Sujet
abordé lors de la conférence sur AMAY.
D’après Arthur BOVY dans la Revue du Touring Club de Belgique – 15 juin 1937.
Dans la Vie wallonne du 15 juin 1936 (p. 323), je souhaitais que le Dr. B. Wibin publiât bientôt la savante étude qu’il a consacrée au tronçon amanial de la chaussée romaine de Tongres à Arlon. Le travail, illustré des deux bons croquis que nous reproduisons ici, a paru dans le numéro de juillet-août 1936 de la Chronique archéologique du Pays de Liège.
Cette route qui, pendant de longs siècles s’appela la Chaussée Verte, s’articulait à la grande chaussée dite de Brunehaut, laquelle allait de Bavai à Cologne en passant par Gembloux, Tongres et Maestricht. Elle est à peu près rectiligne et passe, dans la Hesbaye liégeoise, par les villages d’Odeur, de Kemexhe, de Momalle, de Noville, de Horion, de Saint-Georges et de Jehay-Bodegnée. Elle est jalonnée, depuis Tongres, parcinq tumuli recouvrant des tombes à incinération qui servirent aussi, selon toute probabilité de vigilaria ou postes d’observation. Elle semble avoir eu une largeur moyenne de quatre mètres.
Près de l’école des Soeurs, à Jehay, elle fait, un coude brusque, à angle droit, et descend vers la Meuse, tandis que la route actuelle, le Saule, Gaillard, la continue en ligne droite. Il y a une quarantaine d’années, un de mes oncles, qui était entrepreneur et conseiller communal, avait accepté de surveiller la construction d’un petit aqueduc à cet endroit précis.
La pioche mit à découvert, à une profondeur de près d’un mètre et sur une largeur d’environ quatre mètres, de grandes dalles de grès reposant sur fort bétonnage. C’était, à n’en pas douter, un fragment de la chaussée des Romains.
De Jehay au pont d’Ombret, la description, de V. Gauchez (route XIII d’Augusta Trevirorum à Aduatuca Tongrorum) et 1es traces de la carte de Popp (1858) et de celle que possède la section romaine du Musée d’Art et d’Histoire à Bruxelles (1871), sont incomplets, assez hésitants et entachés de plus d’une erreur. C’est le grand mérite du Dr Wibin d’y avoir apporté des précisions, qui la plupart paraissent indiscutables.
Près de l’école des Soeurs, la voie romaine suivait, sur une cinquantaine de mètres le tracé de l’actuelle route de Flône (A), avant d’entrer dans la campagne, naguère boisée, où elle est encore indiquée par une dépression marquée d’un affleurement de cailloux blancs, qui paraissent avoir fait partie de la couche supérieure et apportée. Puis, elle s’enfonçait dans le Bois des Haysses1 , où elle est nettement dessinée, sans solution de continuité, par une excavation assez profonde. Elle traversait ce bois de part en part jusqu’au vieux pont de pierre qui enjambe le ruisseau de la Macrelle2, en wallon Macralle (sorcière), et qui fait, depuis 1821, la limite des communes de Flône et de Jehay-Bodegnée.
Vers 1880, j’ai encore vu cette piste servir de raccourci charretier, et elle resta beaucoup plus tard utilisée par les piétons. En 1870, elle avait été doublée, vers la gauche, par une section de cette délicieuse route en lacets qui, allant de Jehay à l’abbaye de Flône, est une des plus jolies promenades de la région.
Du pont à l’abbaye, cette nouvelle route, taillée à flanc de coteau, emprunte approximativement le tracé de l’ancienne chaussée, toujours à travers bois. Elle débouche dans la vallée, près de l’abbaye, entre deux rochers impressionnants.
De l’abbaye au passage à niveau (B), la voie romaine, tournant à angle droit vers Huy, suivait le tracé de la chaussée de Liège actuelle, parallèlement au fleuve, puis, tournant brusquement à gauche, entrait dans la campagne d’Amay. Au delà du passage à niveau, nous nous engageons dans le Chemin du Paradis, jusqu’au XVIIIe siècle Réal Chemin, qui, après avoir fait un crochet pour éviter les vieux bâtiments de la Cloche, se dirige en ligne droite de l’est à l’ouest.
De ce chemin se détachait, aux environs du Passage à niveau, un diverticulum qui, passant Par l’emplacement de la Chapelle à Rémont (C), se prolongeait jusqu’au centre du bourg d’Amay en longeant le pied de la montagne. C’est maintenant la vieille rue Vigneux, ainsi nommée parce qu’elle desservait les vignobles. En 1913, les docteurs Wibin et Davin ont découvert, le long de cette rue, un cimetière belgo-romain à incinération, les débris d’une métairie et des tombes franques3.
Mais revenons au chemin du Paradis qui, à la hauteur du gué d’Ombret, s’infléchissait brusquement et gagnait directement la Meuse, en formant l’ancien Chemin des Meuniers. Cette dernière section devint inutile et fut supprimée, vers 1872, quand fut construite la route du Pont d’Ombret. Elle ne figure déjà plus sur la carte militaire de 1884. Pour toutes sortes d’excellentes raisons, le Dr Wibin voit, dans le chemin du Paradis et dans le chemin des Meuniers, le prolongement de notre Chaussée Verte.
La carte du musée d’Art et d’Histoire adopte un autre tracé plus court. Depuis le passage à niveau, la route aurait continué de suivre le cours de la Meuse, dont elle aurait épousé la courbe. Mais cette partie de la campagne est inondée dès les premières crues et reste plus longtemps submergée que le chemin du Paradis, et même que les environs immédiats du gué, qui sont alors isolés comme dans un îlot. Avant l’amélioration du régime fluvial, ce tracé était sous l’eau pendant une bonne partie de l’hiver. Etrange situation pour une voie de grande communication! Ajoutons que jamais on n’y a découvert le moindre vestige du passé, tandis que le long du chemin du Paradis, tout récemment encore, on a mis au jour des débris de tuiles romaines.
Plus près du fleuve, sur le parcours proposé par le Dr Wibin, on a retrouvé de nombreuses antiquités belgo-romaines et franques.
Je me permettrai de suggérer une troisième solution. La voie romaine aurait continué de suivre approximativement le tracé de l’actuelle chaussée de Liége jusqu’à la chapelle à Rémont, puis, à droite, celui du Vigneux ou chemin des Vignes jusqu’à la hauteur du chemin des Meuniers, qu’elle serait allée rejoindre en s’infléchissant vers la gauche. Popp signale encore, une vieille ruelle Pâquette, qui jadis reliait ces deux dernières voies. Ce trajet présentait l’immense avantage de tenir la plus grande partie, possible de la route à l’écart de l’inondation.
Le chemin des Meuniers aboutissait au gué – un peu en aval du pont actuel – qui reliait Amay au village d’Ombret blotti, au delà du coude de la Meuse, au pied de belles montagnes boisées. L’endroit s’appelait anciennement Umbracum ou Umbracium; lieu ombragé. On lit encore Umbray dans un texte de 1232. Il fit partie de la commune d’Amay jusqu’en 1842. Aux eaux basses, sous l’ancien régime, les habitants d’Amay utilisaient encore le gué pour porter leur blé au moulin banal d’Ombret.
Les Romains avaient aussi construit un pont dans ces parages.
Certains, trompés par une étymologie plus apparente qu’exacte, ont voulu faire passer ce pont, à six cents mètres en amont du gué, en face du hameau de Ponthière. Supposition qu’il faut écarter d’emblée, parce que ce passage ne pouvait conduire qu’à un chemin de chèvres dans la montagne de la rive droite.
Nul doute n’est possible. Les Romains avaient construit leur pont non loin du gué, un peu en amont du pont actuel. Leurs travaux furent facilités par l’existence d’une petite île près de la rive droite du fleuve. En 1852 déjà, lors des grands travaux entrepris en vue de l’aménagement des berges, on avait extrait de cet endroit un pilotis armé, sans compter tout un lot d’armes, de monnaies, de tuiles et de briques romaines. En 1872, quand on construisit le pont actuel, on découvrit des pièces de chêne noire et de gros pieux armés. On peut voir ces objets au musée Curtius, à Liège. Quand on releva le pont détruit en 1914, on trouva d’autres pièces qui figurent au musée d’Art et d’Histoire. Maintenant encore, en temps de chômage, quand les eaux sont très basses, on peut apercevoir, dans le lit de la Meuse, des têtes de pieux perpendiculairement enfoncés.
Ces éléments se retrouvent dans le fameux pont que César construisit sur le Rhin et qu’il a décrit, au dix-septième chapitre du livre quatrième de Bello gallico, avec une minutie et un luxe de termes techniques qui font le désespoir de nos potaches.
D’Ombret, la vieille Chaussée Verte, «stat imperialis », continuait de cheminer, à travers des vicissitudes variées, vers Marche, Arlon, Trèves… Nous la quitterons ici.
1 Le mot « haysses » désigne, dans le wallon du pays les déchets de faînes qui, en automne, jonchent le sol des hêtraies.
2 Orthographe du cadastre. Popp écrit fautivement Marcelle.
3 Bulletin de l’Institut Archéologique liégeois, tome XLIV.