Imp. Faust, rue Sœurs de Hasque, 7, LIEGE 1906
Illustration Renaud Bertrand.
Vision Printanière
Le soleil élargi, pantelant de spasmes d’or, auréolé de fulgurations, fait la roue comme un paon dans l’universel sourire de l’azur. Ses rayons bordent de feu rose la mousseline des nuages et couronnent d’agiles aigrettes mauves et vermeilles le vaste incendie émeraude des bois – dont l’intérieur semble un éden frais éclos.
Une espèce d’aurore – soeur des aryennes jadis éteintes! – l’emplit surnaturellement, une prestigieuse aurore, coralline, insaisissable, pétrie d’âmes, qui déborde l’horizon comme une avalanche de roses naïves, duvète chaque ligne d’une chasteté d’opale, change les feuillages en transparences carnées que broutent maints chevreuils, et, derrière, à pertes de vue, les villages condrusiens en visions de cristal embrasé, pleines de gens sortis pour goûter l’air enchanteur et le spectacle radieux.
C’est un dimanche après-midi. Un orgue ambulant gémit au loin. Assoupie et rayonnante, la Gervagne semble revivre la quintessence de ses jours défunts, et les cloches qui pleurent la résurrection des poésies – plus mystérieusement ineffables, mortes ! – viennent s’éteindre comme des résonances de mandoline dans les branches fourmillantes de gazouillis et de ciel découpé en étoiles bizarres.
Des buissons et des graminées où le soleil sème des plumes de colibris, les bouleaux, colonnettes de satin blanc balancent leurs panaches d’argent et de rubis dans le frissonnement des hauts arbres. Mille essaims d’insectes et d’oiseaux comme une surabondance de fleurs envolées du sol, irisent taillis et futaies: tulipes miraillées des chardonnerets, or sauvagement féerique des loriots, pourpre affectueuse du bouvreuil, geais qu’émaille un riche saphir, mésanges lilas, roitelets olivâtres, argus aux ailes de pervenche oeillées, abeilles filant comme des éclairs de topaze, s’entrecroisent en tous sens: on dirait un arc-en-ciel en pièces qu’éparpillent les brises!
Molles des odeurs de thym, de marjolaine, de résine et de muguet, ces brises traversent avec des bruits de source les rameaux pâmés et bercent la forêt au joyeux concert immense des ramages et des susurrements. L’aurore émerveille toujours les choses de sa candeur, mais elle n’apparaît plus qu’à travers un diamant volatilisé où les houles de végétation, extasiées et riantes, savourent la jeune sève avec le charme d’adolescentes ingénues; et les corolles, mi-ouvertes, s’ignorent encore gynécée et pollen. Cette éphémère pureté exhale un tel baume que les chênes herculéens, les ormes géants, les hêtres seigneuriaux, les nocturnes sapins, les houx cruels, paraissent tendres comme les frêles plantes, brillants comme des feux d’artifice, purs comme l’aubépine d’une éclatante blancheur que courtise là-bas un tilleul qui semble fait de lumière! Et dans ces prismes, ces encens, ces incantations, passent, comme des alevins dans une eau cristalline, des légions de lueurs. Ce sont les fantômes des efflorescences d’autrefois qui s’en reviennent chuchoter passionnément à la jeunesse: « Gardez l’immatériel amour, onn’est heureux qu’avant de 1’être! Après vaut mieux aussi, et le bonheur alors est surtout la mémoire des désirs. Prolongez l’ineffable désir, l’heure des regrets n’est jamaistardive. Restez enfantins, fous, inapaisés. O brasiers des anthères, consumez-vous d’impatience et d’adoration devant le trouble des pistils! »
A suivre ….