Récit de Joseph FILEE
« Sacré Charlemagne, toi qui inventas l’école » comme il est dit dans la chanson, et qui vécus au IX siècle, quelle a été la conséquence de ton « invention » pour les enfants de notre village?
Si vous voulez bien me suivre dans le fouillis des documents que je me suis amusé à remuer, je vais essayer de vous faire revivre un tant soit peu ce qui a été ou aurait pu être l’enseignement chez nous.
Le premier « maître d’école » dont j’ai officiellement retrouvé la trace parmi les écrits anciens est le Révérend Sieur François Léonard Collignon. Voici le texte qui en fait foi:
» Nous, Adrien Jean Baptiste, Comte de Lannoy de Clervaux, « Seigneur de la Neuville-en-Condroz et d’autres lieux, grand maijeur et souverain officier de la cité et pays de Liège, etc.avons nommé ainsi que nous nommons à la fin que dessus, la personne du Révérend Sieur François Léonard Collignon et cela aux charges, devoirs, obligations, droits, rémunérations et émoluments qui ont été et sont compétents d’usage, ensemble à charge de tenir école dans le même lieu, pendant la saison d’hiver pour l’instruction de la jeunesse, dès la fête de la Saint-Jean prochaine… »
» Donné sous notre signature et le cachet de nos armes dans notre château de Neuville, le 28 mai 1765.«
Par ailleurs, un autre document vient confirmer cette information en nous apprenant que le Sieur Collignon est le prêtre desservant la paroisse de la Neuville. En voici le texte:
« Nous soussigné, De Vanbresson, prévot et curé d’Hermalle devant Flône, déclarons d’avoir commis et constitué comme dans les présentes, nous commettons et constituons la personne du Révérend Sieur Collignon nommé par le Comte de Lannoy pour dire simplement la messe et tenir école pour l’utilité des manants de la Neuville, pour administrer en notre place tous les devoirs pastoraux envers nos paroissiens de la Neuville en Condroz et des Sept Fawes avec profit de tous les droits, etc. etc… »
« en foi de quoi j’ai signé la présente, le 2 juillet 1795.
» Il est écrit par ailleurs, dans le jargon de l’époque, que le rectorat de la chapelle de Neuville-en-Condroz existait déjà en l’an 1400 et « que le curé de Hermalle devant Flône mit le premier et le dernier sacrement dans la dite chapelle et lui ont permis le simple usage pour l’administrer et y faire les offices divins en l’an 1581« .
J’en ai pour preuve que dans le relevé des messes fondées, on peut lire que « Françoise le Begon de Sept Fawes a fondé dans la dite chapelle, un anniversaire et une messe septimanale (!) le 19 mars 1585« . D’après les mêmes sources, j’ai pu établir une certaine liste des recteurs et de leur vicaire depuis 1502, le premier s’appellait Servage.
De là à faire le rapprochement entre le curé nommé en 1502 et le révérend Collignon officiellement chargé de tenir école permettrait de parler d’une école ouverte à Neuville en Condroz dès avant cette date et … pourquoi pas depuis 1400 et même en poussant un peu, enfin beaucoup, on pourrait remonter à une école tenue dans la villa romaine située près de la ferme de la Costerie avec une salle de classe aux jolies mosaïques, un magister en toge entouré de jeunes villageois …. On peut rêver non?.
Mais laissons là nos supputations et revenons les pieds sur terre et les yeux dans nos grimoires.
Ici il y a un hic!! Entre 1765 et 1855, soit sur près d’un siècle, je n’ai aucun document! Evidemment la révolution française et la nôtre en cette époque troublée n’ont pas aidé la conservation des archives ni des bâtiments religieux (voyez la place Saint-Lambert, encore que cela a permis d’autres découvertes).
Ce qui est certain c’est que durant cette période, l’éducation des jeunes a été retirée des mains des prêtres pour être confiée à des laïcs tant dans l’enseignement des communes que dans l’enseignement libre.
Et nous retrouvons des documents authentiques dans les registres contenant les procès verbaux des réunions des conseils communaux de la Neuville en 1851. Ainsi, le 19 août 1855 très exactement, Monsieur Alphonse Regnier dont la tombe est encore fleurie chaque année dans le cimetière de Neuville, est nommé instituteur parmi les 13 candidats postulants pour remplacer Monsieur Jean Jacques Leboulle qui a donné sa démission.
J’ai retrouvé aussi le « Règlement général des écoles » daté du 26.01.1859 et amendé en 1885 dont je ne résiste pas au plaisir de vous donner quelques articles significatifs.
Ainsi au Chapitre II, Art.5 vous pouvez lire ceci: « Les classes sont ouvertes toute l’année à l’exception des jours de congé et le temps des vacances« .(li si qui d’jase ainsi n’est nin mouwê!!). A l’article 6 du même chapitre où l’on parle des heures d’ouverture, j’ai lu que l’école est ouverte du 1.10 au 1.04 de 8h30 à 11h30 et de 1h1/2 à4h, et après le 1.04, de 8h à 11h et de 1h1/2 à 4h. J’ai relevé aussi que « les filles sortaient 5 minutes avant les garçons » (Ah ces gamins tout de même!).
L’article 9 donne les dates des vacances: du 1/9 au 1/10, autrement dit, le seul mois de septembre. Le Chapitre III nous parle des punitions, par exemple de la station debout au milieu de la classe ou du bonnet d’âne dans le fond de la classe; cette dernière sanction n’était pas dans le règlement pas plus d’ailleurs que les coups de règle sur les doigts ou les oreilles un peu malmenées, sans compter les 50 ou 100 fois à copier … la même phrase, et sans faute svp.
Que dire alors des tables de multiplication ou des tableaux de conjugaisons … (et les anciens n’en sont pas morts!!) et des récompenses (les bonnes notes ou les bons points à échanger contre … une image!). Je connais un ancien maître qui se permettait de frapper un grand coup avec le mètre bâton sur … (je vous rassure de suite) son bureau: ce grand bruit calmait tout le monde ainsi que l’instituteur. Certains grands-parents pourraient peut-être vous conter l’une ou l’autre mésaventure qui est arrivée à son voisin (pas à lui bien sûr!) qui tout compte fait n’en a pas gardé un trop mauvais souvenir.
Monsieur Filée
Madame Orban
1898
Ecole des filles: Mademoiselle DELCOMMUNE
Institutrice à Neuville-en-Condroz de 1874 à 1904.
Quelques noms retrouvés:
oséphine MARCHAND
Bertha VANPLADIUS
Ferdinande DOMINIQUE
Marie BEAUJEAN
Marie LOUIS
Marie-Josèphe CHATELAIN
Clara VANPLADIUS
Mélanie GOFFART
Fernande LECOQ
De gauche à droite et de haut en bas,
1er rang Joseph DOSERAY, Marcel GONY, François CHATELAIN, Raymond DELMELLE, Léa DUVAL, Angèle LOBET, Frenande BEAUMONT, Louise OLIVIER
2ème rang Georges DELREE, Nestor DEVILLE, Oscar GONY, Maria XHIGNESSE, Antoinette DOSERAY Irma GONY, Jeanne PISSART, Julia MURAILLE.
3ème rang Marcel ROME, Daniel BEAUMONT, Oscar PIROTTE, Oscar PIROTTE, Edouard NOISET, Louis DEHARD, Louis DEHARD, Emile BOSSE, Charlotte DOSERAY, Félicie DUVAL
4ème rang Adelin BEAUMONT, Albert LION, Robert GONY, Ferdinand DUVAL, Louis ROME, Robert ROME, Lambertine JAMAR, Roger PIRLOT, Laure RESIMONT, Régine TAMBOUR, Edmée TAMBOUR, Emma GERIMONT, Louise JAMAR
5ème rang Albert COURTOIS, Camille GONY, Emile MURAILLE, Edmond ROME, Gustave CHATELAIN, Florine FRANCOIS, Victor JAMAR, Mariette DELCOMMUNE, Hélène SEVERIN, Laure LACROIX, Marthe FRANCOIS, Félicité LACROIX, Marcelle FRANCOIS.
Un autre renseignement que j’ai pu récolter dans les archives communales concerne les cumuls. Généralement l’instituteur cumulait sa fonction avec celle de secrétaire communal ou de bibliothécaire ou de chargé du cours de l’école d’adultes. C’était le cas de Monsieur Regnier qui « fut proclamé secrétaire communal le 17/12/1885 ». Son fils Constant Marie qui lui succéda en 1891, était, pour sa part, pharmacien.
Ce Monsieur Auguste Regnier a été pensionné le 01.01.1892 au taux de 1.804 frs l’an et a reçu la médaille civique le 19.01.1896. Il faut lire l’éloge (j’ai failli ajouter « funèbre ») lu à cette occasion et qui était à mon avis mérité. Ainsi on écrit ces mots : »... zèle, dévouement auxquels nous nous plaisons à rendre un hommage public… sa classe a toujours et chaque année été classée dans les premières du canton scolaire de Seraing… que la preuve de ses succès est faite par les nombreux élèves qu’il a formés et dont un grand nombre ont occupé et occupent encore des positions brillantes… Considérant en outre qu’il a été l’un des plus grands propagateurs de l’épargne et du chant choral tant à l’école que dans la commune… Le Conseil à l’unanimité de ses membres et par acclamation a l’honneur de solliciter auprès de sa Majesté le Roi et du Gouvernement, la croix civique de 1 ère classe pour le Sieur Regnier Alphonse« . Un tel hommage fait chaud au coeur.
A propos des cumuls, permettez-moi de vous conter la mésaventure qui arriva à mon grand’père. Cet homme dont je me souviens très bien, était instituteur mais aussi bibliothécaire et s’occupait en plus d’assurances. Par un bel après-midi d’octobre, il reçoit la visite de Monsieur l’Inspecteur des écoles, de l’Inspecteur des bibliothèques ainsi que celui des assurances!
Que faire? Mon aïeul, homme futé, charge son épouse de recevoir dans la cuisine, le bonhomme des assurances et dans le salon, l’Inspecteur des bibliothèques en les invitant à patienter autour d’une tasse de café et de quelques petits fours dont ma grand’mère avait le secret en attendant que son époux en termine avec l’Inspecteur des écoles. Dès le départ de ce dernier, Monsieur le « Maître » confie l’ordre de la classe à un des grands élèves qui en était très fier, s’en va au salon pour écouter les remarques de l’Inspecteur des bibliothèques et termine son après-midi avec le « monsieur » des assurances!.
Un autre cumul autorisé et pour cause, était l’enseignement donné, en soirée, aux adultes. Je vous en livre quelques articles du réglement.
Chapitre premier.
De l’enseignement en général.
Art. 1. L’école d’adultes pour hommes (Tiens! de la discrimination!) de la commune de Neuville en Condroz comprend:
1) Un cours élémentaire destiné aux jeunes gens qui n’ont pas reçu l’instruction primaire ou qui ne l’ont reçu que d’une manière très incomplète.
2) Un cours de répétition et de perfectionnement destiné aux jeunes gens qui ont suivi les leçons des trois degrés d’une école primaire.
Art. 2. L’enseignement comprend :
Au cours élémentaire, la lecture, l’écriture, les notions de langue maternelle et les éléments du calcul et du système métrique.
Art. 4. L’instituteur s’attache à donner un enseignement à la fois raisonné et essentiellement pratique; il le met autant que possible en rapport avec les besoins généraux des élèves et avec les exigences locales.
Il s’efforce d’éveiller l’esprit d’observation, de recherche et de réflexion; il fait de fréquents appels au jugement, à la raison et à l’expérience des élèves. ( Ndr: Voilà un programme concret!).
Art. 5. Il ne néglige aucune occasion de cultiver en eux le sens moral, de leur inspirer le sentiment du devoir, l’amour de la patrie, ….
Il s’abstient de toute attaque directe ou indirecte contre les convictions religieuses ou politiques des élèves et de leurs familles.
Art. 27. Les seules peines disciplinaires autorisées sont l’éloignement provisoire et l’exclusion définitive de l’école.
L’éloignement provisoire est prononcé par le chef de l’école et ne peut durer plus d’une semaine. L’exclusion définitive est prononcée par le Collège sur rapport motivé du chef de l’école.
Art. 30. L’année scolaire commence le 1er mardi de novembre et finit le dernier vendredi de mars.
Art. 31. L’enseignement est donné: les mardis, jeudis et vendredis de 7 heures à 9 heures du soir.
Art. 32. Les jours de congé sont: le 1 et 2 novembre, le jour de Noël et le lendemain, le jour de Pâques et le lendemain, le 1er janvier et le 15 novembre, les jours de conférences pédagogiques.
Art. 34. L’indemnité est fixée à 294 frs. (par an pour l’instituteur, ndr.).
Art. 35. L’instruction des élèves sera entièrement gratuite. L’indemnité pour chauffage et éclairage y compris l’entretien de la propreté est fixée à 50 frs ».
Voilà quelques uns des articles du règlement; j’espère ne pas avoir été trop long ni trop ennnuyeux.
Ces cumuls étaient tout à fait légaux et permettaient à l’instituteur de vivre décemment selon son rang en lui permettant de payer le costume et la cravate qui faisaient partie de sa « tenue » de travail car le traitement d’un instituteur n’était pas mirobolant. Pour confirmer cet avis voici quelques chiffres.
Budget de l’instruction primaire pour 1887.
Besoins de l’école des garçons :
Traitement fixe de l’instituteur : 900 frs*
Indemnité pour instruction gratuite : 1010 frs
Rétribution des élèves solvables : 165 frs
Suppl.traitement pour parfaire instr. : 125 frs
Chauff.nettoyage, fournit.class. : 143 frs
Total : 2343 frs
Besoins de l’école des filles :
Traitement fixe de l’institutrice : 600 frs*
Indemnité pour instruction gratuite : 756 frs
Rétribution des élèves solvables : 297 frs
Chauffage et entretien de l’école : 198 frs
Total : 1851 frs
Ressources de l’Instruction :
Allocation du Bureau de Bienfaisance : 275frs
Produit des élèves solvables : 462 frs
Allocation communale : 1482 frs
Allocation commune d’Ehein : 204 frs
Total : 2424 frs
Un subside de 1770 frs sera donc demandé à l’Etat et à la Province.
[(*)La différence de traitement n’a pas de raison sexiste mais est la conséquence d’une différence d’ancienneté de service entre les deux enseignants].
J’ai pu lire par ailleurs que le 20.10.1863, « la commune « n’ayant pas assez de ressources, le traitement de l’instituteur qui était de 300 frs devra être diminué et réduit à 200 frs ». Heureusement pour la commune, les syndicats n’avaient pas encore été inventés à cette époque!!.
Tiens, en moins de 25 ans le traitement de l’instituteur a triplé! Décidément, il n’y a rien de nouveau et l’inflation est de tous les temps; c’est ainsi qu’entre 1945 et 1995 soit sur près de 50 ans cette fois, les traitements sont passés de 6.000 à 42.000 frs par mois ce qui donne cette fois une augmentation septuplée: là, le processus s’emballe! Passons, cette constatation pourrait nous emmener trop loin.