecoles élémentaires de charitéetpar l’instruction technique. Il faut y ajouter la fondation du Grand Collège en remplacement du Collège des Jésuites wallonssupprimé en 1773 . Ce collège était situé à l’emplacement actuel de l’Université de Liège.
Léonard Defrance
L’engouement pour les académies littéraires et les sociétés savantes est général dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. La Société Libre d’Emulation, inaugurée le 2 juin 1779, est placée sous la protection du prince-évêque Velbruck: cette société est chargée de surveiller les nouveaux établissements d’instruction, d’organiser des joutes poétiques, des célébrations (Grétry en 1782), des concours et des expositions qui font une place aux oeuvres d’art et aux « arts mécaniques ». La Société poursuit une œuvre philanthropique et cristallise aussi un patriotisme liégeois ranimé par les succès parisiens dupeintre Léonard Defrance etd’un des maîtres de l’opéra-comique André-Ernest- Modeste Grétry.
L’essor culturel de la principauté ne peut se concevoir sans une certaine prospérité basée sur :
la métallurgie: en 1790, on dénombre dans la principauté près d’une centaine d’entreprises métallurgiques. Ces usines, hauts fourneaux, fenderies et platineries préparent des produits demi-finis que réclament les artisans du fer, la clouterie et l’armurerie. L’armurerie occupe 3.000 personnes et exporte plus de 82.000 fusils,
la houillerie: elle est pratiquée par un grand nombre de petites entreprises qui, faute de moyens financiers, restent fidèles aux techniques traditionnelles d’épuisement et d’extraction et ne peuvent s’équiper de coûteuses machines à vapeur,
le troisième secteur, l’industrie drapière concentrée autour de la ville de Verviers, procure à la principauté 72 % des devises qu’elle tire de ses exportations industrielles.
Le XVIIIe siècle est marqué par l’amélioration relative de la condition des classes populaires. Cependant cette amélioration ne modifie pas réellement la précarité de leurs moyens d’existence. En réalité, le pouvoir et la fortune appartiennent à ceux qui forment « une république aristocratique » de notables issus de couches sociales privilégiées: les industriels, les propriétaires fonciers, les négociants en vin et en denrées coloniales (chocolat, café, thé), les marchands et les banquiers, les imprimeurs, les actionnaires des maisons de jeux de Spa et les titulaires de charges administratives et judiciaires. C’est au sein de cette « bonne société » que va naître au XVIIIe siècle un nouvel art de vivre grâce à l’embellissement d’églises, d’abbayes, de châteaux et d’hôtels particuliers, grâce au raffinement de la décoration intérieure qui attestent un goût nouveau que vient renforcer l’influence française.
« Heureux XVIIIe siècle, élevé dans la paix et cultivant la joie de vivre » (Jean Lejeune).