Louis TOUSSAINT
La conscription.
C’est en 1798, que fut adoptée par le Directoire, la loi organisant la conscription. Celle-ci imposait aux jeunes célibataires Français (et donc aux jeunes Belges, qui étaient également soumis aux lois républicaines depuis l’annexion de notre pays), un service militaire obligatoire à partir de leur 20ème année. En temps de paix, ce service était limité à cinq ans. En temps de guerre, sa durée devenait illimitée avec possibilité de procéder à des levées en masse.
Cette mesure impopulaire souleva l’indignation du pays tout entier et déchaîna dans nos campagnes un violent mouvement de révolte. Dans le département de l’Ourthe (future province de Liège), les personnalités de l’administration centrale qui, entièrement dévouées à la France, avaient spontanément fournis d’innombrables volontaires aux premières armées de la république, manifestèrent leur réprobation en s’opposant avec véhémence à cette contrainte.
Dans les dernières années du premier Empire, cet « impôt du sang », parce que plus exigeant encore, devint absolument intolérable. Les conscrits incorporés dans l’armée de guerre avaient des chances bien minimes d’en revenir indemne. Une expression populaire ardennaise affirmait d’ailleurs qu’endosser l’habit militaire, c’était se parer pour la mort.
Le code organisant la conscription napoléonienne accordait cependant l’exemption du service dans l’armée active aux conscrits ayant un frère déjà sous les drapeaux. Pour bénéficier de cet avantage, un certificat de présence délivrer par l’administration du corps dans lequel ce frère était enrôlé, devait être présenté par les parents à la préfecture du département. L’obtention de ce document présentait souvent de telles difficultés qu’il n’arrivait que rarement en temps utile.
Dans notre département, les
plaintes adressées au préfet furent si nombreuses que la direction
du recrutement autorisa l’assimilation des lettres de famille
envoyées par les soldats des dépôts ou des champs de batailles aux
certificats délivrés par l’administration du régiment évitant
ainsi de nombreuses et inutiles démarches.
En 1934, 1183 lettres ayant ainsi suppléé à l’absence de certificats de présence, ont été retrouvées, classées par l’administration, aux Archives de l’Etat à Liège.
La publication1 d’extraits de ces lettres nous a permis de suivre dans leur vie quotidienne et de mieux connaître ces soldats de chez nous qui payèrent de leur santé ou de leur vie « l’honneur » de servir dans la grande armée.
Parmi tant d’autres, elle nous a révélé la triste aventure vécue par Martin Durieux, un « appelé » de Plainevaux.
La déplorable attitude d’un maire.
A l’aube du premier octobre 1812, après les derniers adieux à sa mère éplorée et à son jeune frère, le conscrit Martin DURIEUX de Plainevaux2 quitte à regret son village natal pour rejoindre l’armée napoléonienne. A Liège, il passe la revue de départ et est désigné pour un régiment de pionniers (génie) basé en Hollande.
La région qu’il rallie, après une longue et pénible marche, a très mauvaise réputation car la malaria y fait de nombreuses victimes parmi les soldats. Après un assez court séjour, Martin contracte lui aussi, la pernicieuse « fièvre des polders » et se retrouve, bientôt, à l’hôpital de Bois-le-Duc. Il y passera plus de trois mois, supportant très mal une peu enviable situation.
Dans sa détresse, il s’imagine un funeste avenir qu’il tente d’esquiver par la désertion.
Alors que sa santé s’est quelques peu améliorée, il quitte discrètement l’établissement de soins et abandonne son régiment. Il ne pourra, cependant, se soustraire longtemps aux poursuites dirigées contre lui, il sera bientôt repris mais, au cours d’un transfert de Gand à Saint-Omer, il disparaîtra à nouveau, cette fois définitivement.
A la demande de l’autorité départementale, le maire de Plainevaux effectue des recherches qu’il mène avec un zèle particulier.
Celles-ci terminées, il adresse au préfet de l’Ourthe une lettre dans laquelle il avoue l’échec de ses investigations et propose un assez vil moyen pour appréhender le fugitif.
Voici la copie du texte de cette lettre dans son intégralité. Vous jugerez combien est indigne le comportement de son auteur.
Mairie de Plainevaux Plainevaux le 9 août 1813. N 233
Conscription
Le maire
A Monsieur le Baron de Micoud
Préfet du département de l’Ourte.
Monsieur le Préfet.
J’ai l’honneur de vous rendre compte de mes diligences pour la recherche du nommé Durieux Martin, conscrit de cette commune, déserteur.
Ce mauvais sujet n’a pas encore reparu dans cette commune ni environs, ses parents au nombre de mes administrés ont parcouru une infinité de communes à cette occasion et m’ont affirmé qu’on n’avait point vu le déserteur ni entendu dire qu’il fut entré un nouveau sujet dans ces lieux.
Ce Durieux ayant un frère à Verviers où je soupçonnais que le déserteur aurait pu captiver clandestinement un asile momentané, j’avais écrit à Mr le maire de Verviers qui a bien voulu faire prendre des renseignements et m’a mandé en résultat de sa démarche que le déserteur Durieux n’est pas à Verviers, mais qu’il a appris de ce frère du déserteur que le déserteur Martin avait par lettre du 2 mai 1813 ci-jointe, annoncé à sa mère qu’on le conduisait d’étape en étape de Gand à Saint-omer.
Ce déserteur montre par cette lettre beaucoup d’attachement à sa mère qui est colporteuse. L’impatience qu’il manifeste de la rejoindre donne matière à penser que ce déserteur a eu peine à rester plusieurs mois sans rendre de nouvelles de sa mère qui, n’ayant d’autre responsabilité que son individu, peut se montrer insouciante aux calamités qui nous menacent.
Cette présomption m’engage à vous demander, Monsieur le Préfet, l’autorisation de faire arrêter, au premier rencontré, cette mère nommée Marguerite Dispas et de pouvoir la faire conduire à la maison d’arrestation à Liège. Cette arrestation procurée, si on faisait répandre le bruit le plus loin possible dans l’espoir qu’il arrive à la connaissance de ce déserteur que sa mère est incarcérée à cause de sa désertion, un sentiment de piété engagera peut-être ce misérable à se rendre à son devoir pour libérer sa mère.
Veuillez, Monsieur le Préfet, me faire donner vos ordres à cet égard et daignez croire aux sentiments les plus respectueux avec lesquels j’ai l’honneur d’être, Monsieur le Préfet, votre très humble et obéissant serviteur.
s. le maire de Plainevaux
Martin ne donnera plus jamais signe de vie.
Que penser de sa disparition? Une deuxième désertion est difficilement imaginable car, nous savons que lors de son transfert, il était très malade et sa faiblesse était extrême (il le confirme dans la dernière lettre à sa mère le 2 mai 1813.)
Ne fut-il pas, comme tant d’autres, abandonné mourant en cours de route et indûment déclaré, à nouveau, déserteur? Très souvent la mention « rayé pour longue absence » portée aux listes de contrôle était imputée à la désertion et non à la fatalité.
De Martin, il ne reste rien aujourd’hui, sinon quelques lettres dans un dépôt d’archives, traduisant ses craintes et ses espoirs déçus.
Son nom ne fut jamais porté au nécrologe des grognards. Oublié depuis longtemps, il ne reçut jamais l’hommage digne du guerrier. Il est vrai que, malgré toutes ses souffrances, il aura peu contribué au succès des entreprises démesurées d’un homme dont l’inassouvissable ambition était d’asservir toutes les nations.
D’autres Conscrits de Plainevaux ont participé aux guerres du premier empire.
Ainsi:
Jean Joseph Detaille – Grenadier au 76ème régiment de Ligne.
Jean Denis Dispa – 78ème cohorte de la garde nationale devenue le 147ème régiment de ligne
1 Lettres de Grognards, par Emile Fairon et Henri Heuse, édition 1936, A.E.L.
2Martin Durieux est né à Plainevaux le 3 septembre 1790. Il vivait avec sa mère, Dispas Marguerite et son frère cadet, Jean. Son frère aîné, François, marié, habitait Verviers. Le père, Jean François, est décédé le 1er janvier 1796.