Recueilli par R. Bertrand
A la fin de la guerre, mes parents venus de la campagne s’installèrent à Seraing, à l’extrémité de la rue Ferrer dans une jolie demeure mise à leur disposition par l’Espérance-Longdoz où papa travaillait. Mon frère commençait les humanités au Collège Saint-Martin et l’année suivante ce serait mon tour.
La famille avait choisi la paroisse de la Troque plus proche que l’église primaire de Seraing. Mon père se dévouait dans les œuvres paroissiales et s’était bien intégré dans son nouveau milieu.
Mon histoire commence en 1946, je suis déjà en 6ème latine. Un jour, des personnes très excitées frappèrent à notre porte et expliquèrent qu’un fanatique violent, pris d’une colère incontrôlable, avait arraché un beau grand crucifix en bois du pignon d’une maison au coin de Ferrer et Cheravoy et l’avait jeté dans la Meuse.
Papa partit aussitôt, je le suivis le long du quai ainsi que le petit groupe curieux de la suite des événements. La croix entraînée par le courant était enchâssée dans la base du pilier de l’ancien pont de Seraing. Nous descendîmes jusqu’à l’ancien chemin de halage. Papa pataugea tout au bord mais ne parvint pas à dégager la croix. Les eaux de la Meuse m’étaient familières, c’est dans le bassin de natation installé non loin de là que nous allions nager mon frère et moi. Je fis donc quelques brasses jusqu’à ce que je parvienne au bras de la croix solidement accroché, enfin je parvins à la dégager et papa put la tirer hors de l’eau avec l’aide de deux volontaires. Ce fut un chemin de croix bien joyeux qui ramena la croix à son lieu d’origine et les hommes la rependirent à ses crampons orphelins.
La suite de mon récit est chronologique pour la compréhension de l’histoire mais moi je ne l’ai connue que 36 ans plus tard.
La paroisse de la Troque fut dissoute et l’abbé Théo Vanduffel fut envoyé au Val-Saint Lambert. Peu après, le quartier Cheravoy disparut lui aussi pour permettre l’ouverture d’un parc industriel.
Les ouvriers communaux chargés de la démolition des maisons admirèrent le grand crucifix et se souvinrent de la fameuse expédition de sauvetage ; par respect, ils le portèrent à l’ancien curé de la Troque muté au Val. Celui-ci lui trouva un refuge dans le grenier du presbytère.
En 1980, le curé du Val fut appelé à assumer la responsabilité des paroisses de Neuville, de Plainevaux et Strivay. L’église de Plainevaux avait subi un violent incendie le 5 mai 1969 et le prêtre officiait dans le local du Cercle Sainte-Barbe.
Enfin, en 1982, les travaux s’achevèrent et l’église rénovée fut inaugurée.
Les paroissiens étaient très heureux de se retrouver « chez eux ». L’office de l’inauguration fut une réussite, tout le village était présent. Ce fut l’avis du Vicaire général qui concélébra la messe mais regretta que la croix ne fût que 2 planches nues sans Christ. Cette remarque fit réfléchir le curé qui se rappela le crucifix qui reposait dans la cure du Val et il alla le récupérer. Il le confia à Monsieur Carpaux qui avec son frère lui redonnèrent son lustre d’antan et le suspendirent au-dessus du maître-autel.
C’est ainsi qu’un dimanche, je fus attiré puis intrigué par ce beau Christ en croix ; après la messe je m’approchai du chœur et je m’exclamai : mais c’est le mien !
Je m’en ouvris à Monsieur le Curé qui me confirma que c’était bien celui de la Troque que j’avais sauvé des eaux 36 ans plus tôt.
René Bronckart, Strivay.