APERCU SUCCINCT DES INSTITUTIONS POLITIQUES, ADMINISTRATIVES, JUDICIAIRES ET SOCIALES DE NEUPRE SOUS L’ANCIEN REGIME.
6ème partie1.
Sous l’Ancien Régime, les villages de PLAINEVAUX et de NEUVILLE-EN-CONDROZ sont inclus dans la principauté de Liège. Nous allons nous pencher dans un premier temps sur la situation institutionnelle de Plainevaux qui présente certaines particularités juridiques liées à la fondation de l’abbaye cistercienne du Val-Saint-Lambert. Cette dernière restera d’ailleurs propriétaire du territoire de Plainevaux-Strivay durant plusieurs siècles.
Au milieu du XIIe siècle, Plainevaux est une dépendance de la Seigneurie d’Esneux qui est elle-même un fief concédé par les ducs de Limbourg à la famille comtale des DURAS2-MONTAIGU-CLERMONT. Ce lignage, issu des comtes de LOOZ et de LUIHGAU, a connu son « heure de gloire » au XIIe siècle lorsqu’il prend part active aux nombreux conflits opposant le duché de Brabant, le duché de Limbourg3, la principauté de Liège et le comté de Looz pour le contrôle de la région de Saint-Trond et de Léau4. A la fin du XIIe siècle, cependant, les comtes de DURAS sont sur leur déclin: Gilles de Duras est atteint par la lèpre, vers 1185, et ses deux frères, Conon et Pierre, meurent sans postérité. Leur soeur GerXXX, épouse Wéry III de Walcourt qui hérite des seigneuries de Clermont et d’Esneux. Nous avons déjà vu précédemment qu’Esneux passera à la famille d’Argenteau au XIVe siècle: Plainevaux et Strivay, inclus à l’origine dans la seigneurie d’Esneux, vont connaître un destin différent de cette localité en raison de la pénétration de l’ordre cistercien dans nos régions.
L’ordre monastique cistercien s’est développé à partir de l’abbaye de Cîteaux fondée en 1098 par Robert de Malesme désireux de restaurer la règle de Saint-Benoît de Nursie (v. 480-547). Il s’agit de rétablir l’équilibre entre le travail manuel, l’office divin et la lecture qui avait été rompu par la réforme clunisienne (Xe siècle): « L’enseignement et le ministère paroissial seront interdits, le cérémonial monastique simplifié, la lecture de la Bible, des Pères et des vies de saints considérée comme suffisante pour l’édification du moine. une grande austérité caractérisera les églises et les vêtements…« 5. Saint-Bernard (1090-1153), abbé de Clervaux et prédicateur de la IIème croisade (1146), sera la personnalité la plus marquante de cet ordre qui comptera plus de 500 abbayes réparties en Europe. L’ascétisme radical qui caractérise les débuts du mouvement de réforme cistercien sera abandonné dès le début du XIIe siècle. Les abbayes qui s’installent dans nos régions au début du XIIIe siècle6, ne connaîtront donc par l’organisation cistercienne primitive, mais elles conserveront néanmoins l’habitude de s’installer dans des lieux relativement isolés: Awirs (1207), Robermont (1215), Val-Dieu (1215), Val-Benoït (1231), Vivegnis (1238), …, pour ne citer que des fondations du diocèse de Liège.
La formation du domaine de l’abbaye du Val-Saint-Lambert, ne fait pas exception à cette règle: en 1202, le prince-évêque Hugues de Pierrepont (1200-1229) cède à des moines issus de l’abbaye cistercienne de Signy (Ardennes françaises) un alleu7 de trente-deux bonniers de terre et de bois appelé « Champ des Maures » situé au val-saint-lambert et tout le territoire appelé « Champ de Bure ». Nous savons par ailleurs que cette donation n’était pas la première dont bénéficièrent les moines de Signy dans notre région. Dès 1191, le comte Gilles de Duras, que nous avons déjà cité, avait offert à l’abbaye de Signy la terre de Strivay et l' »île » de Rosière afin d’y fonder un nouveau monastère. La petite communauté de moines cisterciens s’était installée sur les bords de l’Ourthe vers 1195, mais elle ne semble pas s’y être plue, malgré l’intervention du duc Henri III de Limbourg qui proposait en 1196 de compléter la donation de Gilles de Duras par sa terre de Han, située en face de Rosière, sur la rive droite de l’Ourthe.
En 1197, les moines cisterciens décident néanmoins de retourner à Signy. Il faudra attendre l’offre plus alléchante du prince-évêque Hugues de Pierrepont pour convaincre les Cisterciens de Signy de revenir dans notre région et de s’implanter définitivement au Val-saint-Lambert.
L’abbaye du val conservera pendant une partie de l’Ancien Régime le territoire cédé en 1191 par Gilles de Duras: le « Sart » de Strivay délimité à l’ouest par le ruisseau qui prend sa source à la fontaine de « Pirgotte » à Rotheux et rejoint le ruisseau de « Martin » à « Hoûte-s’i-ploût »; au sud, par le ruisseau de Martin, jusqu’à son confluent avec l’Ourthe; à l’est, par l’Ourthe jusqu’au lieu dit « Fréfalise »; au nord, par le bois de la Vecquée. Nous verrons dans un article prochain que le statut de ce vieux terroir8 reflétait l’imbroglio juridique caractéristique des institutions, des niveaux et des espaces de pouvoir au Moyen Age et sous l’Ancien Régime.
Marc LORNEAU.
1 ERRATA: dans le premier paragraphe de la page 236 du n9 de Mémoire de Neupré, il faut lire:
– saint Lambert et non Saint Lambert,
– période attonienne et non altonienne.
2 Duras: commune du limbourg située près de Saint-Trond.
3 Le duché de Limbourg sera absorbé par le duché de Brabant en 1288.
4 Le comté de Looz sera absorbé par la principauté de Liège en 1366.
5 VAN DERVEEGHDE, Denise, Le domaine du Val-Saint-Lambert de 1202 à 1387. Contribution à l’histoire rurale et industrielle du pays de Liège, Paris, Les Belles Lettres, 1955, p. 20.
6 A l’exception de Villers-la-Ville (1146) et de Herkenrode (1182).
7 Propriété indépendante de tout seigneur, à la différence des fiefs et des censives.
8 La terre de Plainevaux-Strivay a été cultivée depuis la préhistoire (néolithique).