Ghislaine Rome-Souris
Nous sommes en juin 1725.
Plainevaux, dans sa torpeur estivale ne se doute pas qu’un événement spécial se déroule au quartier de Grandzée.
Bien sûr tout le monde est au courant: la Marie-Françoise va donner le jour à un bâtard, elle qui est veuve depuis longtemps. Nous pouvons imaginer les tourments qui l’agitent depuis des mois. Mais elle garde ses secrets. Autour d’elle, la sage- femme, Marguerite Baignay, et quelques villageoises, venues en principe pour assister Marie-Françoise en proie aux grandes douleurs de l’enfantement.
Mais… stupeur! au lieu de réconforter la jeune femme, de l’aider comme il se doit, elles vont l’accabler de questions sans se soucier de ses plaintes:
« Qui est le père? »
« Que t’a-t-il donné ou promis? »
Marie-Françoise se tait toujours, et malgré ses gémissements, les commères continuent.
« Depuis quand commets-tu le péché de chair avec lui? »
Nouveaux cris, plus déchirants cette fois.
« As-tu connu d’autres hommes? »
A bout de résistance, Marie-Françoise avoue. Sarcasmes et rires hypocrites de ces femmes méchantes comme des teignes, saluant la naissance de la petite Léonardine. Satisfaites, elles ricanent, elles ont obtenu ce qu’elles voulaient: le père c’est Henry Massart.
Cette scène insoutenable n’est pas sans rappeler, dans une moindre mesure, la torture médiévale de « la question » qu’on appliquait aux accusés pour obtenir des aveux. Aucune compassion ni pour la mère ni pour le bébé fortement et douloureusement traumatisés par cette délivrance qui nous soulève le cœur. Pourquoi une pareille bêtise et ce cruel acharnement?
Les mois passent. La petite Léonardine se développe, on s’en doute, mais nous ne savons rien de sa mère… Est-ce la fin de l’histoire? Que nenni!
L’an 1726, le 9 juillet, ces « honnêtes femmes » comparaissent devant le notaire Nicolas Berleur « de leur franche et libre volonté ». Allons-nous enfin connaître les raisons de leur comportement inqualifiable, un an auparavant, auprès de Marie-Françoise?
On est fort tenté de dire qu’il est inexcusable et qu’il apportera de quoi alimenter les ragots de Plainevaux pendant des mois.
Nuançons un peu: si la sage femme et ses acolytes voulaient connaître le père du bébé quels que fussent les moyens utilisés, c’est peut-être pour l’obliger à réparer sa faute? Les mœurs et la pudibonderie de l’époque vont en ce sens.
Pourtant l’acte notarié note que leur démarche stupide et hypocrite est faite sous le couvert de «justice et vérité ».
Il n’empêche, ce témoignage interpelle.
Henry tiendra ses promesses et épousera Marie-Françoise.