C’est dans la joie et la sérénité que Neupré a honoré une centenaire.
Le 21 septembre 2005, Madame Juliette Dejasse a réuni autour d’elle toute sa famille, ses amis, ses anciens voisins pour fêter en toute simplicité son centième anniversaire.
Monsieur Cortis, notre bourgmestre, vint aussi féliciter la jubilaire et dans un discours sincère et profond nous pouvons relever cette remarque si judicieuse : « vous vous êtes mise à tisser une étoffe résistant à l’épreuve de toutes les petites misères, de tous les pièges que tend sournoisement la vie ». Cette phrase résume parfaitement ce que Juliette a réussi par sa gentillesse naturelle. Mais qui est donc Juliette Dejasse ?
Voici le portrait véridique et émouvant qu’en a tracé sa fille Marie.
C’est à Berleur, petit hameau de Tavier, que naquit, le 21 septembre 1905, une petite fille que l’on prénomma Juliette – Héloïse – Marie. Elle était le septième et dernier enfant du couple Joseph Chatelain – Marie Toussaint. Elle était si frêle que la sage-femme dit à la maman : « elle ne vivra pas, elle est trop petite ».
Et pourtant … 100 ans après, ce 21 septembre 2005, nous fêtions le centenaire de maman, car cette petite Juliette est ma maman.
Son enfance s’est donc passée à Berleur, entourée de ses frères et sœurs. Son papa (mon grand-père) travaillait à la carrière de Limont et sa maman tenait un magasin de « un peu de tout » (verres de lampes à pétrole, clous, marmites, cafetières, formes à beurre, etc, etc …) et un petit café où on vidait « la goutte » (genièvre) et on y jouait aux quilles le dimanche. La vie était rude mais la famille était unie et chaleureuse.
Dans ce petit hameau tout le monde se connaissait et s’entraidait.
Juliette est allée à l’école primaire à Limont, au catéchisme à Tavier, puis à l’école ménagère à Rotheux. Tous ces trajets se faisaient évidemment à pied par tous les temps.
Elle a connu la « grande guerre » 1914-1918. Son frère Alfred, qui était aussi son parrain, a participé à cette guerre dans les tranchées de l’Yser.
Puis le temps passa et ses frères et sœurs se marièrent. Léonie, l’aînée et aussi sa marraine, épousa un maçon, Jules Maréchal, et s’installa à Tavier. Puis Léna épousa Fernand Dubois de Rotheux, où elle fut gérante d’un magasin « Bien Etre ». Alfred prit pour épouse Louisa Lambert et quitta le village pour Seraing, où il fut percepteur des postes. Enfin Emile et son épouse Jeanne Aerts s’installèrent à Liège où Emile ouvrit un atelier de menuiserie. Les deux autres enfants étant un mort-né et Arthur décédé à l’âge de 6 ans, restait donc seule la petite Juliette.
Un jour, son papa, rentrant du travail, tomba de son vélo et décéda sur la route. Juliette fit de son mieux pour aider sa maman à survivre. Elle allait travailler dans les fermes environnantes : ramasser les pommes de terre, faire la moisson, etc, etc. Tous ces travaux étaient très durs mais elle ne manquait pas de courage et de volonté.
En face de chez elle habitait la famille Dejasse. L’aîné, Edmond, était un solide garçon, également très courageux. Orphelin de père lui aussi, il assurait la subsistance de sa maman et de ses trois sœurs. Quand il venait faire sa partie de quilles le dimanche, Juliette le trouvait bien bel homme, avec ses cheveux noirs tout ondulés et ses yeux rieurs. De plus, il savait chanter et danser et faire rire mieux que personne.
Edmond aussi appréciait le sourire de la petite Juliette qui était si légère pour danser la valse.
Et le 1er juin 1929, ils convolèrent en justes noces en toute simplicité, sachant déjà que leur amour durerait toute leur vie. Sa maman les quitta alors brusquement pour rejoindre son mari.
De leur union naquirent deux enfants : un garçon (Joseph) le 14 juin 1931 et une fille (Marie) le 13 mai 1934. Et c’est en 1934 qu’ils s’installèrent à Rotheux, rue Maflot, dans la maison qu’Edmond avait lui-même construite pour y nicher sa famille.
Vint alors, en 1939, la mobilisation, car la guerre était une nouvelle fois à nos portes. Les soldats belges, venant de Malines, qui logeaient chez nous, n’oublièrent jamais l’accueil et la gentillesse de leurs hôtes et ils restèrent de fidèles amis jusqu’à la fin de leur vie. En 1940, les armées allemandes envahirent le pays et commencèrent alors quatre longues années d’occupation et de privations. Edmond cherchait partout du travail et de la nourriture. Juliette cousait, tricotait, arrangeait de vieux vêtements pour habiller les enfants qui grandissaient. Elle allait glaner quelques épis à la moisson pour avoir un peu de farine et faire du pain. Edmond cherchait du bois pour chauffer la maison et travaillait dans les fermes pour avoir un petit morceau de lard ou du beurre.
Ils cultivaient aussi leur potager et élevaient des poules. Ils hébergeaient également des personnes venant de Seraing ou de Liège dont les maisons avaient été détruites par les bombardements.
Enfin, en 1944, arrivèrent nos sauveurs : anglais, américains, résistants furent accueillis dans la liesse. Une fois encore, les portes s’ouvrirent pour abriter tous ces garçons qui nous apportaient la liberté. La maison se remplit à nouveau jusqu’au moindre recoin. Des soldats, une famille de réfugiés, un dépôt d’essence, un « salon de coiffure ».
Et, en 1945, la débâcle allemande permit le retour de tous nos jeunes gens prisonniers.
Puis, petit à petit, la vie reprit un cours normal. Juliette, comme toujours, accueillit pendant le repas de midi, les enfants de Bonsgnée, de la Salle et de la Croix-André qui venaient à l’Ecole du Sacré Cœur. Elle allait aider les voisins et voisines âgés ou malades, rendait des services partout où elle le pouvait.
Les deux enfants grandissaient dans cette ambiance de travail, de simplicité et d’ouverture aux autres. Joseph devint menuisier ébéniste, épousa Anna Gillet, puis eut un fils, Philippe. Avec Edmond, son papa, il construisit sa maison à la Rimière.
Marie fut engagée dans un service commercial chez John Cockerill où elle passa toute sa vie professionnelle et où elle rencontra son époux, Norbert Devroy.
Ils eurent une fille, Cécile, mais Norbert décéda alors qu’elle n’avait que 6 ans.
Quelques mois après, le 19 avril 1980, ce fut Edmond (mon papa) qui fut victime d’un infarctus et nous quitta. Pour Juliette, la séparation fut une grande épreuve, ils avaient vécu tant de joies et de difficultés ensemble. Mais les enfants et petits-enfants l’entourèrent de leur mieux.
Et puis, comme toujours, elle leur rendit des services, notamment en gardant Philippe et Cécile jusqu’à la fin de leurs études primaires, permettant ainsi à ses enfants d’aller travailler l’esprit en paix.
Mais les années passaient et Juliette vieillissait. Et ce fut au tour des enfants de s’occuper d’elle, ce qu’ils firent d’ailleurs spontanément et ils continuent encore malgré que, pour eux aussi, les années passent et les articulations commencent à grincer.
Joseph aussi a vécu l’épreuve de la séparation lorsque Anna décéda en 2003.
Et Juliette, devenant de plus en plus âgée et dépendante, décida de quitter sa maison et de se réfugier au home du Berny, non loin de sa famille qui continue à l’entourer.
C’est là qu’elle vient de fêter son centenaire. Une fois de plus, elle a rassemblé ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, ainsi que neveux et nièces, amis, voisins et tous lui ont manifesté l’affection qu’elle mérite. Ce fut un grand jour de bonheur pour elle.
Cette vie bien remplie continue doucement sa route.
Qu’elle lui soit douce jusqu’au bout.
Nos centenaires fêtées.
Le 24 août 1934 Octavie Halleux-Guilmot
Le 7 novembre 1981 Lambertine Moreau-Dumont
Le 12 novembre 1994 Marie Elvire Huberty
Le 21 septembre 2005 Juliette Dejasse-Chatelin
Mesdames, Messieurs, et surtout vous, Madame CHATELAIN
Avec tous ceux qui vous sont chers, et qui sont assemblés autour de vous aujourd’hui, l’autorité communale est particulièrement heureuse de vous présenter par ma voix, des félicitations chaleureuses et cordiales, à l’occasion de votre peu banal anniversaire!
Centenaire! Vous voici en effet centenaire, chère Madame CHATELAIN !
Un siècle tout entier a passé, depuis ce jour du 21 septembre 1905 où vous avez vu le jour à Tavier, vous avez fait vos études primaires à Limont Tavier et ensuite l’école ménagère de Rotheux
Vous empruntiez le chemin de la vie, sans que ni vous ni personne ne puisse imaginer alors qu’il serait aussi long, aussi paisible, mais aussi bien rempli cependant!
Ah certes, vous n’avez pas eu, adolescente, beaucoup de temps à rêver, ni à imaginer la prodigieuse transformation de la société humaine, dont vous alliez être cependant un témoin privilégié.
Pour l’heure au contraire, il fallait faire, comme l’on dit « bouillir la marmite »; et c’est ainsi qu’à peine sortie des joies simples de l’enfance, la vie vous a empoigné à bras-le-corps: travaillant dur, au temps où la vie quotidienne n’était pas pour autant avare de joies simples, vous vous êtes mise à tisser une étoffe résistant à l’épreuve de toutes les petites misères, de tous les pièges que tend sournoisement la vie, et dans lesquels tant et tant d’autres se font prendre!
Vous avez grandi; vous avez mûri en vous endurcissant à la tâche quotidienne.
Il faisait rude, sans doute; mais il ne devait pas faire triste tous les jours pour autant. Au contraire! Ne serions-nous pas plutôt à ce point déformés aujourd’hui par tant et tant d’artifices, pour avoir peine à imaginer combien pouvait couler dans la quiétude, le charme et la douceur, la vie rustique de ce temps-là! Ce temps où l’on chantait, où l’on dansait, mais ce temps-là aussi où l’on fondait un foyer, avec trois fois rien de meubles et de sous, mais avec tellement d’amour et de confiance!Au fil des années puis des décennies, le décor de votre quotidien n’a cessé de changer, au même rythme que changeait le monde tout entier! Vous avez vu naître et disparaître des femmes et des hommes qui ont forgé les temps que nous vivons; vous avez vu se construire et se développer votre village, une ville, une région, le Pays!
Ah Madame CHATELAIN! C’est que vous en avez vu et connu des choses durant ce siècle: les voitures, les trains, les avions, les fusées, le premier pas de l’homme sur la lune, les progrès médicaux, le téléphone, l’informatique et j’en passe.
Aujourd’hui, chère Madame CHA TELAIN, le temps ne vous est plus compté.
Vous achevez votre vie bien remplie, dans la quiétude, entouré des soins attentifs de vos enfants petits-enfants et arrière-petits-enfants: vraiment, chère et vénérable Centenaire, tout le monde est heureux et tout le monde vous dit detout coeur: très bon et très heureux anniversaire!
Arthur Cortis,
Bourgmestre