De nombreux articles parus dans « Les Cahiers de jadis »1, ont montré la diversité des liens féodaux, juridiques et religieux des seigneuries de l’Ancien Régime qui se trouvaient sur le territoire de l’actuel Neupré.
Les habitants de notre entité étaient jadis, soit natifs du Pays de Liège2, soit natifs du Pays de Limbourg3, la répartition politique étant la suivante: Limbourg: Rotheux (avec Bonsgnée, La Salle, …) qui appartenait à la Seigneurie d’Esneux, la Seigneurie de La Rimière, la Trixhosdin qui dépendait de la Seigneurie de La Chapelle (avec Berleur) ,Angoxhe qui était une enclave du Ban de Sprimont; Liège: la Seigneurie de La Neuville en Condroz, la Seigneurie de Plainevaux (avec Strivay); les Septfawes s’étendaient sur les deux pays.
Chaque seigneurie avait sa Cour de justice (ou Cour des échevins). Hormis les contestations entre seigneuries4, elles avaient pratiquement les mêmes attributions.
Les registres de leurs délibérations oudécisions commencent en ce qui concerne Neupré aux XVe et XVIe siècles5. Les Cours de justice étaient bien plus anciennes mais leur existence n’est connue que de façon fragmentaire par d’autres sources (archives d’abbaye, de famille…)6.
Leurs membres étaient désignés par le seigneur de chaque communauté et devaient prêter serment7.
Elles se composaient d’un mayeur qui, muni de sa « verge justicière », présidait l’assemblée, d’échevins (ou tenants), dont le nombre variait en fonction de l’importance de la seigneurie, d’un greffier (ou clerc), de sergents (ou forestiers). Ils devaient remplir certaines conditions, notamment être de foi catholique, honnêtes, limbourgeois ouliégeois selon la seigneurie. En cas d’empêchement du mayeur, un échevin, en général le plus ancien dans la fonction, plus rarement un sergent, pouvait officier à sa place. Ils étaient nommés à vie, les démissions étant dues la plupart du temps à l’âge ouà la maladie.
L’une ou l’autre de ces fonctions ont souvent été attribuées à des membres de familles importantes, bien implantées dans la région. Tel fut le cas notamment pour les delle Haye (du XVe au XVIIIe s.), les Dangoxhe (XVIe -XVIIe s.), les Collignon XVIIe -XVIIIe s.), présents tant à La Rimière qu’à La Neuville ou à Plainevaux, les de Warnant (XVIe-XVIIe s.), outre ces communes, présents à Esneux, les Souverainpré (du XVIe au XVIIIe s.) à Esneux.
Les cumuls n’étaient pas rares et il a été maintes fois dérogé au principe de nationalité. L’exemple type est celui d’André Ponthier qui, aux alentours de 1700, fut échevin d’Esneux (Limbourg), mayeur de Plainevaux (Liège) et mayeur de La Rimière (Limbourg).
Registres et papiers officiels étaient à l’origine déposés dans un coffre qui restait au local du tribunal: « Pour ce avons été à notre coffre visiter et feuilleter nos registres, papiers et exploits authentiques ». Il ne s’ouvrait qu’à l’aide de deux ou trois clefs, détenues par des personnes différentes, ce qui en garantissait l’inviolabilité et empêchait la disparition des pièces « mises en garde ».
Où se situaient ces locaux? Les archives mentionnent quelques fois des réunions « en la maison et chambre des plaids ordinaires » (ou plaids de quinzaine). Quelques rares informations nous font penser que la Cour se retrouvait dans la maison du mayeur ou d’un échevin8, même dans l’église9. C’est au château10 que se tenaient les « plaids généraux » , appelés aussi « plaids du seigneur », réservés aux « forfaitures », donc aux délits commis tant par les « masuyiers » (habitants) que par les étrangers, et soumis à l’amende ou à des châtiments plus graves (exécutions, bannissements « pour cent et un ans »!…). Ces plaids se déroulaient au lendemain de la « Fête des Rois », au lendemain de « l’enclose Pâques », voire au lendemain de la fête de « saint Jean, apôtre » ou à la « Saint Remy ».
La principale activité des Cours échevinales était en fait l’enregistrement des actes notariés11 (échanges, prêts, états des lieux, ventes de propriétés, testaments, partages…). Les différents dépôts des Archives de l’Etat regorgent de « reportations », « relevations », « concessions », « donations en héritages », « parchons » des siècles passés.
Dans une société qui n’évoluait que lentement, l’institution du cadastre n’existait pas et l’implantation des biens n’était que fort vaguement décrite. Les propriétaires avaient dès lors tendance à mordre sur les biens publics (chemins, aisemances, werixhas…)12. Les Cours procédaient de temps à autre avec un mesureur juré à une « visitation » des chemins et à une rectification des emplacements13.
Parfois, deux seigneuries restaient indécises sur leurs limites respectives.
Les Cours de justice voisines décidaient alors un « cerquemenage »14 : sur base d’anciens écrits, du témoignage d’habitants plus âgés, elles s’accordaient sur le bornage des territoires.
Comment mieux définir un des rôles des Cours de justice que par cet extrait?: « Afin de refrener laudace et temerairete des malveulhians/ les chastier de leurs delicts/ tenir les bans en paix et repos/ enquelste se fera de la parte du Sr… et son officier/ sur les poincts et art(icle)s suyvantes… »15.
Les délits pour « stours et bourrines » (coups et blessures), souvent à sang coulant, résultant de disputes entre voisins ou de bagarres aux fêtes de village16, n’étaient pas rares et soumis à l’amende.
Peu de cas d’« occisions » sont parvenus jusqu’à nous; un « chirurgien », accompagné de membres de la Cour, procédait alors à l’examen du corps avant qu’il ne soit emporté17.
Rappelons deux affaires qui sortent de l’ordinaire: le meurtre sur Arnould Dellemelle par Pierre Charles Donckier de Donceel, où le fils de la victime se contente d’un relativement faible dédommagement en argent18; les meurtres commis par Jean de Warnant19, qui bien sûr ne relevaient pas de la justice de sa propre seigneurie de La Neuville.
Seuls quelques documents permettent de situer occasionnellement les prisons: la Brassine à La Rimière, le château à Esneux, une tour du château de Plainevaux20.
Nous n’avons pas trouvé d’allusions à des procès de sorcellerie dans notre entité. Il arrive bien qu’une habitante de Plainevaux se plaigne que des voisins l’aient traitée de « mackeralle ou sorcière »21 mais la cour obtient de ceux-ci une « excusation » publique et l’assurance qu’elle est une personne de « bonne falme »22.
La fixation du prix des boissons, la vérification des poids et mesures étaient également dans les attributions des Cours de justice. Setiers et muids des meuniers, pintes des « taverniers et revendeurs de cervoise ou de brandevin » devaient être conformes.
Les « saisinnes » n’étaient pas rares. Faute de pouvoir rembourser ses dettes, le débiteur, après trois exploits du sergent, se voyait menacé de la confiscation de ses biens en faveur du créancier.
Un dernier mot sur les affaires courantes. Les sergents (dont c’était une des fonctions), mais surtout les habitants, prenaient un malin plaisir à « panner » (surprendre, attraper) leurs semblables et à les dénoncer sous serment. Objets du délit: faire paître les « bêtes à cornes » ou « à laine », engraisser les porcs, couper ou ramasser du bois dans les endroits interdits par le seigneur du lieu.
Paul Dangoxhe -Février 2004
1 « Les Cahiers de jadis » N° 1 à 11.
2 La Principauté de Liège.
3 Le Duché de Limbourg, regroupé autour de la ville de Limbourg (entre Verviers et Eupen). A ne pas confondre avec les actuelles provinces de Limbourg, belge ou néerlandaise. Les seigneuries d’Esneux, La Rimière, etc,…totalement excentrées étaient dites seigneuries « par delà les bois ».
4 « Les Cahiers de jadis » N°20 p.733.
5 Parfois avec quelques documents antérieurs: Plainevaux:1457 – La Neuville:1531 -Esneux:1531 -La Rimière:1560.
6 Une charte du 13 juin 1266 oblige déjà à « venir a plais dedens la terre dastenoit (d’Esneux) » (Schoonbroodt/294).
7 « Les Cahiers de jadis » N°27 p.1004.
8 -« Les Cahiers de jadis » N°36 p.1377 et suiv. -« dans la maison du mayeur…lieu ordinaire d’assemblée » (VSL/201 – anno 1669).
9 Notaire Stiennon -22 février 1697 -cité par C. Simonis « La seigneurie et comté d’Esneux » p.223.
10 Plaids généraux en la salle haute du château de La Neuville (VSL/162 -15 avril 1601). Plaids généraux au château de Plainevaux (VSL/170 -12 avril 1752).
11 « Savoir faisons que par devant nous comme par devant notre cour, hauteur (=juridiction) et justice comparut personnellement pour faire ce que ci-après s’ensuit… ».
12 « Les Cahiers de jadis » N°12 p.387.
13 « Notre dit mayeur…at requis…de pouvoir faire demolir et abattre ledit mure estant pardevant la maison » (VSL/166 -20 octobre 1598).
14 Un cerquemenage de 1448 touchant les limites de la dîme de La Rimière sera souvent évoqué par après (VSL/201).
15 C.J. Plainevaux/21 -05 septembre 1630.
16 « Les Cahiers de jadis » n° 26p.757.
17 id. N°18 p.660.
18 id. N°36 p.1384 et N37 p. 1427 et suiv.
19 id. N°33 p.1238 et suiv.
20 id. N°20 p.732 -Simonis p.224 – C.J. Plainevaux – 17 – fo 116 et suiv. 21 janv 1718.
21 C.J. Plainevaux/4 -16 mars 1577.
22 Ordinairement orthographié « fame »: réputation (cf fameux/diffamer…).