0968. De l’histoire à la légende ou De la légende à l’histoire ?

Hullos (extrait de “Plainevaux à travers les âges”) Van Alken Daniel

La houille ou plus précisément « le charbon de terre » est connu depuis longtemps.

Il y a 3.000 ans, en Chine, son exploitation, son usage et certaines de ses propriétés sont cités dans des chroniques faites sous la dynastie des Tchéou concernant les provinces du Chen Si (700 km. au S.O. de Pékin) et de Pe Tchi Li (200 km. au S.E. de Pékin, bordant la mer Jaune), où il portait le nom de « moni ».
Chez les auteurs anciens, on en parle aussi :
Aristote et Théophraste en font allusion.
Aristote (384-322 av. J.C., précepteur et ami d’Alexandre le Grand), dans la « Météorologie » parle d’une terre se trouvant dans le Péloponèse qui avait la propriété de « s’enflammer comme du bois » et utilisée par des forgerons.

Théophraste (de son vrai nom Tyrtamos, né dans l’île de Lesbos à Eresos et mort vers 280 av. J.C.) parle de l’exploitation d’une sorte de charbon de terre en usage en Sicile, en Ligurie et en Grèce … il précise « dans l’Elide, sur la route qui se dirige à travers les montagnes vers Olympie, les forgerons utilisent ces pierres noires pour leurs travaux » !

Abattage du charbon au pic vers 1500

Chez nous, l’usage, certainement très confidentiel, du « charbon de terre » est connu et prouvé depuis au moins 2.000 ans !

En effet, dans les restes de la villa romaine mise à jour dans les sous-sols de l’emplacement de la Cathédrale Saint-Lambert à Liège, on a découvert des traces de charbon. Ce charbon était employé dans l’Hypocauste (chaudière à air chaud servant à chauffer diverses pièces de la villa). L’analyse des cendres et des investigations plus poussées faites à la reconstruction de la place Saint-Lambert ont même permis de mettre en évidence l’emploi de COKE ! Cette découverte est une surprise car ce coke prouve (peut-être) la maîtrise d’une étape supplémentaire, la distillation du charbon !!

Pour obtenir du coke à partir du charbon, il faut calciner la houille à l’abri de l’air donc en vase clos, ce coke ne peut brûler et dissiper son énergie que sous l’action d’un fort courant d’air ( principe appliqué dans le brasero).

Cette technique de calcination de la houille fera les beaux jours de l’industrie métallurgique liégeoise de nombreux siècles plus tard et les gaz récupérés éclaireront nos villes.

Il faut préciser qu’il existe un coke naturel stratifié provenant de couches de houille qui se sont enflammées spontanément à la suite d’une fermentation, ces couches rares ne sont pas du tout à fleur de terre dans nos régions… !

Sur la montagne de Saint-Gilles à Liège, on a aussi trouvé des traces de houille dans un autel du temps du paganisme et dédié à Vulcain !

Amère constatation : Hullos n’a pas découvert la houille mais peut être l’a- t-il redécouverte ? Bizarrement, pendant plusieurs siècles cet usage semble avoir été perdu !

L’histoire présente parfois de curieux « oublis » et pour la deuxième fois ce phénomène semble se répéter. Un « oubli » technique célèbre est celui de la moissonneuse des Celtes, décrite à plusieurs reprises par les auteurs anciens, oubliée pendant plus de 1.200 ans à tel point que les historiens modernes mettaient en doute la véracité de ces récits et de l’avancée technique que présentait cette machine.

Coup sur coup deux trouvailles archéologiques ont mis à jour des représentations de cette moissonneuse en usage dans la province du Luxembourg, levant ainsi tous les doutes.

La célèbre moissonneuse des Celtes. Fragments retrouvés à Montauban-Buzenol et à Arlon

L’oubli du « charbon de terre » semble s’être fait de la même façon car pendant plus de 800 ans on n’en parle plus !

La légende de la (re)découverte du charbon

Cette légende bien sympathique repose uniquement sur les récits de Jean d’Outremeuse, chroniqueur amusant mais aussi très fantaisiste !!

Reprenons en entier son texte : (vers 1340 !)

Le mineur vers 1700«  En la rue Choque de Liége, il y avait un vieil homme qui était fort bon ouvrier, il ne demandait jamais pour l’ouvrage qu’il accomplissait que la moitié qu’un autre en prenait. Or il arriva que le bois et le charbon de bois avec lequel il travaillait devinrent plus chers que d’ordinaire, de sorte qu’il ne gagnait rien d’autre que le prix de son bois et de son charbon et ne pouvait plus manger. Il arriva qu’il était un jour sur le seuil de sa maison et vint là un vieil homme, vêtu de draps blancs, qui lui dit « Maréchal, souviens-toi bien de ce que je te dirai. Va droit en Publémont où les moines demeurent à présent, et là prends une mine de terre noire que tu trouveras surgissant à fleur de terre, et avec cette mine noire fais ton feu, et quand il sera en feu jette de l’eau et tu auras un feu qui te permettra de fondre le fer et d’autres métaux. »

Le mineur vers 1700

Et le prudhomme s’évanouit sans plus rien dire. Et le vieux maréchal alla un jour à Publémont, mit sur un cheval deux paniers de cette mine noire et en fit du feu.
Il cacha cela pendant un an et gagna alors beaucoup car il était un bon ouvrier.
Depuis la mine fut connue et chacun en usa pendant deux à trois ans.Mais après cela les bons bourgeois qui possédaient cette terre ont défendu d’en prendre, ont fait eux-mêmes ouvrage de houillère et ont vendu.
Ainsi la chose se multiplia.
Et vous devez savoir que le maréchal était nommé Hullos de Plainevaux et que c’est de là qu’on appella le charbon houille et les fosses houillères. »
(Jean d’Outremeuse, tome IV, p. 542)

Ce récit accepté par beaucoup d’écrivains est à l’origine de cette légende en tentant de la faire passer pour un fait historique ! Villenfagne, Nautet, Dewez et même Gobert n’ont pas songé à le discuter !

Heureusement, Paul Tschoffen, lui se montre un peu plus curieux et nous trace une nouvelle piste. En contrôlant point par point le récit de Jean d’Outremeuse, il a remarqué qu’il n’a fait que copier en l’amplifiant un récit de Gilles d’Orval !

Gilles d’Orval (né en 1.200 et moine à Orval) rapporte, en précisant bien dans sa chronique un « on-dit » et il dégage sa responsabilité !

« Vers ce temps (d’Albert de Cuyck) une terre noirepouvant servir aux artisans du fer et pour les foyers domestiques fut trouvée près de Liége d’une manière étonnante.
A ce qu’on rapporte (fertur) un certain vieillard vénérable à la barbe et les cheveux blancs, vêtu de blanc également, passait à un endroit appelé Coche, lorsqu’il rencontra un forgeron qui se plaignit beaucoup de ce que son travail ne donnait aucun bénéfice à cause de l’excessive cherté du bois.
« Mon ami, répondit l’inconnu, allez sur la montagne, près des moines, vous y découvrirez, affleurant à la surface, des veines noires, il y a là une terre très utile pour le travail du fer. »

Voilà une version de la légende antérieure à Jean d’Outremeuse reprise, amplifiée et garnie du nom de Hullos de Plainevaux par cet auteur facétieux !

Hullos serait-il donc sorti de l’imagination de Jean d’Outremeuse ?

Et que penser de la (re)découverte de la houille sous le règne du prince Albert de Cuyck (1198) ?

Un puits de mine vers 1500

Avant Gilles d’Orval, un autre auteur parle de la houille dans ses mémoires.
Reignier, un autre moine de l’abbaye de Saint-Jacques à Liège (né en 1157 et mort après 1230) y fait allusion en 1195 et précise le fait dans ses commentaires en 1198 et 1213 (Monumenta Germaniae, Tome XVI, p. 652)
En voici la traduction (année 1198):
« Cette année une terre noire très bonne pour faire du feu fut trouvée en Hesbaye dans beaucoup d’endroits. »
Ceci est très explicite et très simple et comme le fait remarquer P. Tschoffen, loin du récit de Jean d’Outremeuse.


En 1213, le moine Reignier reparle de la houille :
« …Il est temps de terminer cette année (1213), mais avant je veux décrire trois choses utiles qui, à notre sens, sont dignes de tout souvenir. Ce sont la marne renfermée dans la terre en grande quantité, et de la terre noire très semblable au charbon qui est très utile aux forgerons et aux pauvres pour faire du feu (terra nigra carbonum simillima quae fabris et fabrilibus et pauperibus ad ignem faciendum est utilissima et plumbum quod apud nos in pluribus locis est inventum) et du plomb qui a été trouvé chez nous en beaucoup d’endroits. »

Voilà, ce qui semblerait pouvoir clore ce débat, avec des faits connus depuis longtemps mais alors Pourquoi cette persistance de la légende ?

Hénaux dans l’ « Histoire de la houille au pays de Liége, p.8 » donne une explication qui me semble une hypothèse correcte en tenant compte de l’époque !

La voici :
« Toute cette mystérieuse histoire ne trouve pas d’incrédules parmi le peuple et moins encore parmi les moines qui la propagèrent. Le premier était parfois si malheureux qu’il avait besoin de croire que Dieu ne l’abandonnerait pas dans sa misère et les autres y trouvaient si bien leur compte pour ne pas l’accréditer.
Un monastère à miracles est si riche et si estimé !
De plus, la vie isolée et contemplative du cloître, le mysticisme superticieux du Moyen Age, joint aux calamités qui l’exaltent encore, leur rendent pour ainsi dire palpable la main d’une puissance supérieure et leur imposaient comme un article de foi ce qu’ils n’étaient déjà que trop portés à admettre déjà d’eux-mêmes. »

Voilà donc pourquoi cette légende, soigneusement entretenue pendant plusieurs centaines d’années, a la vie si dure et a permis à l’Abbaye du Val Saint-Lambert de s’entourer d’une aura dans la région !

Le mot « houille » apparaît la première fois dans des actes du Chapitre de Saint-Lambert en 1278, 1299 1316… ; dans les actes de l’abbaye du Val Benoit en 1281

Le monastère du Val Saint-Lambert et la houille
Il semble que l’on y fasse allusion en 1228 (V.S.L. chartre 75) ; La collégiale Saint-Martin dans un acte passé avec un bourgeois (Gauthier le Cornu) pour une terre agricole sise sur Ans et Bolsée précise que s’il devait y avoir une exploitation du sous-sol… il faudrait un autre acte. 1278, cela parait être l’année du véritable départ ! On retrouve toujours le nom d’un échevin de Liège, Thierry de Saint-Servais, qui semble s’intéresser à la recherche de la houille et à son exploitation car il multiplie les demandes ! 1278 : on parle de houille à Morinval, dans le quartier Saint-Léonard à Liège mais il est fait état d’une règlementation concernant les centres d’Ans, de Berleur et de Marihaye. 1281 : il est question de houille à Beyne. 1291 : il est question d’un droit d’exploitation du sous-sol d’une vigne. 1293 : on parle de houille à Coronmeuse. 1313 : l’abbaye exploite une houillère près de ses bâtiments à un endroit appellé « Beourdes » 1317 : la chartre 433 (V.S.L) nous apprend que le frère Nicole qui était le « maître de la grange » de Bolsée devient le « maistre des huhires » ! Il meurt en 1330 et il est aussitôt remplacé par Lambert de Freloux. 1358 : il y a plusieurs fosses à Marihaye. 1356 : l’abbaye vend à un certain Baudouin de Hurte bise, le droit de percevoir ce que l’exploitation du charbon lui rapporte dans les fosses d’Ans et de Molins.
Chaque fois que le monastère vend ou loue des terres (agricoles ou pas), il se réserve toujours des droits sur les mines !

Vers 1910, Renaud Strivay, reprenant des anciennes histoires contées « al size », à la veillée, précisait que la maison de … Hullos se trouvait le long du ruisseau de Plainevaux à proximité du lieu-dit « le bruta » (côté Grand Route)!

Après avoir malheureusement « tordu le cou » à une si belle légende, je pense pouvoir me faire pardonner car il y a quand même quelque chose… !

Partant de l’hypothèse que chaque légende a son fond de vérité, après des recherches qui ne sont pas terminées, j’ai acquis la certitude qu’il y a eu… de la houille à Plainevaux !

Plusieurs extraits en parlent et nous allons essayer d’y voir un peu plus clair.

Afin de ne pas être abusé par les textes anciens, il me semble nécessaire d’apporter quelques précisions.

  • Le terme « mine » reprend tout ce qui se trouve sous la surface de la terre et non pas une galerie !
  • Le terme « charbon » désigne sans aucune équivoque le charbon de bois !
  • Un charbon de bois spécial, propre à notre commune, était réputé pour ses qualités calorifiques dans Liège et les alentours sous le nom de « charbon de Strivéal » ; (charbon de Strivay), cette technique était spéciale et expliquée dans plusieurs documents ; partant de la technique ancestrale consistant à élever une « hutte » en disposant les bois d’une façon particulière, recouvrant l’édifice de mottes d’herbes et d’une couche de terre en ayant soin de ménager des couloirs et une cheminée afin de régler la circulation de l’air, le bois se consumant avec très peu d’oxygène devenait du charbon de bois. Chez nous, certaines huttes étaient un peu transformées afin de pouvoir pendant l’opération de distillation introduire de fortes quantité d’eau mais en faisant attention de ne pas éteindre complètement le foyer !
    Ce tour de main répété plusieurs fois conférait au charbon de bois une dureté, une pureté et un pouvoir calorifique supérieur au charbon de bois normal.
    Acheminé par la chera de Rosière, il était déposé en sacs et en paniers le long des chergeux afin d’être chargé et acheminé dans les bètchètes pilotées par les outleus !
    Ce charbon de bois particulier était vendu à Liège sous le nom de « charbon de Strivéal ».
Betchète de l’Ourthe.
  • Le terme « houillère», lui est plus intéressant car il désigne sans aucun doute « le lieu d’exploitation du charbon de terre »

C’est donc vers ce terme que nos recherches vont se tourner mais voyons un peu ce que l’on en sait à Seraing ( « Les rues de Seraing » de N. Pirson et E. Dounan)!

1372- une veine dite « manette » existante sous les biens du Val Saint-Lambert au lieu-dit sur Marihaye
1387- ouvrage appelé « del spinet » situé au thier de Marihaye.
1391- on parle d’une fosse « awifosse ».
1404- une houillère appelée « bomme » la Baume.
1485- « ovraige de vinne que l’on appelle le stennee veinne estant au boix delle église »
Des règlements concernant la houillerie furent rédigés dès 1278 et le plus vieux document retrouvé date du 18 juin 1479, il prouve que les fosses à houille étaient exploitées par des sociétés (les comparchonniers), nommés aussi maîtres des fosses.
En droit liégeois le propriétaire possédait ses biens jusqu’au centre de la terre !
Les chartres numéros 75 et 135 font mentions de dispositions spéciales à la location, l’abbaye du Val Saint-Lambert se réserve des droits sur les houilles.
– Le « terrage », soit un panier de houille sur douze ou sur quatorze (c’était « part à la fosse », une expression restée dans le wallon et dont le sens a changé sous la forme « Aveûr pârt al fosse» qui signifie être au nombre de ceux qu’une dame favorise …!


En examinant ma documentation voici ce que j’ai trouvé :
1547 « une maison et jardin estable de vaches et assize a touttes es appartenances seans audit Strouvea appeleit lhirtaige Dottee joindant vers ardenne az werixhas damont alle rualle louys et vers mouse az hoieres delle fosse »

Voici une piste sérieuse où on parle de Strivay, de la ruelle Louis et de hoieres delle fosse !
1558 « ung journal tant boix comme haye gissant en lieu dicte en thiere de jardin joindant vers ourte au hoieres Sieur Andrier de roiesier vers mouse aux hoieres delle fosse et damont alle hierdavoye tendante de Struvea a martain »

Nous avons ici des précisions supplémentaires et on parle maintenant de deux lieux d’exploitation proches l’un de l’autre et comprenant peut-être plusieurs fosses.

Dans ces deux documents hoieres est au pluriel (il faut être très prudent car à l’époque l’orthographe était très fantaisiste et dépendait de la prononciation du … transcripteur) !
On parle deux fois des hoieres delle fosse et d’une autre hoiere qui se trouve au sud du thier Dejardin dont l’exploitant est Andrier de roiesier (André de Rosière).
Malheureusement, pour le moment, je ne sais pas remonter le temps plus haut (il faudrait encore gagner plus de 300 ans afin d’accréditer la légende de Hullos) !
Une autre trace existe reliant l’aura de la légende de Hullos et les faits car à l’érection de la chapelle de Plainevaux en paroisse celle-ci fut consacrée sous la protection de Saint Nicolas et de Saint Barbe en 1574 !
Sainte Barbe étant la patronne des mineurs …