Mémoire d’acolytes d’entre les deux guerres (2). Joseph Filée
La messe qui se célèbre en latin bien entendu, commence par le signe de la croix et ces mots :« In nomine Patri et Filio et Spiritus Sanctis ». « Amen ». répondent les acolytes. Les versets, suivis de réponses plus ou moins audibles, se succèdent avec une précision parfois très approximative. C’est ainsi que le répons à l »Orate fratres » commence bien par les mots « Suscipiat Dominus … ». mais ils sont suivis d’un bredouillement discret terminé par un très clair « …. Ecclesiae suae sanctae« , clôturé sur un soupir de soulagement des acolytes. Mais je médis car certains connaissaient par cœur, à la virgule près, toutes les paroles de la messe, du début jusqu’à la fin.
Après l’office, quand les dames sont sorties, débute la demi-heure de catéchisme pour les enfants de 10 et 11 ans qui se préparent à « fé leus päques« , autrement dit, leur « grande » communion, la « petite » étant la première, celle qu’ils ont faite vers 7 ans, à l’âge de raison ou de discernement.
Tout ce petit monde est rassemblé dans l’église à la bonne saison et, les jours de grands froids, dans la sacristie où Monsieur le Curé a allumé la petite colonne d’où rayonne une chaleur tout juste capable de vous empêcher de vous transformer en glaçon. Pour vous dire à quel point la température de l’église était peu élevée certains jours, voici une anecdote . Un matin de janvier 1930 et quelques, la neige était tombée toute la nuit et le vent avait formé des congères au coin de chaque pâté de maisons. Guy qui habitait Ehein à près d’un kilomètre de l’église, avait bravé ces monceaux de neige pour venir servir la messe de 7 heures 30. Aucune paroissienne n’avait osé quitter la douce chaleur de sa cuisine. Seul Monsieur le Curé était à l’église.
Il avait placé sur l’autel un radiateur électrique, un soleil comme on disait, et de temps en temps, notre pasteur y présentait les doigts pour se les dégourdir. Notre acolyte aurait bien voulu lui aussi partager un peu de cette chaleur et il lorgnait l’appareil mais il en était trop éloigné. Et bien, à la fin de la messe, il n’eut même pas droit à des félicitations pour avoir affronté les rigueurs hivernales. Telle était l’éducation spartiate vécue à l’époque.
Chacun écoute les explications magistrales aux réponses contenues dans le « Catéchisme du diocèse de Liège à l’usage des paroisses et des écoles publié par Monseigneur l’Evêque de Liége chez H.Dessain, imprimeur de l’Evêché, rue Trappé,7 » (publicité gratuite). Ce petit livret cartonné contient d’abord une série de prières: celles du matin et du soir, d’avant et après les repas, d’avant et après la confession et la communion. Suit alors un ensemble de 49 leçons traitant chacune d’un sujet particulier: « de l’homme et de sa fin, de la manière de se bien confesser, de l’invocation des saints », etc. le tout comptant 629 questions. Certaines, précédées d’une croix, sont plus spécialement réservées aux enfants du « petit » catéchisme. Et vous avez ainsi réponse à tout.
Au hasard, à votre avis, « Qu’est-ce que la concupiscence? » Ah? C’est une bonne question et vous avez bien fait de me la poser. Pour la réponse, voyez la leçon quatrième, question 6. Une autre : « Qu’entendez-vous par les pompes du démon? » (Leçon trente-septième, question 9). La pompe du cycle liturgique, on savait: c’était celle du vélo de Monsieur le Curé, mais pour le reste!!… Ne soyons pas impertinents et restons sérieux!.(Et « concupiscence » vous avez trouvé?).
Cette première demi-heure de leçon de la journée est longue pour certains qui sont venus de loin, à pied ou à vélo et quel que soit le temps. Quelquefois les réponses données ne sont pas du goût de notre pasteur qui s’énerve, se fâche et punit. Certain jour il y a même de petits règlements de compte avec l’un ou l’autre acolyte peu pieux ou pas assez révérencieux, tel qui aurait goûté au vin de messe, tel autre qui aurait tâté d’une hostie prélevée d’un rouleau ou qui aurait servi l’office du dimanche d’une façon pas très catholique. Les punitions vont du texte à copier jusqu’au gros missel à tenir à bout de bras, agenouillé sur le bord de la caisse à cierges placée dans la sacristie où Monsieur le Curé vous enferme et parfois vous y oublie.
Il y avait heureusement des petits « passets » sur lesquels on pouvait s’asseoir subrepticement. Car « in illo tempore » si l’honneur d’être acolyte est réservé aux seuls garçons, ceux-ci le paient plus cher que les filles. Ainsi, il m’a été rapporté qu’un certain dimanche, un de ces gamins jouait avec les 25 centimes ( vous savez, la grande pièce blanche avec un trou au milieu) que sa maman lui avait donnés pour « mettre à la collecte ». Ce qui devait arriver arriva: la pièce lui glissa des doigts et se mit à rouler jusqu’au pare-feu qu’elle fit tinter désagréablement aux oreilles de Monsieur le Curé qui houspillait ses paroissiens du haut de la chaire de vérité. Dérangé, notre pasteur se retourne sur les gamins pour leur intimer l’ordre de se tenir tranquilles par un « Pchitt! » peu discret juste au moment où le voisin compatissant rendait la pièce à son ami. Croyant avoir ainsi repéré l’auteur de l’incident, Monsieur le Curé, à la fin de son homélie, saisit l’innocent par le col de sa veste et lui fit redescendre toute la nef sous l’œil réprobateur de pieuses paroissiennes.
Mais passons sur cet incident. Il est 8h1/2, chacun s’empresse de rejoindre l’école avant 9h pour avoir le temps de boire un petit coup de café de son bidon et de mordre à belles dents dans une des tartines de sa boîte.
Cette matinée prend parfois un tour différent pour l’un d’entre nous. Monsieur le Curé retient un des garçons pour l’accompagner dans sa visite à un malade à qui il porte l’extrême-onction, qu’on appelait aussi le viatique (mot venant du latin via = chemin) et désignant le sacrement porté à ceux qui vont faire leur dernier voyage. Un condisciple est chargé de prévenir Monsieur le Maître de cette absence.
Donc, après la leçon de catéchisme, Monsieur le Curé revêt par dessus sa soutane un surplis sur lequel il jette une grande chape noire tandis que l’acolyte passe une jupe noire, un surplis blanc et un col noir. Ce gamin porte d’une main une lanterne allumée et de l’autre la sonnette qu’il agite au passage des personnes qui s’empressent de s’agenouiller ou de se signer. En cas de distraction de la part du passant; celui-ci se fait vertement rappeler à l’ordre et il n’a d’autre alternative que de retirer sa casquette. Monsieur le Curé porte la pyxide contenant les hosties dans les replis de son huméral ( de humérus = bras, pièce de drap rectangulaire au tissu moiré qui, comme son nom l’indique couvre les épaules et les bras). Il emporte aussi la boîte contenant les Saintes Huiles au cas où …. la famille désirerait faire « administrer » le malade; eh oui, on dit: « Il a été administré! » et chacun comprend qu’il en est à toute extrémité, à l’article de la mort quoi, car on n’appelle le prêtre que lorsque le malade n’a plus toute sa conscience. Vous comprenez…. il pourrait se rendre compte de son état et ça le tuerait!.
Cette petite cérémonie au demeurant plutôt triste prenait parfois une tournure comique. C’est ainsi que Guy, de service ce jour-là, s’est bien amusé. Ecoutez son histoire: « Donc, » Monsieur le Curé entre chez Maxime dont la maman est bien malade. Il dépose surla table préparée à cet effet, la pyxide et la boîte contenant les saintes huiles. Tandis que notre pasteur procède à l’onction de la malade, un petit chaton fait son apparition dans la chambre. Nullement impressionné par la cérémonie, notre minet se met à jouer avec la frange du surplis de Monsieur le Curé qui absorbé par son office, ne se rend compte de rien. Ce n’est pas mon cas, continue Guy, Bien entendu je ne fais pas un geste pour chasser l’animal, au contraire, je l’encouragerais bien pour qu’il en fasse un peu plus. Le plus difficile pour moi est de retenir un fou rire que je contiens avec de plus en plus de peine. Heureusement, Monsieur le Curé s’est relevé mettant ainsi fin au jeu du chaton et à mon effort pour garder mon sérieux ».