2ème épisode – Par Lucile HAERTJENS Grâce à l’étude du loup entreprise dans le numéro précédent, nous savons que la relation entre l’homme et l’animal remonte à l’Antiquité. Nous avons aussi appris que les deux espèces se sont côtoyées durant des siècles, partageant les mêmes territoires de chasse et les mêmes gibiers, fonctionnant sur base d’une structure sociale élaborée. Nous sommes à présent à même de comprendre pourquoi les croyances anciennes prétendent qu’il arrive que l’être humain se métamorphose momentanément en loup.
Qu’est-ce qu’un loup-garou?
Un loup-garou est la victime d’un accès de ce que l’on nomme «lycanthropie1 ».L’homme (ou la femme) devient alors carnivore et anthropophage, manifeste une sexualité débridée et une force meurtrière. En général, la transformation s’opère de nuit et prend fin aux premières lueurs du jour, à la façon des vampires.
L’aspect du loup-garou relève de trois types physiques différents. Parfois, l’homme devient un simple loup, plus rapide et plus puissant que la normale. Pour d’autres, la transformation les change en un être hybride mi‑homme, mi‑bête. D’autres encore, plus rares, conservent leur forme humaine mais se trouvent dotés momentanément de force et d’instincts bestiaux. Le lycanthrope (nom savant du loup‑garou) est condamné à errer durant sept ou neuf années chaque nuit de pleine lune et à dévorer la première personne qu’il rencontre, même s’il s’agit de son propre enfant… Les terribles crimes et les atroces blessures ainsi perpétrées ont amené certains à une conception plus matérielle: ces crimes sanguinaires masqueraient en fait des règlements de compte, des vengeances ou des crimes sexuels commis par des êtres humains qui se faisaient passer pour des créatures surnaturelles afin d’écarter tout soupçon /ou/de se protéger des soupçons.
Le loup-garou, créature du Démon
Comment devenir loup-garou?
Les causes de la lycanthropie sont multiples. Dans la plupart des cas, l’homme est transformé en loup‑garou sous une volonté extérieure: il encourt la malédiction de Satan ou de ses suppôts. Dans d’autres cas, l’homme recourt volontairement aux pouvoirs du Diable grâce à un pacte ou par la zoophilie. L’accouplement avec un animal en chaleur a en effet toutes les chances d’engendrer un monstre, que ce soit un loup‑garou ou un vampire. Celui qui veut acquérir les pouvoirs du loup-garou passe un accord avec le Diable lui‑même ou les sorciers qui le vénèrent. Grâce à un onguent ou à une ceinture magique offerte par le Démon, l’homme peut se transformer en bête sauvage et se livrer à différents méfaits. Pour sa part, l’homme cède généralement quelques‑uns de ses cheveux, un peu de sang ou de chair. Cet échange scelle le pacte.
Mais bien entendu, la grande majorité des personnes accusées de lycanthropie déclaraient ne pas avoir souhaité recevoir ces capacités. Plus réalistes, certains ont pensé que des sorciers auraient volontairement absorbé des drogues hallucinogènes. Ils ont également supposé que l’ingestion accidentelle de plantes pourvues de vertus semblables aurait eu lieu lors de périodes de famine. L’illusion d’une transformation animale2 auraient pu être provoquée par le frottement ou l’ingestion de plantes comme/ou/telles que la morelle furieuse, la jusquiame, le pavot, la ciguë, l’ivraie, la mandragore, la belladone, le datura…
Comment se délivrer de la malédiction?
S’il existe des méthodes pour acquérir les pouvoirs des loups‑garous, il en existe également qui doivent délivrer les victimes de cet envoûtement. Pour rompre le charme, on peut manger des feuilles de roses ou prier sur le parvis des sanctuaires. Mais seule une balle d’argent bénite, généralement dans une chapelle dédiée à saint Hubert, a le pouvoir de tuer le monstre. Quant à une protection préventive, on peut offrir au premier pauvre que l’on croise un gâteau de saint Loup confectionné la nuit du 29 juillet avant le lever du soleil3. Les patenôtres4 du loup ont également le pouvoir d’éloigner les lycanthropes.
Qu’est devenu ce terrible monstre ?
D’origine antique, l’image du loup‑garou a été récupérée au Moyen Age par l’Eglise car elle confirmait/ou/cautionnait l’existence des puissances sataniques. Durant le XVIIIe siècle, le peuple prêtait encore une créance indécise aux fées, aux loups‑garous et aux revenants. Mais la montée grandissante de la raison et la disparition progressive du loup dans nos régions5 eurent peu à peu raison de la terreur lycanthropique. Néanmoins, elle survit dans les récits fantastiques, au cinéma et dans les livres, du roman classique au récit pour enfants en passant par la bande dessinée.
Les récits
« Le loup-garou », récit de la vallée mosane
On trouve notamment la trace de cette antique crainte viscérale du loup dans les récits régionaux. Emile Dantinne, dans ses « Contes de la Vallée de la Meuse »6, raconte que, vers le mois d’octobre 1678, un soldat français oublia un livre dans la vieille auberge d’Ombret qu’il avait occupée avec son régiment.
Le fils de la maison s’en empara et y apprit comment se changer en chien ou en loup avant de reprendre forme humaine. Il commit divers méfaits sous l’apparence d’un loup. Il rencontra même la servante de l’auberge alors qu’elle travaillait dans le jardin. Effrayée, elle lui lança son tablier que l’animal mordit avant de s’en aller. Mais au repas, la servante remarqua que le fils de la maison avait des morceaux de son tablier entre les dents et comprit alors la supercherie. La mère découvrit le livre de sorcellerie, le jeta dans le feu et condamna ainsi son fils à demeurer éternellement un loup. Après plusieurs tentatives infructueuses pour exterminer la créature, le «mayeur», Renier de Warêt, lui tira en plein cœur une balle d’argent bénite à Saint‑Lambert.
« Le loup-garou de Samson »
Les « Contes de la Vallée de la Meuse » reprennent une autre histoire de loups‑garous: « Le loup‑garou de Samson ». Cette nouvelle raconte l’histoire d’un vieux fermier de la région de Samson7 qui, un soir d’hiver en rentrant chez lui, se trouva nez à nez avec un énorme chien noir. Ayant oublié sa canne à la maison, il improvisa une arme de défense en cueillant une baguette dans la haie. Mais le bâton raccourcissait à mesure que le vieil homme tentait d’en frapper le chien. Il le battit alors avec sa pipe d’écume, sans plus de succès. L’homme voulu extraire un couteau de sa poche, mais c’est son chapelet qu’il sortit. Blessé deux fois avec cet objet, l’énorme canidé tourna sur lui‑même. A sa place se tenait un voisin du fermier. Quelques temps avant, l’homme avait bu toutes ses économies et avait alors offert une poule noire à Lucifer en récitant certaines formules magiques. Le Diable apparut et, en échange d’une somme d’argent, l’homme s’engagea à lui abandonner sa liberté durant sept ans. Depuis, chaque vendredi soir, il se transformait en loup‑garou et ce vendredi‑là, il ne lui restait qu’une année d’aliénation à subir. La découverte de son secret prolongea son supplice de sept nouvelles années…
D’autres récits à venir…
Outre Emile Dantinne et ses « Contes de la Vallée de la Meuse », il existe d’autres légendes de chez nous qui évoquent le personnage du lycanthrope. En 1991, Jacques Sacré signe « Contes et légendes de Mageret ». La France a, elle aussi, connu des écrivains qui se sont livrés à la transcription des récits oraux de leur région. C’est le cas d’Erckmann-Chatrian ou de Claude Seignolle. Nous ferons bientôt un bref tour d’horizon de ces contes et légendes…
Petite bibliographie
E. DANTINNE, Contes de la Vallée de la Meuse, Lallemand frères éditeurs, s.l., s.d..
R. VILLENEUVE, Loups-garous et vampires,
1 La lycanthropie est la maladie de tous ceux qui sont, ou se croient, métamorphosés en loup, en animal carnassier, puis par extension, tout simplement en un animal quel qu’il soit: chien, taureau, chat, porc, grenouille, ours, castor, bélier, âne… Pour les deux premiers, on parle également de cynanthropie et bousanthropie.
2 Et, avec elle, ce que l’on appelait la folie louvière et que l’on nomme maintenant lupémanie.
3 Je vous en livre la recette: un tiers de farine de froment, un tiers de farine de seigle, un tiers de farine d’orge ainsi que de trois œufs et de trois cuillers de sel. Le gâteau doit avoir la forme d’un triangle et être percé de cinq trous, répliques des stigmates du Christ.
4 Ce mot vient de l’altération du latin Pater Noster et désigne des prières marmonnées à voix basse. Les patenôtres du loup sont : Au nom du Père et du Fils et du Saint‑Esprit, loups et louves, je vous conjure au nom de la très sainte et sur‑sainte, comme Notre‑Dame fut enceinte, que vous n’ayez à prendre, ni écarter, aucune bête de mon troupeau, soit agneau, soit brebis, soit mouton, ni leur faire aucun mal. Loup, louve et louvinet, je te conjure de la part du Grand Dieu vivant; tu n’auras point de pouvoir sur moi (ni sur mes bêtes), pas plus que le grand Diable n’en a sur le prêtre à l’autel quand il célèbre la messe. Que le bon saint Georges te ferme la gorge. Que le bon saint Jean te casse les dents. Des adjurations peuvent être ajoutées comme: sainte Agathe liez‑lui les pattes, saint Grégoire serrez‑lui la mâchoire, saint Loup tordez‑lui le cou… Pour porter leurs fruits, ces incantations doivent être prononcées avant le lever du soleil et répétées cinq jours de suite.
5 Voir « Du loup au loup-garou 1er épisode » dans le numéro précédent.
6 E. DANTINNE, Contes de la Vallée de la Meuse, Lallemand frères éditeurs, s.l., s.d..
7 Petit village de la région de Namur, à 8 km d’Andenne, en direction de Thon.