Daniel Van Alken
Nous sommes au début du vingtième siècle, entre les années 1900 et 1904, Marie N.1 habitait le village de Plainevaux, dans le caser (la maison Lacombe), maison que plus tard Modeste Delcomune (auteur de « La paroisse de Plainevaux »), lèguera à la Fabrique d’Eglise.
A l’époque, Marie, âgée d’environ vingt-cinq ans était très timide, renfermée et ayant depuis son enfance des problèmes de relations avec les personnes qui n’étaient pas ses proches. Elle était, disaient les uns un peu « fêlée » ; d’autres la qualifiaient de « gentille…mais ayant ses crises », d’autres encore racontaient qu’elle était toujours « dans la lune » ! Bref, une femme ayant des problèmes pas trop graves et acceptée avec bonhomie et sympathie dans la communauté. J’ignore à quelle époque Marie s’est mariée et quand elle a eu un fils.
Pendant ses périodes de « crises », Marie éprouvait le besoin de s’isoler, de se cacher et de rester ainsi prostrée pendant de longues heures. La famille et les amis s’y étaient habitués mais parfois la crise était plus sérieuse…
Madame L. Daxley (de la rue Tesnière mais décédée l’année dernière) m’a assuré que sa grand-mère (parente de Marie ), lui avait raconté que lors d’une des fugues de Marie, tout le village s’était inquiété battant la campagne de long en large et multipliant les appels pendant toute la journée. Enfin, un habitant à découvert Marie cachée dans une grande meule de foin près de la ferme ayant appartenu à François Maréchal (ferme au début du tige Piret, venant d’être transformée en habitation privée). Pour se cacher, Marie avait creusé un trou dans le foin et refermé l’entrée avec l’herbe séchée !
Un an plus tard, rebelote, Marie disparaissait une fois de plus !
Après une longue journée de recherches, la famille et les amis, inquiets et sachant par expérience avec quelle imagination Marie choisissait ses cachettes, mobilisèrent encore le village. Cette fois, on passa en revue les anciennes caches de Marie, les maisons et les granges du village, l’étang du moulin, l’étang du château, les bois, les taillis, tout fut fouillé minutieusement et cette deuxième journée n’apporta rien de nouveau. Ce n’est qu’à la fin de la troisième journée que par le plus grand des hasards on l’a découverte. Marie était cachée dans la meulière de la heid de Rosière, exactement au premier accès, près du G.R.5 actuel. Suivant son habitude, sa cachette était choisie avec le plus grand soin ! Marie avait pénétré profondément dans la galerie de la mine de pierres à moulin et était terrée dans la deuxième salle de ce couloir, soit à 30m de l’entrée !
L’entrée de la « la meulière » près de la Rosière.
Le trou « Marie » à la Rosière
Depuis ce jour mémorable, Marie a laissé son nom à l’endroit sous le toponyme de « trou Marie ».
Vieillissant, Marie est allée habiter chez son fils à Limont et elle est décédée à un âge avancé au début des années 60.
A l’époque, les communes devaient prendre en charge les personnes qui pour une raison ou l’autre devenaient gênantes ou dangereuses pour la communauté. Ces habitants étaient repris sous le terme d’« aliénés ». La commune devenait « le domicile de secours » pour autant que le chef de ménage soit domicilié dans la commune depuis au moins cinq ans.
Un certificat médical devait justifier la mise en maison fermée et on faisait appel à un médecin d’Esneux car à Plainevaux, il n’y en avait pas !
Plusieurs Plainevallois et Plainevalloises se sont ainsi retrouvés à Liège dans la maison de santé de monsieur F. Pilet, rue Faubourg Ste Marguerite. D’autres ont été « pensionnaires » de la maison de santé de Geel, à St-Trond et d’autres encore de l’institut Ste Dominique à Bruges…
Les frais d’entretien étaient payés par la commune et vers les années 1885 cela coûtait presque, le dixième du budget communal… !
Lettre du 4 janvier 1883
Nous soussignés, N; J. Lafontaine, Bourgmestre de Plainevaux, arrondissement et Province de Liège, Déclarons et certifions que la nommée Anne Marie …, âgée de 31 ans, épouse de … Victor Joseph, née et domiciliée en cette commune, est un danger pour son enfant et qu’elle pourrait atteindre à ses propres jours.
Vu le certificat de Monsieur le Docteur Van der Maesen (Il habite Esneux et vient d’être nommé « médecin communal »), délivré en date du 26 novembre dernier, déclarant que la prénommée est atteinte d’aliénation mentale.
Considérant qu’elle est gardée à vue, qu’ il est urgent de veiller à sa sécurité personnelle et à celle des siens et de la faire soigner dans un établissement d’aliénés ; nous ordonnons que la susdite … Anne Marie soit immédiatement arrêtée et colloquée dans l’hospice pour femmes aliénées à Saint-Trond.
Plainevaux, le 4 janvier 1883
Sans perdre de temps, le même jour, il écrit à la directrice de l’établissement.
Plainevaux, le 4 janvier 1883
Madame la directrice,
Nous venons vous remercier de la bonté que vous avez de bien vouloir recevoir à votre établissement notre malheureuse aliénée.
Nous ne saurions trop admirer cet acte humanitaire qui met fin à nos soucis et qui assure un repos paisible à celle qui en est l’objet.
…Le porteur de la présente est chargé de vous remettre le certificat du Docteur et l’arrêté de collocation délivré par nous.
Nous espérons que vous voudrez bien la recevoir au moins provisoirement…
La nuit a porté conseil, il a relu les documents concernant les « communes de secours » et le lendemain, il écrit :
Plainevaux, le 5 janvier 1883
Messieurs les Membres de l’Administration Communale à Rotheux-Rimière
Nous avons l’honneur de vous informer que la nommée Anne Marie …, épouse de Victor … étant atteinte d’aliénation mentale, nous avons été obligé de la placer dans l’établissement pour femmes aliénées à Saint-Trond.
Le susdit Victor … n’étant pas domicilié à Plainevaux depuis 5 ans, votre commune est son domicile de secours ainsi que celui de son épouse.
Les frais de transport en voiture de Plainevaux à St-Trond, y compris le salaire de deux gardiens se montant à 62 frs 50 Cs, somme que nous avons payé et que nous vous prions de nous faire rembourser.
Pour le Collège…
J’ignore si la commune de Rotheux a payé !
J’ai encore trouvé une trace d’Anne Marie durant la première guerre mondiale.
Lettre du bourgmestre au Commandant Allemand, à Esneux :
Plainevaux, ce 25 novembre 1916
Monsieur le Commandant,
J’ai l’honneur de vous faire savoir qu’une seule personne de notre commune, âgée de plus de 15 ans, n’est pas munie d’une carte d’identité. C’est la nommée … Anne Marie, née …, âgée de 65 ans, domiciliée à Plainevaux, rue du village .
Cette personne est malade et atteinte d’aliénation mentale ; elle est séquestrée à domicile et ne possède pas son portrait.
Il nous est donc impossible de lui délivrer un certificat d’identité.
Agréez, M. le Commandant….
Elle était donc revenue et y a pas photo !!!
Carte postale envoyée par Mr Flohimont à Renaud Strivay le 8 juin 1914.
Ce courrier fait référence à Marie de Plainevaux et aux grottes de la Rosière.
1 Anne Marie N., la mère de Marie N. avait, elle aussi eu des problèmes. C’est de toute évidence d’elle que parle Renaud Strivay dans « La folle ». Voir « Les Cahiers de Jadis » n° 33 p.1233.