Rolande BERTRAND
A l’occasion des journées du Patrimoine rural nous avons profité des « Portes Ouvertes » pour visiter quelques fermes typiques de notre entité. Madame Agnès Dumoulin vous a fait découvrir, dans le Cahier n14, la magnifique « Maison ROUGE » et sa beauté architecturale. Nous allons, aujourd’hui, témoigner de la vie courageuse et fructueuse de deux fermiers méritants.
« La petite forage » tel est le nom de ce bien, sis rue du Village à Neuville en Condroz. Le nom de cette ferme nous a déroutés. Que voulait dire forage et surtout au féminin? En discutant de ce sujet avec Louis Toussaint il s’est rappelé que ses parents, fermiers rue Bonry, disaient quand il manquait du foin ou de la paille: « allons a p’tit fôradje » en parlant d’une petite ferme.
Est-ce l’origine de l’appellation qui aurait qui aurait été francisée?
La « petite forage » a été bâtie en 1669, elle ne comptait que deux petites étables et la grange.
Elle dépendait probablement d’un autre bien.
Le corps de logis a été construit en 1827. Les moellons brun-chocolat du pays, le chaînage d’angle, les calcaires autour des baies au ras de la façade font de ce bâtiment un modèle du genre.
La maison s’étendait sur une surface importante pour l’époque. Au rez-de-chaussée, en face du petit perron s’étendait un grand vestibule sur environ 6 mètres de profondeur et d’où montait un large escalier. A gauche, une grande place qui devrait être « la belle pièce« . A droite, sur une demi-longueur le petit salon et derrière celui-ci l’arrière-cuisine qui contenait l’écrémeuse. A l’extrême droite, une autre porte s’ouvre sur la cuisine ou plutôt le « vivoir« . C’est là que les fermiers vivaient et recevaient leurs clients.
En 1896, la grange fut agrandie et les étables construites. A l’heure actuelle, les étables près de la rue du Village, sont converties en garage. La charpente de la grange est solide et donne une impression de grandeur. A l’intérieur, les murs et le pavement sont restaurés avec des moellons, des dalles et des pierres du XIXe siècle et laissent augurer d’une salle grande et belle.
Les étables près de l’habitation et vers l’arrière abritent si nécessaire les jeunes bêtes qui paissent encore sur les terres près de la ferme.
Ce sont les Seigneurs de Neuville qui ont fait bâtir cette ferme dont les principaux locataires connus furent:
1850-1905 M Gillon, marchand de chevaux
1905-1935 M Lemaire, fermier
1935-1945 M Dessart, fermier
1945-1958 Les bâtiments furent réquisitionnés pour Mme Veuve Lehaire et ses enfants.
1958 Mr et Mme Joseph Gillet (papa du Joseph actuel) achetèrent le bien au baron de Tornaco, ils venaient de la Maison-Rouge. Une de leur fille, Marie-Madeleine dite « Mylène » épousa Mr Emile Gérard de la ferme de la Haye, le 1er mai 1955. Ils louèrent la ferme de Louisa Bertrand, à la Rimière.
En 1962, Mr et Mme E. Gérard revinrent à Neuville et rachetèrent la « petite forage » à leurs parents, comme le témoigne cette photocopie de l’acte d’achat.
Voilà le jeune couple lancé dans la vie de propriétaire-fermier et obligé de la rentabiliser.
Le nombre de bêtes à cornes, pie-noire, tournait autour de la centaine dont 40 vaches laitières. Elles étaient ramenées dans les étables, tous les soirs. Le matin la traite était effectuée à 5 heures. Madame s’occupait de la trayeuse électrique et Monsieur trayait, à la main, les bêtes un peu rétives. Le soir dès 16h30, le même travail recommençait car beaucoup de clients appréciaient, en rentrant du travail, acheter du lait « tot fris moudou« .
Le lait était écrémé1 dans la cuisine, la crème était descendue dans la cave et le petit-lait versé aux jeunes bêtes et aux porcs.
La maison était bâtie sur quatre grandes caves voûtées et blanchies. Une de ces caves était la laiterie et Madame Gérard fabriquait, seule, chaque semaine 100 kg de beurre, c’est à dire 200 fois remplir un moule, le façonner, le déposer sur du papier parchemin, envelopper et enfin vendre toute la production. Le beurre avait un bon goût noisette et sa renommée s’étendait au-delà des frontières du village. N’oublions pas la maquée qui avait aussi de nombreux amateurs.
Dans cette cave nous avons découvert un four toujours fonctionnel. Nous connaissions les fournils extérieurs, mais alors dans une cave c’était étonnant. Que de pains et de bonnes tartes auront été cuits dans cet endroit béni.
Madame Gérard, fermière réservée et timide, était une maîtresse de maison accomplie, elle tenait fermement les rênes de ses occupations multiples et n’était aidée que le jour de la lessive.
Pareillement le fermier vivait d’une manière intensive tantôt sur les terres, tantôt dans les étables. Deux belles petites porcheries jouxtaient l’habitation. Mais il préféra éloigner les cochons de la maison et construisit des enclos pour les porcs dans les étables éloignées. Il convertit les porcheries en cabinet de toilette et en réserve à outils.
La basse-cour n’était élevée que pour la consommation familiale. Comme nous a expliqué Monsieur Gerard « avant de commencer de lourdes journées de travail, une bonne fricassée était la bienvenue et après de durs labeurs, un poulet rôti ou un lapin aux pruneaux était un gala« .
Les bêtes étaient nourries avec du foin, de la pulpe, des collets de betteraves et de la farine produite à la ferme. Monsieur Gérard cultivait environ 20 hectares (ses terres et celles de la ferme de la Haye) en cultures triennales, froment, escourgeon, orge hâtive et betteraves sucrières. Il ne réalisa jamais de silo car il craignait d’altérer le goût du lait et du beurre. Il broyait du cocotier dans ses tourteaux pour donner au beurre ce bon goût de noisette.
En temps de fenaison ou de moisson, des amis ou des étudiants le secondaient mais il n’eut jamais de personnel attitré.
Chaque année, les vaches laitières subissaient une prise de sang et une prise de lait. En 1977, l’hygiène déclara qu’elles étaient atteintes de la brucellose ou maladie de l’avortement. Toutes les vaches vêlèrent normalement, sans aucun cas d’avortement, malgré cela tout le cheptel fut abattu. Durant une année, les fermiers désabusés restèrent sans réaction. Enfin, ils décidèrent de racheter des bêtes blanc-bleu et de laisser téter les veaux et de les vendre pour la boucherie.
Le 1 août 1995, Monsieur Gerard arrivé à l’âge de la retraite, les fermiers cessèrent leurs activités et ne conservèrent, que quelques jeunes bêtes (des tondeuses naturelles pour les prés).
Depuis lors Madame mène une vie calme et normale dans un foyer propre et accueillant. Quant à monsieur il est toujours aussi actif mais se consacre exclusivement à la restauration des bâtiments et des alentours. Il respecte le style de sa propriété même la grande barrière, accotée aux vieux piliers de calcaire a été forgée artisanalement. La potale, encastrée dans la petite forage, a été taillée dans un calcaire de 200 ans.
A la belle saison, des bacs de fleurs ornent l’habitation et les étables, même le perron est fleuri.Un parterre a remplacé le fumier au centre de la cour, repavée à l’ancienne.
1Le dessin représente une écrémeuse système Mélotte, à réservoir surbaissé et moteur électrique. Celui-ci peut, à l’aide d’une courroie actionner également la baratte ou le malaxeur. Le cas échéant, on peut faire fonctionner cette écrémeuse à la main.
Le lait versé dans le réservoir entre constamment dans la turbine en dessous. celle-ci tourne vivement, et par la force centrifuge, sépare la crème du lait maigre qui en sortent tous deux sans interruption et sont déversés dans deux récipients placés sous l’écrémeuse. Consommation d’électricité, environ 200 watts à l’heure?