Ghislaine ROME – SOURIS
Les Cahiers de Jadis 52- 2009-2010
En ce mois de novembre 1976, je rentre plus tôt de l’école, car j’ai une angine et un gros rhume. L’école n’est pas fort chauffée et le médecin me conseille de rester à la maison quelques jours. Aussi je m’installe douillettement dans le fauteuil de ma cuisine, à côté du radiateur. Je n’allume pas la lampe, la pénombre envahit la pièce, le calme m’entraîne dans une douce somnolence qui m’engourdit bientôt.
Stéphane n’est pas encore rentré du collège. Soudain la porte d’entrée se referme bruyamment, un bruit sourd me renseigne : Stéphane lâche son sac et s’attarde dans l’entrée. Que se passe-t-il ? Il entre, je vais savoir. De petits cris s’échappent de son anorak et il en sort … un tout petit chaton qu’il me tend. « Je sais, il est fort petit, mais je suis allé le voir chez nos voisins et il est si craquant que je n’ai pas pu résister. Il commence à boire tout seul.».
Surprise, je m’émerveille avec lui devant ce mini chat tigré un peu rouquin, aux yeux toujours bleus. Ses oreilles ne sont pas encore entièrement relevées. Sous son ventre soyeux, sa respiration est rapide. Quand je regarde ses petites pattes tendres encore toutes molles, je fonds. Le chaton cherche la chaleur et se love sur mon épaule, contre mon cou. Visiblement, le petit animal a besoin de chaleur vivante, du contact direct avec les autres chats du panier dont Stéphane l’a privé un peu tôt. Adopté le petit chat. Un « coin dodo » est vite installé dans une caissette pourvue d’un pull usagé. Il en fait le tour, renifle et se pelotonne frileusement dans un repli. Nous pensons qu’il sera à l’aise dans le coin près du radiateur. De fait il s’endort. Un ronron ténu confirme qu’il adopte son minuscule territoire.
Petit à petit le chaton s’habitue. Il boit du lait tiède et il apprend vite à être propre. Très familier, il adore grimper sur tout ce qui est à sa portée, il s’agrippe à la nappe, à une manche de vêtement accroché au dossier d’une chaise, à mes bas et se balance même aux cordons de mon tablier. Il a repéré les tentures et s’en sert comme d’une balançoire. Cela ne se fait pas, mais elle est si gracieuse cette chatonne et les tentures défraîchies seront remplacées après la croissance de la petite effrontée ! Et comme on entend souvent la chanson d’Annie Cordy : « C’est la Tarzane qui se pavane de liane en liane. On l’entend dans la savane… Qu’elle est jolie ma Tarzane » La voilà bien nommée !
La petite bête est très originale. Son histoire mérite d’être racontée et je l’ai déjà fait connaître, par épisodes, à mes petits enfants. Toute sa vie, la chatte nous suit comme un petit chien, dans la maison, dans le jardin potager, dans la pelouse. Elle s’installe sous les pivoines quand on sarcle la plate-bande ; m’accompagne si je traverse le pré qui conduit chez mes parents, s’y installe sur la chaise près de la cheminée et observe tout ce qui se passe. Si je fais mine de quitter la pièce, elle se lève … « Tarzane, je reste ici, j’ai un petit travail à faire dans la chambre, attends-moi » Elle s’assied à nouveau, la queue enroulée autour de ses pattes. Vous me croirez si vous voulez, mais nous avons, mon mari, Stéphane et moi, l’impression qu’elle comprend ce qu’on lui dit. Et comme elle nous suit partout et tout le temps, on lui parle beaucoup. Elle est plus attachée à nous que tous les chats qui ont vécu « chez nous ». Avec Tarzane, c’est plutôt nous qui vivons « chez elle ».
Voici quelques anecdotes qui la concernent. Pendant les vacances, le lundi je lessive et sèche le linge dehors. J’utilise en fait le fil qui est installé chez mes parents. Le détail est important, car la distance entre la buanderie et celui-ci est bien de 150 m ! Cela ne me gêne pas, car je suis dehors et je peux, en passant, respirer une rose, cueillir une salade, savourer ou profiter de l’air frais. Comme mes allées et venues se multiplient, Tarzane se fatigue sur ses pattes qu’elle a assez courtes et dans l’après-midi, épuisée, elle s’endort profondément dans « son fauteuil » qui était le mien.
Quand je repasse, elle se penche sur un coin de la table et, curieuse, suit d’un mouvement de la tête tous les allers et retours de mon fer. Si je corrige les cahiers ou prépare une leçon, elle s’approprie une pile de feuilles sur le bureau et somnole, ouvrant les yeux pour s’assurer que je suis bien à mon poste.
Quand Tarzane veut sortir, elle se dresse sur ses pattes arrière, s’étire vers la petite clarine attachée à la clé de la porte de sortie et d’un léger coup de patte, fait tinter la clochette. Si la porte ne s’ouvre pas vite assez pour son impatience, elle se retourne à demi, vérifie qu’il y a bien quelqu‘un dans la pièce et rend un coup de patte énergique à la petite cloche, ce qui ne laisse aucun doute sur sa détermination à partir et sur le fait que nous devons être plus rapides
Dehors, la chatte change de personnalité. Plus rien à voir avec la douceur féline du chat de maison qu’elle prétend être. Dès qu’elle a mis le pied – pardon – la patte dans l’herbe, son instinct de chasse revient. Elle s’aiguise les griffes sur le tronc de l’érable, flaire son chemin rituel le long des haies, arrive dans les buissons où elle se faufile avec une assurance incroyable et fourbit à nouveau ses griffes redoutables sur une racine de sureau, car à quelques mètres de là, notre vieux pommier abrite une nichée de mésanges charbonnières. Malgré notre voix dissuasive, même si chaque fois on la chasse de son perchoir à la fourche de l’arbre, toute proche du nichoir, elle recommence son affût.
Les dernières années, nous avons fixé au toit du nichoir une planche assez longue et solide pour que notre tigresse ne puisse attraper le malheureux oisillon à peine envolé de son nid ! Peine perdue. A notre grand regret et malgré nos réprimandes indignées, Tarzane a malheureusement et systématiquement dévoré des générations de mésanges. . Finalement nous avons changé le nichoir de place : sur le grand noyer, sur le tilleul. Jamais plus il n’a été visité ni occupé. Les mésanges ont trouvé dans les environs un gîte plus sûr : un trou minuscule entre les moellons de la maison voisine dont le rejointoyage à cet endroit est défectueux. Est-ce que les mésanges ont une mémoire collective de l’espèce qui les avertit mystérieusement du danger ?
C’est qu’elle a un sacré caractère la Tarzane. Les premières années de sa vie chez nous, elle ne nous accompagne pas en vacances. La voisine vient la nourrir et lui faire un câlin. Mais comme elle nous attend ! Près de la boite aux lettres sous un conifère, elle a gratté et rassemblé les aiguilles du pin et s’y loge, à l’abri des regards et de la pluie. Avec l’infinie patience et la ténacité des chats, elle attend encore et encore. Elle maigrit, se languit de nous. Que l’absence dure deux heures, un week-end ou une semaine de vacances, elle reste là triste et résignée à guetter l’auto familiale, le pas reconnu. Mais à notre retour ! Oh ! non, elle ne nous fête pas ! Elle va droit à son écuelle, avale une portion généreuse, puis saute sur le tabouret, dans le coin, et nous tourne le dos ! Elle boude, reste face au mur, la queue pendante agitée d’un mouvement de balancier rageur. Et ça peut durer !
Une histoire insolite. On restaure le toit de l’église voisine, on sable les murs. Le chantier s’installe derrière l’édifice, dans un terrain laissé à l’abandon – c’est l’ancien cimetière comme l’attestent une lourde croix de pierre toute penchée et quelques buissons de buis oubliés.
Une après midi, je rentre de l’école et je découvre sur la terrasse un gant de travail large et épais. Intriguée, je le ramasse. Je ne connais personne dans le quartier qui ait pu le perdre chez nous. D’où vient-il ce gant ? Comment est-il venu sur la terrasse ? Je dépose le gant sur l’appui de fenêtre et je n’y pense plus.
Le lendemain soir, après l’école, je trouve trois gants au même endroit ! Et le stratagème continue pendant trois ou quatre jours. Nous pensons qu’un farceur veut nous faire comprendre quelque chose, mais quoi ? Jusqu’au moment où j’aperçois Tarzane qui trébuche sur un gant tout pareil. Elle le tient difficilement dans la gueule et se dirige fièrement vers la maison. Elle dépose le gant à mes pieds. Voilà la clé de l’énigme : les gants proviennent du chantier et Tarzane traverse prairie, potager et haie pour se fournir, à la dérobade, des gants qu’elle considère sans doute comme une proie.
Je pense : « Si les ouvriers la surprennent, ils risquent de lui donner un mauvais coup pour la chasser et la punir de ses larcins » Donc je me dirige d’un pas décidé sur les « lieux du forfait ». Le contremaître me dit sans aménité que je n’ai rien à faire là, que les ardoises peuvent glisser et que j’interromps leur travail.
Je tente une diversion :
« Monsieur, excusez-moi, mais je sais où disparaissent vos gants. »
« Ah ! c’est votre chien le coupable ? Ils coûtent cher ces outils de travail et j’ai dû en remplacer tous les jours ces moments-ci. »
« Monsieur, je n’ai pas de chien ! »
« C’est vous alors ? C’est pire. Qu’est ce qui vous prend ? Vous allez me les rapporter tout de suite » conclut-il furibond
Mais j’insiste : « C’est Tarzane, ma chatte, qui prend vos gants pour des proies et les ramène chez nous »
Rire sarcastique. « Votre chatte, bien sûr ! Quelle preuve pouvez-vous m’en donner ? »
Coincée ! Soudain une idée me traverse. « Si c’était moi, j’aurais au moins dérobé des gants par paires ! La chatte ne distingue pas un gant de droite d’un gant de gauche. » Et je tire de mon panier une quinzaine de gants dépareillés.
Les hommes se rapprochent des objets du délit, d’abord perplexes, puis franchement rigolards quand Tarzane débouche opportunément du dessous de la haie et s’arrête net, effrayée par le remue-ménage.« Vous voyez bien que c’est Tarzane ! Puisque je vous ai ramené votre bien, je vous prie d’excuser ma chatte, mais elle n’a pas reçu mon autorisation ! Ne lui donnez pas un mauvais coup, s’il vous plaît. Je vous suggère d’enfermer vos gants dans la camionnette, ainsi elle ne saura plus les attraper. »
« Viens Tarzane, on retourne. »
Elle me suit. Je passe aussi par le pré et le jardin, le panier d’osier au bout du bras. Elle en profite et d’un bond souple s’y loge pour rentrer à la maison.
C’est vrai aussi que cet animal peu ordinaire est fort curieux. Elle inspecte tout ce qui passe à sa portée : les sacs de courses au GB, la corbeille de légumes rentrée du potager. D’une patte nerveuse, elle fouille mon sac de cours et inspecte même la mallette du vétérinaire en y pénétrant à demi, cambrée sur ses pattes arrière.
Elle aime aussi se faire photographier : près du sapin de Noël, ou carrément dans la paille de la petite crèche, dans un grand saladier rond et vide heureusement. Je n’ai plus qu’à le relaver. J’ai aussi sa photo sur l’extrême bord extérieur de la fenêtre à l’étage où elle m’accompagne quand je nettoie les chambres ou que je trie les papiers de mon bureau.
Une autre photo la surprend un soir de repas « à la raclette ». La table est dressée, le four bien au milieu de la table. On attend les amis. Soudain Tarzane entre et avant qu’on puisse esquisser le moindre geste, elle saute délicatement sur la table et s’assied … sur le four ! Pas encore branché évidemment.
« Pas folle ! semble-t-elle dire. Vais pas m’asseoir si c’est chaud ! »
Car ne vous étonnez pas … Tarzane parle ! Un langage primitif, singulier: elle ne dit pas les articles ni les pronoms personnels, surtout le « je », escamote les mots inutiles pour son jargon que nous comprenons parfaitement !… Vous êtes incrédules ?
En effet, on n’apprend pas le « langage » chat sans difficulté. D’abord, nous réalisons qu’elle comprend tout ce qu’on lui dit, ce qui n’a pas été le cas avec nos autres chats, à ce point du moins. Par exemple : « Tu as faim, Tarzane ?» Ronron, miaw, balancement de queue et direction l’assiette – facile. Plus élaboré déjà : « On va dormir, Tarzane, tu sors ?» Elle saute en bas de son fauteuil, se dirige vers la porte et agite la clochette. Cela paraît logique, bien d’accord.
Mais quand je traverse le pré pour me rendre dans ma maison natale où vivent toujours mes parents, Tarzane me suit, queue levée en point d’interrogation. Nous entrons, la chatte repère de suite la chaise près de la cheminée et s’y installe avec délicatesse. Les yeux mi-clos, elle enregistre tous les faits et gestes qui se passent dans la cuisine. Si je pousse la porte du corridor pour effectuer une petite besogne dans une autre pièce, elle ouvre de grands yeux et tendue s’apprête à bondir. « Attends-moi, Tarzane, je vais revenir »
Aussitôt elle reprend sa position, heureuse de prolonger ce moment au coin du feu où elle se pâme à la forte chaleur. « Voilà, j’ai fini ! Papa et Maman, vous n’avez plus besoin de rien ce soir ? » « Non, vî tchèt ! » répond affectueusement papa. C’est le surnom familier qu’il me donne, ce qui est plutôt étrange pour la souris que je suis. « Tarzane, tu viens ? On retourne ! » Bien d’accord, elle quitte son siège, s’étire dans une position de yogi, salue mes parents d’un ronronnement sonore ! Dehors, la nuit est tombée, mais je connais par cœur les graviers de l’allée, le coin sombre du garage, le noyer à gauche, le potager à droite. Tarzane me suit toujours, les petits phares de ses yeux allumés.
Après de longs mois de ce monologue auxquels répondent ses clignements d’yeux, ses miaulements variés, les mouvements des oreilles et de la queue, apparaissent son ronronnement ou son silence désapprobateur. C’est alors que tout a commencé : Tarzane sonne et veut sortir. « D’accord, pas loin, pas longtemps, pas sur la route », dis-je comme d’habitude. Aussi mon mari et moi, nous n’avons pas trouvé anormal qu’elle nous réponde : « Reviendrai quand veux, si veux ». Quel fichu caractère !
Après les courses, les sachets encombrent la cuisine. « Veux voir et sentir » dit notre curieux animal et de tâter délicatement les emballages d’une patte agile et griffue. « Veux savoir où sont Friskies. Me sers moi-même, sais très bien. » « Oh oui ! Voici ta boite » Je la cale dans le coin après avoir pratiqué une ouverture. « Voilà comment fais pour dîner : entre ma patte dans boite et retire ce que mange.» Effectivement elle joint le geste à la parole et déguste.
Après elle saute sur l’évier, la patte sur le robinet. « Alors quoi ? Ai soif ! Sais pas ouvrir ! » Clément laisse un filet d’eau couler doucement et délicatement l’adroite petite bête lape et se désaltère, après quoi elle se pourlèche soigneusementson museau et entreprend un méticuleux nettoyage de ses pattes aux coussinets durcis. Repue et propre, elle se dirige vers son panier, derrière le fauteuil à l’angle opposé à son coin repos.
« Encore panier ? Pas mes odeurs. Sens la lessive. Demande depuis longtemps caisse à bananes pourtant !» La semaine suivante, nous avons demandé une caisse vide de bananes Chiquita chez Colruyt. « Vous n’en voulez qu’une ? » dit le vendeur désignant de nombreuses caisses empilées près de la sortie. « Prenez-en quand vous voulez ! » Quelle chance, nous pourrons renouveler le couchage de notre chatte quand elle aura assez griffé l’actuel.
Tarzane aime la vie, les matous qu’elle appelle de ses feulements bien modulés, dès que février envoie son premier crocus jaune. Ce qui amène régulièrement des nichées de chatons qu’elle met bas dans sa caisse. Heureusement qu’il y en a chez Colruyt ! C’est une vraie mère chatte, pendant 6 à 7 semaines. Après cela, elle n’a presque plus de place dans son dortoir. Amaigrie, efflanquée, saturée, elle nous fait comprendre : « Sont grands, trop gourmands, dois vivre ma vie ! » Heureusement nous avons toujours réussi à donner ces merveilleuses petites bêtes. A regret, mais indispensable, nous ne sommes pas prêts à héberger, nourrir et comprendre plusieurs chats à la fois.
D’ailleurs Tarzane entend bien rester maîtresse absolue de son territoire déjà étendu, car il comprend, en plus de chez nous, la pâture du fermier – son terrain de chasse privilégié –, la prairie de mes parents, le jardin du curé et le vieux cimetière. Entouré d’un mur ancien, c’est un endroit quasi désert, où poussent des herbes folles, quelques buis, un cyprès et qui recèle de nombreuses cachettes où Tarzane s’offre d’interminables siestes.
Et les années passent, rythmées par les saisons, les tâches ménagères, le travail à l’école et les vacances où elle nous accompagne depuis qu’elle a été fortement blessée par une voiture. Le vétérinaire se montre pessimiste, il craint une hémorragie interne, car Tarzane gémit quand on la touche.
« Il est possible aussi qu’elle soit atteinte à la colonne vertébrale », dit le spécialiste. Après deux piqûres, elle semble un peu soulagée.
« Il ne faut pas qu’elle s’endorme, sinon c’est fini. Son corps doit réagir. Je reviendrai demain. Peut-être faudra-t-il l’euthanasier. »
La nuit, mon mari, Stéphane et moi, nous nous relayons pour tenir la chatte éveillée. On la caresse, on lui parle. Elle ne réagit pas, mais sa douleur diminue, elle ne « souffle » plus quand on touche son dos. Le matin, je lui présente de l’eau qu’elle lape avec hâte. Le vétérinaire revient et s’étonne de voir que notre chatte a retrouvé un peu de vie. Ne dit-on pas que le chat a neuf vies ? De fait, soignée, elle commence à s’alimenter progressivement. Malheureusement, son train arrière est touché. Remarchera-t-elle ? … Oui ! Son premier geste est de sortir péniblement de sa caisse, elle longe le mur et s’appuie dessus, déplace péniblement ses pattes arrière et elle se dirige vers sa litière. Bravo le chat ! Nous sommes tous soulagés. Ce comportement va durer des semaines, vacances de Pâques comprises. Elle traîne une patte arrière, mais maintenant elle sort sur la terrasse et s’expose au soleil, ce qui lui fait du bien.
Depuis cet accident, nous décidons de la prendre avec nous en vacances. En Hollande la première fois, où nous louons une petite maison. Elle ne court plus, mais elle marche presque normalement, fait le tour des petits jardins avoisinants.
« Ze hebben hun kat meegebracht » (Ils ont emmené leur chat), dit une dame en lui offrant une soucoupe de lait. Par sécurité, Tarzane porte un collier où nous avons fixé une petite notice : « Ik heet Tarzane en ik woon 41, Beatrixstraat » (Je m’appelle Tarzane et j’habite 41, Béatrixstraat). Mais elle ne s’éloigne pas et vérifie du regard si elle repère toujours notre maison de vacances. Maintenant Tarzane est rétablie et elle nous accompagne toujours partout. Une année en Suisse, à Ovronnaz et, en août 1989, dans un chalet loué à Fontenoille, près de Florenville. L’habitation est occupée au rez-de-chaussée par les propriétaires. Leur potager est bien entretenu. Un carré de scaroles et d’endives déjà bien formées attire l’attention de notre curieuse chatte. Elle s’approche, renifle l’endroit et s’immobilise, à l’affût ! Quelques instants plus tard, elle revient avec un gros campagnol dans la gueule ! « Vais pas manger ça. Indigeste ! Sais encore chasser ! ». Et la scène se reproduit 3 ou 4 fois au cours de l’après midi. Le propriétaire, qui a remarqué les exploits de la chasseresse, voudrait Tarzane pour qu’elle dératise son jardin.
Comme le chalet est situé sur une hauteur, on découvre, après la terrasse et le jardin, les pâturages qui s’étendent jusqu’au bois, sur environ un demi hectare. Curieuse comme toujours mais désormais prudente, Tarzane s’y aventure, mais elle regarde si elle nous aperçoit toujours dehors près de la maison. Si nous rentrons, elle revient. C’est à peine croyable, mais pourtant bien vrai. Je vous ai dit que Tarzane était une chatte peu ordinaire.
Nous passons souvent les vacances de Pâques à Colijnsplaat, en Zélande. C’est une saison idéale au pays des plantes à bulbes. Dans le village coquet, tous les jardins des maisons sont fleuris de jacinthes, de tulipes, de jonquilles, sans oublier les narcisses et les fritillaires en jupons colorés de damiers. Pendant le trajet, Tarzane, vieillie, dort beaucoup. A l’arrivée, comme nous louons toujours la même agréable maisonnette, Tarzane la reconnaît, elle inspecte la cuisine, les fauteuils du salon et se perche sur l’escalier en colimaçon du living. Avant de grimper plus haut, elle s’assure que nous restons bien dans la demeure et surveille le déballage des valises, de sa fameuse caisse, de son écuelle et de sa litière qu’elle n’utilise presque pas, le jardin situé à l’arrière lui paraissant beaucoup plus convenable. A nous aussi.
Je pourrais conter encore bien des anecdotes concernant les quatorze années que Tarzane a vécu chez nous. Mais pour ne pas lasser le lecteur, je dirais simplement qu’elle a été pour nous un symbole de joie de vivre, de confiance et de fidélité. Les liens qui nous attachent à elle sont toujours présents. Tarzane a aimé la vie et la vie le lui a bien rendu, pour citer un poète dont j’ai oublié le nom.