Le 18 novembre 2000, Mémoire de Neupré organisait la visite de “Verviersima”1 : “Centre d’interprétation de la laine installé dans l’ancienne manufacture Dethier”, rue de la Chapelle à Verviers.
Merveilleux cadre architectural que ces anciens bâtiments industriels superbement restaurés avec un goût parfait, un sens du détail et un souci d’intérêt didactique certain. L’espace y est vaste, la décoration de bon aloi et le cheminement du visiteur parfaitement pris en charge par un audio-guide sans failles.
“Du fil à la mode” est le thème conducteur de ce cheminement auquel nous sommes conviés, retraçant l’histoire de la laine, de son travail combien pénible et de l’aboutissement final de celui-ci: le vêtement.
L’occasion nous a paru favorable pour retracer dans les colonnes de ce cahier de jadis, un petit aperçu de l’ Histoire de Verviers, de la Laine et du Vêtement.
“… LA LAINE, C’EST VERVIERS…” 2
Verviers, dépendant du Marquisat de Franchimont, reçoit son statut de ville en 1651, mais l’industrie textile se développe déjà au 15e siècle.
Le plateau de l’Eifel – les Fagnes – véritable réservoir naturel, fournit à la vallée de la Vesdre une eau appropriée pour le traitement de la laine et permet à Verviers de se développer de manière extraordinaire dans le domaine lainier et, partant, dans l’industrie textile.
Cette activité est implantée à Verviers dès le 15e siècle et reste artisanale très longtemps. Cependant, au 18e siècle, l’invention de la navette volante3 permet d’augmenter considérablement la productivité . Le 19e siècle se révèle être la plus excitante des aventures industrielles. Sous l’impulsion des grands industriels dont les célèbres Cockerill, de nouvelles machines révolutionnaires furent mises au point….4. Mais ne précipitons pas l’Histoire!
La laine, dès le 18e Siècle, est importée des pays les plus lointains, (Australie, Amérique du Sud….) et mise en œuvre par une industrie naissante qui se développe grâce à la révolution industrielle qui lui apporte les solutions aux multiples problèmes de traitement qui se posent. Grâce au savoir et au savoir faire des Verviétois, la ville devient l’une des capitales mondiales de la laine. Cette laine sera le moteur de toute l’économie verviétoise jusqu’au milieu du 20e siècle. En 1808, Verviers comptait déjà cinq fabricants mécaniques: Hodson, Lejoncq, Vandenbrück, Faux et Laval et le nombre d’ouvriers est monté à 16000, au début du 20e siècle, moment où ont lieu les grandes grèves dans le bassin verviétois5.
Celui-ci connaît son déclin dès 1950, au moment de la guerre de Corée. “…les prix de la laine ont commencé à grimper jusqu’à trois ou quatre fois leur valeur. Le nécessaire à la fabrication de draps militaires, entre autres, était assuré par une augmentation des stocks verviétois, même à prix fort, et dans la crainte de pénurie. Dès la paix signée, les cours subirent une chute brutale ruinant les lainiers trop spéculateurs”6.
L’industrie lainière verviétoise meurt dans les dernières décennies du 20e siècle, mais, fière de son passé sur lequel elle ne veut pas pleurer, Verviers réussit la reconversion de son activité commerciale7 par des implantations industrielles périphériques modernes, de son contexte social par la réaffectation judicieuse d’anciens sites industriels importants et concrétise la “mémoire de son passé” dans un Centre Touristique de la Laine et de la Mode.
TRAVAIL DE LA LAINE
La laine, essentiellement de mouton est tondue directement sur l’animal vivant. Au début la “tonte” se faisait manuellement, à l’aide de cisailles appelées “forces”, par la suite, le procédé deviendra électrique: on utilisera des tondeuses de taille d’ailleurs impressionnante. Dans les élevages importants, la dextérité et l’adresse des tondeurs fera merveille. Il s’agit de prélever la toison de l’animal d’une seule pièce sans le blesser. La laine est recueillie chargée de suint, de graisses, et de toutes sortes d’impuretés naturelles. Les toisons restent pratiquement entières et sont emballées et expédiées aux usines en ballots.
Le “triage” peut alors commencer : les différentes qualités de laine sont triées selon les parties de la toison (d’où l’importance de recevoir des toisons entières…); longueur, finesse et couleur des fibres ainsi triées ont toute leur importance. La laine est ensuite épluchée ou “plusée”, c’est à dire débarrassée de toutes les parties dures, grossières et autres saletés.
Il fallait ensuite procéder au “lavage “ de la laine ou plus exactement aux différents lavages successifs. La qualité de l’eau de traitement trouve ici toute son importance. Un premier lavage est effectué à l’aide d’un mélange d’eau (4/5) et d’urine (1/5), celle-ci étant récoltée par des marchands dans les classes moins favorisées de la ville qui y trouvaient un petit appoint financier…
Vient ensuite le lavage à l’eau courante, dans l’eau de la Vesdre dans des bacs à claire-voie immergés. L’ouvrier peut alors fouler et presser la laine à l’aide de grands râteaux. Verviers comptait fin du 18e siècle une centaine de “lavoirs” sur la Vesdre dénommée alors “canal des usines”.
Après séchage à l’abri du soleil et de la lumière pour éviter le jaunissement, le volume de laine avait réduit de 2/3.
Dès 1863, l’invention par Eugène Melen (1815-1880) de la machine à laver la laine, appelée “Léviathan” – du nom du plus grand navire de l’époque – permet de traiter des quantités impressionnantes de laine, mais nécessite énormément d’eau de manière constante. Aussi, construit-on en 1878, le barrage de la Gileppe permettant une rétention d’eau qui pourra s’avérer très utile en période de disettes d’eau.
Au 18e. siècle, intervient le brisoir ou “loup” ou “diable volant” : machine composée d’un cylindre garni de longues dents métalliques et d’une partie concave d’une courbure correspondante, pareillement armée de dents, qui en se croisant arrachent les flocons de laine, les secouent et les ouvrent.
Mais la laine, en cet état, est encore loin d’être suffisamment propre pour être filée. Malgré le traitement énergique qu’elle a subi, elle contient encore des impuretés. La laine va être ouverte par le “battage”: elle est alors étendue sur de grandes tables à claies, où des ouvriers, souvent des enfants, la battent à l’aide de baguettes, tandis que les “éplucheuses” poursuivent en faisant subir à la laine un second “plusage” pour en extraire les dernières impuretés.
Bientôt, en 1848, l’échardonneuse remplace le travail de nombreux ouvriers.
Le “cardage” intervient ensuite, pour démêler les fibres, les multiplier par un léger “brisage” et les ranger parallèlement. D’abord, des planchettes garnies de pointes de fer, nommées “droussettes” préparent le travail, ensuite, intervient le cardage proprement dit, à l’aide de trois machines, la “plocteuse”, la “repasseuse” et la “finisseuse”. La laine se présente alors sous forme de voile léger qui est aussitôt scindé en bandes d’égale largeur. On forme ensuite des rubans prêts au filage.
La quenouille, le fuseau, le rouet, sont les outils ancestraux du filage. Celui-ci vise à assembler les fibres de laine en un ensemble formant un fil ayant des propriétés d’élasticité et de résistance à la traction. Deux sortes de fils sont ainsi façonnés, l’un pour la “chaîne” l’autre pour la “trame” . Tout ce travail demande énormément de main d’œuvre jusqu’à l’arrivée à Verviers, en 1800, de William Cockerill qui permet la réalisation du premier métier à tisser sur le continent européen. L’économie et le progrès sont considérables: un métier remplace 200 bras. Ainsi, nous sommes prêts pour le tissage.
Les fils de chaîne sont disposés par l’ourdisseursur une ensouple, et constituent la largeur du tissu à fabriquer. Le “tissage” peut commencer.
Le tisserand entrecroise les fils de chaînes reçus, avec les fils de trame. Les navettes sur les machines modernes se chargent de ce travail, et l’on peut observer, au musée verviétois, un métier comportant jusqu’à 7 navettes voyageant sur le métier à une vitesse vertigineuse, entrecroisant les fils de différentes couleurs parfois, pour former le tissu qui n’est encore, à ce moment, qu’un drap rugueux. Celui-ci doit encore subir divers nettoyages : enlèvement des fils dépassant aux nœuds et opérations diverses d’apprêts.
Le stade suivant consiste alors au lavage du tissu dans des auges, à l’aide d’eau courante avec des solutions savonneuses d’urine ou de terre à foulons. La pièce est frappée à l’aide de maillets pour lui donner feutrage et élasticité. Le procédé évolue bientôt, au 19e siècle, avec l’apparition de la machine à cylindres remplaçant les maillets.
Après le foulage, le tissu passe aux “rames”: sortes de cadres en bois de longueur variable, afin de sécher et de ramener les pièces aux dimensions voulues. Le séchage se fait d’abord à l’extérieur, puis plus tard, par des tuyaux à vapeur et enfin, au début du 20e siècle, par air chaud.
On procède ensuite au “lainage” du tissu, en faisant ressortir le duvet à l’aide de chardons, puis au “tondage” avec de grandes cisailles pour enlever une partie du duvet.
La répétition du foulage, ramage, lainage et tondage donnent un drap moelleux au velouté parfait.
Le travail de teinture se faisait en laine, après le lavage (les couleurs étant alors mêlées au cours du cardage) ou en fils, ou en pièces après tissage pour les tissus unis.
LE VETEMENT ET LA MODE
La part importante du Centre, consacrée au vêtement et à la mode permet au visiteur de vivre au fur et à mesure des différents sites réalisés, l’évolution du vêtement dans notre civilisation avec, comme fil conducteur, différentes bandes dessinées en adéquation avec les costumes exposés. Une sonorisation de bon aloi complète parfaitement l’évocation. A noter particulièrement l’admirable reconstitution de l’atelier et de la boutique du tailleur8.
Agnès et Guy Dumoulin.
1 Verviersima – Centre touristique de la Laine et de la Mode – Dossier pédagogique
2 Terres et Gens de Wallonie – A. Jacquemin – La renaissance du Livre Bruxelles 1936
3 Isabelle Vandenbosch -CTLM – VERVIERS 2000
4 La Gazette de Liège – 21.03.96. Page publicitaire réalisée par la RGP Liège – E. Wiertz
5 Isabelle Vandenbosch -CTLM – VERVIERS 2000
6 Idem
7 La Meuse – Revivre le passé lainier – 21.08.2000
8 La Meuse – Revivre le passé lainier – 21.08.2000