Maurice PIRARD
Situé à la Rimière, de part et d’autre de la rue Haie des Moges, la propriété comprenait à droite (voir plan) le château qui était entouré par une haute clôture de fils barbelés (plus tard remplacée par une clôture en bois), à gauche la maison du jardinier (qui a été construite en même temps que le château). Cette maison était construite au milieu de deux grands jardins où l’on cultivait toutes sortes de légumes. Deux grandes serres entouraient la maison du jardinier. Juste en face il y avait une barrière un peu moins belle que l’entrée principale, c’était l’entrée de service.
Dans le domaine on voit toujours la grande allée bordée d’arbres sûrement centenaires. Au delà de la barrière la grande allée est toujours bien là. Elle conduit vers la pêcherie d’Ehein (chemin privé).
Quand, en 1934, je suis venu m’installer dans la maison de la rue Haie des Moges, le château et les annexes étaient inoccupées mais tout était impeccable, les allées et les parcs bien fleuris agrémentés d’arbres d’essences très rares. C’est d’ailleurs dans ces allées que j’ai appris à rouler en vélo.
Camille Ancia, le jardinier avait une fille Bertha, c’est elle qui m’a appris à lire et à écrire (elle vit toujours j’ai essayé d’avoir des renseignements mais elle m’a dit avoir tout oublié). Son père exploitait les deux grands terrains et les deux grandes serres. Il vivait de la vente de ces produits.
C’est dans les années 1900 que Monsieur Visschers fit construire le château. Ancien militaire il était propriétaire d’une société « ENERGY-CAR » implantée à Bruxelles, 22 rue de la Grosse Tour. Ses publicités étaient couramment signées « Major Visschers ». Très vite le château fut raccordé au téléphone, 2 numéros lui furent réservés. A cette époque, pour le raccordement téléphonique il fallait au moins 10 numéros. Il parait que c’est la raison pour laquelle Rotheux a toujours eu un central téléphonique.
Début 1930, le château fut vendu à Ougrée Marihaye. On ne connaît pas la raison de la vente. Certains vous diront qu’il avait surpris sa femme en mauvaise compagnie et que d’un coup de tête il avait mis le château en vente. Ougrée Marihaye par l’intermédiaire de Firmin Gillet fit des transformations dans le château. Un grand nombre de chambres furent aménagées pour y recevoir les malades en cures et des blessés de l’usine. A cette époque je me souviens des deux personnes qui dirigeaient le personnel, il s’agissait de Mr et Mme GOTAL. A cette époque également, le jardinier Ancia dut partir et c’est un jardinier du château de Modave qui le remplaça. Il s’appelait Stéphane Chantraine. Pour l’entretien du potager il se faisait aider par des ouvriers.
Du temps du major Visschers on appelait ce bâtiment le « château de la Rimière » ; il devint après la reprise par Ougrée Marihaye le « Centre de cures ».
A l’approche de la guerre, le jardinier Chantraine fut mobilisé, sa femme et son fils (qui vit toujours) retournèrent à Modave. Arriva « en auto » un autre jardinier accompagné de sa femme il s’appelait Auguste Marechal. La situation politique s’aggrava et le château fut réquisitionné par l’armée belge pour en faire un centre de croix rouge. Nous étions en 39, la France et l’Angleterre venaient de déclarer la guerre à l’Allemagne. Le docteur Denis Varlet de Rotheux y fut mobilisé.
Mon père allait au château tous les jours et pour lui l’armée belge était toute différente de celle de son temps, les Allemands n’avaient qu’à bien se tenir. En prévision, le château était entouré de canons anti-aériens bien camouflés ; malheureusement ils n’ont rien abattu, les avions volaient trop bas.
Le 10 mai, la guerre éclate, nous sommes en permanence survolé par des avions. Mon père toujours au château voit arriver les premiers blessés. Mais malheureusement trois jours après, il apprend que les soldats vont partir pour aller de l’autre côté de la Meuse, il en est bouleversé. Toute la nuit se fut le branle-bas et au matin du 14, c’était le vide complet. Très préoccupé par la situation, mon père décide, le lendemain d’évacuer. La route de Marche était déjà fort encombrée par la population qui évacuait. Nous sommes donc partis afin de franchir la Meuse à Ombret. Mission impossible car le pont avait sauté.
Mon père décida alors de faire demi-tour et de rejoindre Rotheux. Les Allemands étaient déjà là. Nous reçûmes l’ordre d’occulter le bâtiment et ils criaient
« pas de lumière ». Heureusement nous étions dans la période des longues journées d’été et c’est seulement vers 10h qu’il faisait noir.
Le château ne resta pas longtemps vide, il fut occupé par un régiment qui revenait de la guerre en Norvège, les soldats avaient les pieds très abîmés par les longues marches. Assis par terre ou sur les talus, pieds nus, ils se soignaient. Mon père qui avait été prisonnier en 19 parlait assez bien l’allemand et il s’entretenait avec eux ; ils étaient très « chics ». Je revois encore un haut gradé qui se promenait à cheval rue des Moges et dans les allées du château.
Quinze jours après les Allemands quittèrent le château. Ils furent remplacés par les curistes et les malades et ce jusqu’au jour du débarquement des alliés1. En juin 44 les curistes furent priés de rentrer chez eux. Si je me souviens bien le 24 ou 25 août 1944, un régiment allemand occupa le château, il revenait de Normandie. Du matériel militaire de toutes sortes étaient rangés dans les allées du domaine. Le premier jour de leur arrivée, un soldat a visité les maisons des alentours pour voir les possibilités d’hébergement. Deux furent hébergés chez Defrene (actuellement maison du docteur Bataille). Il vint également chez nous, mais mon père parlant l’allemand, lui expliqua que la maison était fort petite et que nous étions 3, il n’insista pas.
Il est possible que l’armée blanche (les résistants) ait informé les alliés de la présence des Allemands dans le château. Aussi le 1er septembre 44 à 9h du matin, 3 avions ont survolé le château et ont lancé 3 bombes. Aucune ne le toucha, la première explosa sur ma maison, et les 2 autres dans les prairies (le Corral actuellement).
Ces prairies appartenaient à Monsieur Victor Deloye, qui fut bourgmestre après la guerre. Il y a d’ailleurs une rue qui porte son nom.
En une seconde ma maison fut réduite en un énorme tas de pierres et de briques. Je fus le premier à sortir de ces ruines en passant à travers le toit qui recouvrait les décombres. Mon chien était retenu par la chaîne qui était toujours attachée au mur écroulé de la grange. Je me suis précipité chez Defrène, mais un Allemand qui était hébergé là bas se dirigeait déjà vers ma maison. Nous fûmes rejoint par mon père qui venait de s’extraire des décombres. Il saignait très fort. C’est l’Allemand qui apporta les premiers soins à mon père et qui nous informa que ma mère était toujours vivante. Elle était coincée dans les ruines et ne pouvait pas sortir. Nous reçûmes l’aide de nombreux civils et militaires allemands. Tout le monde se mit au travail, mais après 2 ou 3 heures d’activité, les avions revinrent. Ce fut le sauve-qui-peut. Un officier allemand est monté sur le tas de ruines et a vociféré vers les fuyards. Un civil l’a accompagné et a traduit que l’allemand allait tirer si le travail de déblaiement ne continuait pas.
Les hommes sont revenus et ont continué le travail. C’est vers 15 h soit après 6 heures de travail que ma mère fut dégagée. Elle avait les 2 jambes broyées. Dans cet état elle fut conduite et soignée au château. Nous y restâmes une seule nuit ; ma mère souffrait beaucoup, de plus elle craignait le retour des avions. Le lendemain elle appela son frère qui était fermier à St-Séverin. Celui-ci nous ramena chez lui non pas en ambulance mais dans son grand chariot dont le fond était garni d’un matelas. L’officier allemand nous avait préparé 3 documents à notre nom, ces documents signalaient que tant que l’armée allemande serait en Belgique elle devrait nous apporter aide étant donné que nous avions été bombardés par des avions alliés ! Malheureusement je n’ai pas retrouvé ces documents. J’aurais souhaité retrouver ce commandant allemand qui nous avait aidé dans ces moments difficiles. Jusqu’au 5 septembre, date de leur départ, ce commandant avait, pour éviter les pillages, fait monter la garde autour des ruines de notre maison.
Le 6 septembre les américains sont arrivés et aussitôt ont occupé le château. C’était, je pense un régiment REM c’est-à-dire un régiment d’intendance chargé des réparations du matériel militaire. Malheureusement ils ne respectaient rien. Ne prenant pas la peine de prendre par l’entrée principale du domaine, ils passaient à travers tout. Ce n’était pas mieux à l’intérieur du château qui subit d’importantes dégradations. Ils s’exerçaient au tir sur les peintures décorant les boiseries.
Ils restèrent longtemps y compris pendant l’offensive des Ardennes2.
Nous sommes revenus à Rotheux en février 1945. Monsieur de Laminne, alors bourgmestre (le père de Tony, aujourd’hui décédé) avait réquisitionné une petite maison, à côte du magasin SPAR ; elle était vide, chose rare en 1945.
Cette
petite maison meublée était occupé par vieille dame qui venait de
décéder. Son petit-fils était prisonnier en Allemagne. Quand il
est revenu, il nous laissa dans la maison.
Pendant ce temps le château était toujours occupé. Il le fut encore longtemps.
A mon avis après cette occupation il était « bon pour le bulldozer ».
Il a ensuite été vendu à l’entrepreneur Gillain Moureau qui était installé rue du Vieux Mayeur, 16 à Liège. Il a créé le lotissement que nous connaissons aujourd’hui.
En ce qui nous concerne, notre petite maison fut vendue et acquise par Madame Pauline Bourguignon (décédée dernièrement). Obligés de quitter cette maison nous avons fait l’acquisition d’un petit immeuble situé rue Bonry au n°14. Celle-ci appartenait à un ami de mon père, un ancien de 14-18, Emile Bertrand. Pour vous faire rêver cette maison a été achetée 125.000 frs. Cette maison, toujours notre propriété, est située au point d’altitude maximum de notre commune (272,60 mètres). Profitant de cette situation, j’ai débuté un commerce de TV. Par la même occasion, j’ai construit une antenne de 25 mètres de haut. Ce fut pendant longtemps une curiosité qui attira des visiteurs.
1 Le 5 mars 1943, l’administration Communale de Rotheux informait la « Ferme de Rotheux-Rimière – Centre de Cures des Mutualités Professionnelles » qu’elle avait obtenu une licence pour la fabrication de beurre. Cette licence était accordée par le C.N.A.A –Groupement Général- « LAIT GRAISSES et ŒUFS »
2 Le 10 mai 1946, un courrier adressé par l’Administrateur délégué du Centre de Cures, informait Monsieur le Chevalier de Laminne, alors bourgmestre, de la présence dans le domaine, d’une boîte de grenades appartenant à l’armée américaine. La déclaration avait été faite auprès du garde champêtre par Mademoiselle Henrion, gestionnaire du Centre de Cures.