Ferdinand M. DESSENTE
Le Vétéran américain George Esgate, de Florence, Orégon, et sa nièce, Madame Verla Chaddick de Rio Vista, Californie, sont venus visiter le Cimetière et Mémorial américains des Ardennes de Neuville-en-Condroz le ler octobre 1999. George Esgate faisait partie de la 612e Compagnie d’Enregistrement des Sépultures américaines. C’est avec ses compagnons d’armes qu’il procéda aux toutes premières inhumations dans le cimetière militaire américain provisoire de Neuville, le 8 février 1945.
Embarqué dans le port de Southampton, Angleterre, sa Compagnie avait débarqué le 29 juillet 1944 en Normandie sur la plage de Utah, nom de code donné par les Américains à l’une de leur zones de débarquement. A partir de là, ses compagnons et lui ont fait toute la campagne du nord-ouest de l’Europe suivant de près la progression des troupes américaines. Au fur et à mesure ils ouvrirent des cimetières provisoires pour accueillir ceux des leurs tombés au Champ d’honneur.
Comme dit plus haut, ils arrivèrent le vendredi après-midi ler octobre 1999. Après avoir fait ample connaissance nous leur avons trouvé un hôtel où passer la nuit car ils venaient directement des Etats-Unis. Ils avaient promis de revenir, reposés, le lendemain matin visiter le cimetière à leur aise.
Nous les attendions donc… toute la journée. Rien ne leur était arrivé et il n’y avait pas eu de malentendu non plus, tout simplement notre ami avait retrouvé après plus de 54 ans sa petite amie de Rotheux., aujourd’hui Madame Renée Durieux habitant à Seraing! Lui et sa nièce avaient été chaleureusement accueillis et avaient échangé toute la journée leurs souvenirs après une si longue séparation. C’est donc dimanche matin qu’ils se présentèrent au Cimetière. Ils eurent droit à une visite en règle du Cimetière. Notre Vétéran ne reconnut rien tellement tout avait été modifié cependant nous eûmes tout loisir pour le questionner.
George Esgate avait emporté le livre intitulé « C’est la guerre!
612TH GRAVES REGISTRATION COMPANY 1943 WORLD WAR II 1945 « .
Il retraçait l’épopée de son unité. On s’est empressé de le photocopier!
A propos de Rotheux et de Neuville on peut y lire :
« De retour à Mettet (près de Namur où ils avaient ouvert le cimetière provisoire de Fosses-la-Ville), le Lieutenant Bary (Robert E.), surnom « EyeWash » ( « Tape-à-l’Oeil ») reçut des ordres pour ouvrir un cimetière près de Liège pour s’occuper des victimes de la Bataille des Ardennes. Aux environs du 20 janvier (1945) il conduisit Harrison (Femon E.) et Hartsell (Jonas C.) à un dépôt près de Liège à partir duquel ils choisiraient un site. Le lendemain, Hartsell revint à Mettet, et fut remplacé par les géomètres Garthwaite (Chester &), Quinn (George B.) et Pens (George H.). Après avoir beaucoup pataugé dans la neige jusqu’aux genoux, un site fut trouvé près du village de Neuvifle1 et un cantonnement près du village de Rotheux.
Le 22 janvier, le second peloton s’installa dans les bâtiments de l’école de Rotheux 2; amenant avec lui Hanson (Arvin), Piper (Thomas B.), Robinson (Meade M.) et Tyson (Fred J.).
L’arpentage fut effectué en deux, trois jours. En une semaine, les ouvriers étaient occupés à terminer la première rangée de tombes lorsque c’est arrivé… Durant la nuit un V1 atterrit au centre géographique du nouveau cimetière occasionnant un trou d’un diamètre d’environ 9 m. Il révéla un réseau de tuyaux en grès. Les ouvriers avaient su de tout temps que le champs était la réserve d’eau du village mais l’information devait leur être retirée par la force.
Un nouveau site fut localisé dans les mêmes environs et on répéta le processus. Des trous forés pour sonder le sous-sol révélèrent la distribution d’eau sous un angle nouveau. L’eau jaillissait hors des trous à partir de sources cachées sous la neige fondante. L’arpentage se poursuivit cependant, car le site était si bon pour établir un cimetière.
L’endroit du cimetière allemand3 devait être débarrassé par les escouades de déminage des munitions et des mines qui y avaient été entreposées par les Allemands.
Après une matinée de travail , un monticule d’explosifs, d’obus et de balles avait été rassemblé sur la route en face du terrain. Une charge explosive y fut fixée avec une mèche. Celle-ci fut allumée par un Capitaine du Service de déminage.
Lui et le Lieutenant Barry sautèrent aussitôt dans une Jeep pour se mettre à l’abri à une distance raisonnable. Après avoir parcouru quelque 15m, un coup d’œil dans le rétroviseur révéla un civil belge sortant des bois à bicyclette et se dirigeant tout droit vers l’endroit où la mèche brûlait et se trouvaient les explosifs. Plus on criait, plus vite le Belge pédalait vers une « disparition » certaine. En désespoir de cause, le Capitaine tira plusieurs coups de feu au-dessus de la tête du Belge dérouté, l’envoyant dans les bois complètement abasourdi par le comportement de ses « Libérateurs ». La capote de la Jeep fut quelque peu ventilée. mais le Lieutenant Barry et le Capitaine s’en tirèrent physiquement indemnes.
Tout ce déminage fut entrepris suite à la mise à feu accidentelle d’une grenade de fusil par le sabot arrière d’un cheval ; ce qui transforma ce dernier en un tas de points rouges! Il eut l’honneur d’être la première inhumation dans le cimetière (allemand). »
« Le Quartier général quitta le quatrième peloton basé originellement à Fosses et se rendit à Neuville pour y rejoindre le second peloton. Un logement plus spacieux fut trouvé dans un pavillon de chasse4. La salle de danse toute garnie de miroirs fut transformée en salle à manger, tandis que la salle de lecture décorée de trophées de chasse devint la salle de rédaction des rapports journaliers et le bureau du Capitaine.
Les Vl continuaient à être un fléau car ils tombaient soit trop court soit étaient interceptés par les collines qui formaient une barrière de protection naturelle devant Liège. Ses dépôts de nourriture et de matériel devaient avoir été considérés comme d’intéressantes cibles pour ceux qui calculaient la trajectoire des Vl. Le village voisin de Rotheux subit trente-cinq impacts durant le siège. »
« Un mois après, le quatrième peloton vint s’installer à Marche pour prendre la relève du premier peloton. Les opérations de ramassage furent poursuivies, les corps étant conduits à Neuville afin que le second peloton les prenne en charge. Schaff (Philip) et Melancon (Adrien E.) furent laissés à Fosses pour y hisser et descendrele drapeau5« .
Nous avons remarqué tout au long des pages de ce livre que l’humour était toujours présent, malgré l’accomplissement d’une tâche, certes nécessaire, mais jamais plaisante.
1 Il s’agit du grand champ qui longe, à droite, la route du Condroz (la N63) lorsque, en venant du carrefour du Domaine. on se dirige vers Boncelles. En fait, le site était situé sur le territoire du village de Plainevaux
2 C’était l’école des filles dont l’Administration communale de Neupré à repris le bâtiment.
3 Le cimetière provisoire allemand allait être établi sur un terrain délimité par la rue des Violettes, la rue de l’Ermitage et la rue du Bosquet, à Neuville.
4 Il s’agit du château Braconier à Ehein dont nous avons parlé dans notre N022
5 Le drapeau américain a flotté tous les jours en berne tant qu’ont duré les inhumations dans leurs cimetières provisoires.