1974. Plainevaux en août 1914

Edouard David

Nous avons retrouvé dans les archives de la commune de Plainevaux, divers courriers relatant les évènements survenus à Plainevaux dans les premiers jours du mois d’août 1914.

Le premier est adressé au Juge de Paix de Seraing.

Le 30 janvier 1919.

Monsieur le Juge de Paix de et à Seraing.

Suite à votre lettre du 2 janvier relative aux violations du droit des gens commises par les Allemands en Belgique, nous avons l’honneur de vous donner les renseignements suivant concernant ce qui s’est passé à ce sujet en notre commune.

Sur le mur de l’église

Le 5 août 1914 une troupe allemande, régiment n° 73, s’est avancée sur notre territoire dans le but de s’emparer du fort de Boncelles. Après une escarmouche entre cette troupe et les sentinelles avancées de l’armée de couverture, ils ont envahi notre commune.

Ce jour, ils ont arrêté sans motif les personnes suivantes qui ont été expédiées comme prisonnières en Allemagne et qui ne sont rentrées à Plainevaux qu’après plus de 8 mois.

1e Gilon Célestin – Bourgmestre
2e Deprez Emile – ouvrier d’usine
3e Grosjean Marcel – garde particulier
4e Thielen Jean – ouvrier monteur
5e Heynen Jean – fermier
Ces personnes ont été arrêtées sans raison et conduites avec les troupes pour l’attaque du fort dans la nuit du 5 au 6 août 1914.

Le 5 août 1914 les troupes allemandes ont fusillé en notre commune :
1e Gilman Henri, âge de 71 ans, sous prétexte qu’il n’avait pas avoué qu’un soldat belge était caché dans une maison. Or le susdit n’avait pas connaissance de ce fait.
2e Lefèvre Marie-Joseph épouse de Crunenberg Henri âgée de 65 ans.
3e Crunenberg Gaston, âgé de 21 ans
4e Hendrique Joseph, âgé de 65 ans
5e Delahaut Antoine, âgé de52 ans

Ces 4 dernières personnes ont été abattues à coup de fusil au moment où elles se sauvaient à travers la campagne.

Le même jour, Graven Lucie, âgée de 25 ans a été atteinte au genou par une balle alors qu’elle s’était réfugiée dans une cave.

René Duschesne

Enfin dans la journée du 5 août 1914, Mr Duchesne René, âgé de 19 ans, étudiant à l’Université de Liège, fut arrêté dans le hameau de Strivay et conduit avec d’autres habitants à l’hôtel de Belle-Vue à Esneux.

Pendant la nuit, par ordre d’un officier, des soldats fusillèrent bon nombre de ces personnes retenues prisonnières et le susdit Duschesne René de notre commune fut atteint mortellement.
Sont également tombés au même lieu sous les balles allemandes
Gaston Trembloy – 16 ans
Alphonse Trembloy – 18 ans
Ouvriers briquetiers domiciliés à Marche et qui travaillaient à cette époque en notre commune.

La prise du fort n’ayant pas eu lieu le 1er jour, les Allemands, durant l’intervalle du 5 au 15 août ont retenu à l’église et dans une prairie tous les hommes de la commune.

Le fort de Boncelles lançait de temps à autre quelques obus sur le village aussi beaucoup de maisons étaient abandonnées par les femmes et les enfants et les Allemands en ont profité pour piller toutes ces demeures.

Daignez agréer, Mr le Juge de Paix, nos salutations distinguées.
Pour le Collège.

Le 27 février 1919.

A Monsieur le Ministre de la Guerre, 1ère Direction Générale, 2ème Bureau Bruxelles.

Suite à la circulaire de Mr le Gouverneur de la Province, mémorial administratif n°5489, nous avons l’honneur de vous faire savoir que les militaires dont les noms suivent ont été tués en notre commune.

1e Baron Camille de Menten de Horne, commandant du 4e escadron de 4e Lanciers, domicilié à Liège – décédé le 5 aout 1914.
2e Vandendrande Emile – 1ère Cie de cycliste carabinier- cycliste- âgé de vingt-deux ans, carrossier, domicilié à Etterbeck, exhumé le 25 avril 1916 pour être transféré à Ixelles-Bruxelles.
3e Vangoethem Pierre-Marie-Joseph, caporal, carabinier – cycliste, matricule n°55374, domicilié à Louvain, décédé le 5 août 1914.
4e Dubois Paul, sergent, 9e de ligne, matricule n° 58500 domicilié à Bouillon. Décédé le 6 août 1914
5e Mangot Alfred-Joseph-Ghislain, soldat au 9e de ligne, 2e bataillon, 4e Compagnie, matricule n° 55299, domicilié à Gerpinnes, exhumé ( ?)

Dans ce dernier courrier, le bourgmestre relate également les faits liés à son arrestation par les Allemands.

Le 16 avril 1919.

Monsieur le Commandant de l’Etat Major de la Place forte de Liège, 2ème bureau, Liège.
Suite à votre lettre du 24 février 1919, j’ai l’honneur de vous faire parvenir les renseignements que nous possédons concernant les événements qui se sont déroulés sur le territoire de notre commune en août 1914.

Daignez agréer, M …..
Le Bourgmestre.

Evénements qui se sont déroulés sur le territoire de la commune de Plainevaux en août 1914.
Le 5 août au matin, on apprit que les avant-gardes des troupes allemandes étaient à Esneux, et vers midi le gros des troupes y arriva et se dirigea vers Plainevaux.
Une partie suivit la grand’route et l’autre partie vint par le hameau de Strivay.
Ces troupes comprenaient, a-t-on dit, la 38ème brigade et la 43ème brigade, mais nous savons que le 73ème régiment de fusiliers et le 83ème régiment d’infanterie (Gibraltar) sont passés et ont séjourné à Plainevaux.

A Plainevaux, se trouvaient comme armée belge :
1) un escadron du 2ème Lanciers ;
2) Un bataillon du 9ème de Ligne ;
3) Quelques Carabiniers cyclistes.

Au lieu dit « Chêne à la Vierge », crête entre Strivay et Plainevaux, il y eut une escarmouche à la suite de laquelle le Baron de Menten, commandant de l’escadron des Lanciers, fut tué, ainsi que quatre hommes de troupe.

De leur côté, les allemands perdirent trois hommes restés sur le terrain. D’autres tués et blessés furent transportés à Esneux. Tous les soldats belges se replièrent sur le fort de Boncelles. Les allemands avancèrent lentement et placèrent des postes de sentinelle dans le village.

La crête de Strivay, vue vers Esneux.

Pendant la nuit, vers 21 heures, les brigades allemandes gravirent la côte et se dirigèrent vers Boncelles.

Dans l’après-midi du 5 août, deux obus furent lancés par le fort de Boncelles sur Plainevaux ; ces obus ne causèrent aucun dommage.

Vers 23 heures, commença la fusillade et le combat contre le fort dura une bonne partie de la nuit.

Le 6 août, vers 10 heures du matin, les troupes allemandes qui n’avaient pu s’emparer du fort, évacuèrent le champ de bataille, repassèrent en notre commune pour se diriger vers Esneux, Poulseur, etc.

Quelques jours après, de nombreuses troupes revinrent en notre commune pour préparer avec la grosse artillerie la prise du fort de Boncelles. Celui-ci se rendit le 15 août vers 8 h du matin. Les troupes ennemies fêtèrent leur victoire et restèrent à Plainevaux jusqu’au 18 août au matin.

Au cours de toutes ces opérations militaires, les allemands n’ont construit aucun travail sur le territoire de Plainevaux. Les allemands ont fait de nombreuses réquisitions (avec bons et sans bons) en chevaux, bétail à cornes, porcs, fourrages, paille, denrées alimentaires, etc.

La ferme « Duchateau » en 1914 et aujourd’hui.

Les réquisitions avec bons s’élèvent à 50.921 francs

Les réquisitions sans bons s’élèvent à 89.432 francs suivant états fournis par les habitants.

L’attitude des allemands envers la population a été la même que dans beaucoup d’autres endroits, c’est-à-dire de nature à répandre la terreur.

Nos paisibles habitants avaient pleine confiance et ne s’attendaient nullement aux procédés barbares de leurs ennemis. Au moment de l’arrivée des allemands, une sentinelle avancée belge abattit d’un coup de fusil un officier. Immédiatement la maison voisine fut brûlée sous prétexte que l’ennemi avait été tué par un franc-tireur.
Un vieillard de 73 ans fut tué par un officier au « Chêne à la Vierge » parce qu’il n’avait pas signalé un soldat belge caché dans une maison. Quatre autres civils furent fusillés à Strivay.

Une femme réfugiée dans une cave fut blessée à la jambe d’un coup de feu.
Treize civils, dont une femme, furent arrêtés sans raison ; cinq d’entre eux (l’un de ceux-ci est Mr Gilon, Bourgmestre) durent accompagner les troupes qui allaient à l’attaque du fort. Le lendemain, ils furent expédiés comme prisonniers en Allemagne ; ils étaient en compagnie d’autres civils de Boncelles ainsi que de soldats belges prisonniers. Signalons qu’au moment où ils passaient sur la grande route à Martin, des soldats allemands venant par Strivay, tirèrent sur eux et tuèrent Paul Dubois, de Bouillon, sergent au 9ème de ligne.

Les autres furent conduits à Esneux où on les enferma avec des civils prisonniers d’Esneux, dans une salle de l’Hôtel de Belle Vue. Pendant la nuit, par ordre d’un officier, la plupart furent fusillés, même des soldats belges faits prisonniers à Plainevaux.

Des personnes arrêtées en notre commune, trois perdirent la vie en cette circonstance :
Duchesne René, étudiant, domicilié à Plainevaux et les deux fils Trembloy, briquetiers, domiciliés à Marche.

Famille Duchesne 1913


Plusieurs furent blessées. Trois maisons de la section de Martin furent incendiées le 6 août.

Le 12 août, tous les bâtiments de la ferme « Château », au centre du village, furent détruits par un incendie provoqué par des obus du fort de Boncelles.
Le 13 août, lors de la préparation de l’attaque définitive du fort de Boncelles, l’ennemi rassembla tous les hommes de Plainevaux dans l’église du village et ceux du hameau de la Heid dans une prairie. Alors beaucoup de femmes abandonnèrent leurs maisons et les allemands en profitèrent pour mettre notre localité au pillage.

A la suite de tous ces faits, la population était terrifiée et évitait tout rapport avec l’ennemi.

Pendant l’occupation, l’attitude de la population a été très noble et très patriotique.

Récit fait par M. C. Gilon, Bourgmestre, concernant son arrestation.

Le 5 août, après l’escarmouche qui eut lieu à Plainevaux, je m’occupai avec l’aide de plusieurs civils à faire transporter les blessés à l’ambulance établie à l’école des filles.

Un officier me demanda les raisons de ma présence à l’endroit de la bataille et lorsque nous passâmes devant une maison, il s’arrêta soudain, me mit le révolver à la poitrine en me demandant s’il n’y avait pas de soldats belges cachés dans cette maison. Après ma réponse négative, il me laissa partir seul.

Plus tard, je le rencontrai de nouveau et je lui demandai à pouvoir aller rechercher un jeune homme qui était allé faire une course à Strivay ainsi que deux voisins disparus depuis la fusillade. Il fit un billet, le remit à deux soldats qui me conduisirent près d’un autre officier.

Celui-ci me fit mettre contre la haie, me dit que le commandant allait venir. Fatigué d’attendre, je lui demandai à voir ce dernier, mais l’officier me dit :
– Vous viendrez avec nous. 
Je répliquai :
-Je n’ai rien fait pour aller avec vous.
– C’est la guerre. C’est la guerre, dit-il.
 Arrivé près du cimetière avec d’autres civils, je sollicitai l’autorisation de pouvoir rentrer chez moi. Le même officier me répondit 
– Votre Roi a refusé le passage à travers la Belgique, il pourrait bien s’en repentir et vous aussi.
– Si le Roi vous a refusé le passage, il a usé de son droit, mais nous, civils, nous n’en pouvons rien.
– Vous êtes tous quand même des patriotes.

Et sur ce, on nous dirigea vers le champ de bataille.

Le Bourgmestre,
S., C. Gilon.