C’est à une petite vingtaine que nous nous sommes retrouvés ce 8 avril dernier pour une journée mémorable en principauté ecclésiastique de Stavelot-Malmedy. Guidés par un cicérone de choix, en l’occurrence Bernard LAMBOTTE, archéologue et responsable des fouilles de l’Abbatiale de Stavelot (qui nous avait déjà mis en appétit lors d’une fort intéressante conférence il y a quelques mois), ce samedi culturel s’est déroulé dans un esprit à la fois attentif et bon enfant.
La visite du site des fouilles débuta par un historique des lieux, et ce à l’ombre de la tour de l’église détruite. Elle est entourée des bâtiments de l’abbaye reconstruits en grande partie au XVIIIème siècle: les appartements du Prince-Abbé, les bâtiments de service, le cloître, le réfectoire, et, plus loin, la ferme et le moulin1.
Le monastère de Stavelot est fondé vers 650 par saint Remacle. Vers 685, l’abbé Goduin fait édifier une église pour abriter les reliques du fondateur. Elle sera détruite à la fin du IXème siècle par les Normands. Un second édifice est l’oeuvre de l’abbé Odilon au milieu du Xème siècle. En 1021, l’abbé Poppon entreprend la construction d’une vaste église de pèlerinage. Consacrée en 1040, elle sera achevée en 1087. En 1534, l’abbé Guillaume de Manderscheidt reconstruit l’église en style gothique. La crypte, semble-t-il, n’est pas affectée par ces transformations. A la fin du XVIIIème siècle, les armées révolutionnaires causent de graves préjudices à l’édifice qui sera finalement vendu et entièrement démonté, à l’exception de la tour.
Après cette promenade dans l’histoire, nous avons eu l’occasion de découvrir le chantier des fouilles menées conjointement par le Centre Stavelotain d’Archéologie et par l’Université de Liège.
Située en hors-oeuvre et semi-enfouie, la crypte présente un plan à cinq nefs de trois travées de largeur équivalente aux trois nefs principales de l’édifice. Les nefs sont terminées par cinq absidioles semi-circulaires étagées. On y accédait par deux passages en pente douce qui prenaient naissance dans le transept et aboutissaient dans les nefs latérales. Des sépultures jouxtaient le chevet de la première absidiole. Le niveau du XIème siècle a été conservé jusqu’au XVIIIème siècle avec cependant de nombreuses traces de réaménagements (sépultures, réfections de sol, agencements internes). Deux modes de couverture doivent être envisagés: tommettes vernissées classiques et localement mosaïques polychromes. L’une des sépultures a livré un caveau trapézoïdal construit en moellons entièrement recouverts d’enduit. Remanié à trois reprises, son remplissage contenait de nombreuses mosaïques de formes variées (triangles, carrés, demi-lunes). Le riche matériel en relation avec le défunt témoigne de l’importance du personnage. Des sondages profonds effectués entre les chaînages attestent l’existence d’un édifice antérieur au XIème siècle, vraisemblablement attribuable à l’abbé Odilon (Xème siècle). En 1758, la crypte subit d’importantes modifications. Les deux nefs latérales sont abandonnées, le niveau de sol surélevé et l’agencement interne fortement remanié2.
Outre ces nombreuses sépultures déjà évoquées, de la céramique (des premiers temps mérovingiens jusqu’à nos jours), des monnaies et surtout un fragment de la châsse de saint Remacle ont été inventoriés. Cette dernière pièce exceptionnelle provient de l’encadrement des scènes du toit du somptueux reliquaire. En outre, des fragments de statuettes et des objets en ivoire (ex. dé, domino) complètent cette liste de découvertes mobilières.
Après le chantier de fouilles, une visite de la « face cachée » du travail de l’archéologue, en l’occurrence le « laboratoire » ou salle d’inventaire, a permis de porter un regard différent et inconnu jusqu’alors sur des opérations telles que le nettoyage, la restauration et l’archivage des pièces.
A la suite de cette escapade archéo-historique, c’est une visite poético-littéraire qui allait compléter cette matinée bien remplie par la découverte du Musée Guillaume Apollinaire. En effet, il y a près d’un siècle, durant l’été 1899 pour être précis, Guillaume APOLLINAIRE de KOSTROWITZKY vécut pendant quelques semaines dans les Ardennes belges et à Stavelot en particulier. Il y découvrit un paysage et un folklore dont la trace se perpétuera dans toute son oeuvre. Il y éprouvera aussi une déception sentimentale dans laquelle on peut voir sa première expérience amère de « mal-aimé ». C’est tout cela que l’on peut entrevoir dans ce beau petit musée en cours de transformation sous l’impulsion de son jeune conservateur, le même Bernard LAMBOTTE.
C’est donc avec les yeux plein d’images et l’estomac criant famine que nous nous précipitâmes vers ce « Mal Aimé », allusion à ce poète hors du commun caricaturé sur la carte de la maison de gastronomie qui nous accueillit pour le repas. « Je suis un roi qui n’est pas sûr d’avoir du pain » s’exclame aussi un Apollinaire caricaturé, dans une bouffée de fumée. Ce ne fut certes pas notre cas… La carte de visite de cette vénérable table annonce même: « Plats mijotés et verbes fumants et alcool bien-aimé. Mis en chanson par Jean-Marie HENRARD dit Callas »3. Eh bien, nous nous en souviendrons encore longtemps de ce menu préparé spécialement pour nous! Et de ce jambonneau maison (et géant de surcroît), nous en disserterons longtemps, nous, heureux neupréens qui avons eu la bonne idée de rejoindre Stavelot ce jour-là. Mémorable! Carpe diem!4
1 L’après-midi pouvait débuter le ventre bien rempli, la peau du même bien tendue et l’enthousiasme (presque) intact. Ce fut au tour de la visite du musée du circuit de Spa-Francorchamps; situé à un jet de pierre et du musée d’Art religieux. Avec un menu aussi chargé, le tour de ville à la découverte du petit patrimoine fut abandonné. Mais le rendez-vous est pris pour une nouvelle escapade stavelotaine à la rencontre de l’archéologie et … de la gastronomie!.
Alain-Gérard KRUPA
1 Voir: Pierre PAQUET, Brigitte EVRARD-NEURAY, Stavelot, Eglise abbatiale, De la période mérovingienne à l’aube de l’époque contemporaine in Alain-Gérard KRUPA, Bernard LAMBOTTE, Archéologie et public, Catalogue d’exposition, Liège-Stavelot, 1989, pp. 19-20.
2 Voir aussi, pour plus de détails: Bernard LAMBOTTE, Jean-Philippe MARCHAL, La crypte de l’église abbatiale de Stavelot, in Congrès de Liège, 4ème Congrès de l’Association des Cercles francophones d’Histoire et d’Archéologie de Belgique, Liège, 1992, pp. 101-102.
3 Cette adresse mérite assurément un détour plus qu’attentif: « Au Mal-Aimé », Hôtel-restaurant-Café, 12, Rue Neuve, 4970 STAVELOT, Tél. 080/862001
4 A cet endroit du récit vous avez certainement identifié le point faible (ou fort) de notre secrétaire!
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