1092. François Hansenne

François, un des membres fondateurs de « Mémoire de Neupré » s’en est allé aussi discrètement qu’il avait vécu.
Il fut un époux attentionné et un père formidable, ses enfants en étaient conscients et l’entouraient de toute leur affection.
Sa vie professionnelle fut un modèle de probité et d’efficacité. il avait l’art de susciter des amitiés solides et profondes sans jamais devenir opportun.
A 20 ans, l’âge des rêves et des projets, il a donné cinq ans de sa vie pour sa patrie, nous, ses amis, allons revivre les dures années de sa vie en stalag et nous rappeler que la « captivité » fut son plus grand calvaire.
Rolande

Ma captivité…

Mobilisé le 30 octobre 1939 au 1er régiment D.T.C.A. (Défense terrestre contre les aéronefs) et après 4 mois d’instruction à Laeken et à Flawinne, j’ai été cantonné à Hérenthout près de Hérentals. C’est là que j’étais le 10 mai 1940 lors de la déclaration de guerre, et coïncidence c’est à Henrentals que j’ai été démobilisé le 23 mai 1945, soit 67 mois sous l’uniforme.


Le service militaire

Le 28 mai 1940, lors de la bataille de la Lys, j’ai été fait prisonnier et enfermé dans une église (la nuit j’ai dormi sur le plancher du confessionnal). Le lendemain les Allemands nous ont rassemblés dans une prairie pour nous conduire, escortés de sentinelles, jusqu’au polygone de Brasschaat. Nous avons logé dans une écurie. Le matin très tôt, réveil en bousculade et en route vers la gare de Kalmthout, pour nous embarquer par 50 dans des wagons à bestiaux.

Nous avons été débarqués à Dortmund, conduits à travers la ville sous le regard méprisant de la population. Ils nous ont parqués en plein milieu de la piste, du vélodrome, entourée de barbelés. Le lendemain après-midi on nous a donné un cinquième de pain, (soit 200 grs) et un morceau de saucisson et remis dans les mêmes wagons, vers une destination non révélée.


Klein-Schwansfeld – avril 1942
Ferme de Frau Werner-Wolf (650 Ha).

Nous avons roulé deux nuits et deux jours dans un inconfort total debout ou accroupis, chaud le jour, froid la nuit, avec des relents de toutes sortes. Il y avait une espèce de poubelle dans un coin pour satisfaire nos besoins. Nous avons fait deux haltes pour recevoir de l’eau et sommes arrivés le 9 juin 1940, vers 5 h. du matin, dans un bled de la Prusse orientale, dans une petite gare qui portait le nom de STABLAK.

On nous dirigea vers un camp qui était à une demi-heure de marche. C’était le STALAG 1A qui deviendra tristement célèbre pour 162.000 prisonniers de toutes nationalités.

On nous a installés dans une grande tente qui pouvait contenir 500 hommes et nous devions coucher à même le sol et de nouveau, chaud le jour, froid la nuit et en plus tenaillés par la faim, nous étions exténués. (Pour ma part, je suis tombé deux fois dans les pommes).

De plus pour notre malheur, une nuit un violent orage éclata, les haubans de notre tente cédèrent et la toile s’envola

On nous fit passer par 30 à 40 à la douche commune et, nus comme des vers, à la tonte de tous les poils, où qu’ils soient, pendant que nos vêtements passaient à la désinfection à la vapeur. Ensuite, vaccins, piqûres et immatriculation, nous étions placés derrière une ardoise à hauteur de notre poitrine avec le numéro inscrit à la craie et je fus désormais le n 9571/B.

Après une quinzaine de jours passés dans ce camp central nous avons été acheminés vers la gare et embarqués à nouveau dans des wagons à bestiaux pour arriver sur un immense quai de la gare principale de Königsberg (Kaliningrad, en russe). Les sentinelles nous ont alignés, en rangs, par trois fois, face à une foule de « bauer » (fermiers) qui attendaient, avec leur charrette, pour faire le choix de leur main-d’œuvre comme sur un marché d’esclaves (certains tâtaient même les biceps) et ils s’en allaient avec les hommes qu’ils avaient choisis (quelle humiliation).

Tous ceux qui restaient sur le quai (dont j’étais) furent dirigés vers une ancienne fabrique de porcelaine désaffectée qui allait être pour plusieurs mois notre camp. C’était le kommando E.44 Schichau-werk, firme qui travaillait pour la marine de guerre. C’est là que nous connaîtrons les poux et les punaises, malgré les désinfections. Beaucoup de soldats des régiments de forteresse de Liège ont connu ce kommando qui eut une sinistre réputation.


Charette utilisée pour les déplacements autorisés. Vers Bartenstein pour une séance de vaccination. François en bas à droite.

Voici ce qu’en dit Frans PITOORS un anversois qui fut notre interprète et homme de confiance « Aucun prisonnier de la Prusse orientale n’ignore que le kommando Schidau était un des plus mauvais de la province exécrée, tant au point de vue des gardiens que de la vie que nous y menions et de la nourriture, les anciens de Schibau (plusieurs Neupréens y ont séjourné) se rappelleront les coups de matraque en caoutchouc administrés par un de nos aimables protecteurs le sous-officier allemand dénommé « matraque » sous les ordres du non moins brave feldwebel (adjudant) Orlowsky et ce, pour la moindre vétille, par exemple une main en poche ».

En février 1941, on annonce le retour des prisonniers flamands et un matin un sergent flamand vint hurler à la porte du dortoir « Rassemblement pour les Flamands, pas pour les Belges » inutile de vous dire la huée qui s’en suivit. Après le départ des Flamands et l’arrivée de nombreux prisonniers français, je fus désigné avec une bonne cinquantaine d’autres pour partir dans un autre kommando.

Nous sommes, cette fois, partis dans des wagons pour voyageurs car nous apprîmes que nous allions travailler pour la Reichbahn (chemins de fer allemands).

Tromitten, juillet 1941. Annexe de bergerie (environ 1000 moutons)

Moisson 44. Il n’y a plus que les prisonniers pour faire le travail.
Blé couché sur 5 Ha. Fauchage et ligature des gerbes à la main.

Nous sommes arrivés à Memel, en Lituanie, port sur la Baltique. Nous étions logés dans des baraquements, en plein centre de la gare de formation, entourés d’une double rangée de clôtures de barbelés de trois mètres de hauteur, avec tout autour une multitude de voies ferrées.

Dans ce kommando E.12 nous avons beaucoup souffert de la faim car le menu de tous les jours à midi était une espèce de liquide grisâtre où flottaient quelques morceaux de rutabagas et 300 grs de pain pour la journée. Nous allions dans une gare à la frontière russe transborder les marchandises des wagons russes dans les wagons allemands et vice versa, l’écartement des rails russes n’étant pas le même que celui des allemands.

Le 22 juin 1941, à 3 h. du matin nous sommes réveillés par le bruit des canons et les sentinelles viennent nous annoncer fièrement que l’Allemagne a déclaré la guerre à l’Union Soviétique.

Quelques jours plus tard, nous avons été ramenés vers l’intérieur du pays. C’est ainsi que je suis arrivé à la compagnie de Bartenstein (Bartoszyce, en polonais) kommando E.20 où là j’ai rencontré Louis ANTOINE qui étant dans les années 30 hôtelier du Château de la Tour à Esneux et qui était l’homme de confiance de cette compagnie.

Grâce à lui, sur ma demande, je fus affecté avec mon ami LANNERS de Bastogne dans une ferme à une dizaine de kilomètres. C’était une ferme d’état et la nourriture n’était guère meilleure.

Lors d’une visite à la compagnie, je demandai à Louis s’il n’y avait pas moyen d’aller dans une autre ferme plus petite. J’obtins satisfaction et de nouveau avec mon camarade LANNERS, je fus muté dans une ferme à Kleinschwansfeld (Labetnik, en polonais) où il y avait déjà 6 belges. C’est là que nous resterons jusqu’à notre évacuation en 1945.

« On va sofler sol’four » – François en haut à gauche.