Extrait de « LES HORIZONS MAUVES (En Condroz) »
Contes – Nouvelles – Légendes
par Renaud STRIVAY – 1921.
Je le croyais mort depuis longtemps… Aussi, quand je le vis sortir d’un asile, les joues ravinées et la tête branlante, je m’arrêtai brusquement et, comme au sortir d’un rêve, je me mis instinctivement à frotter mes yeux.
A sa vue, sa lamentable histoire me revint soudain à l’esprit et, d’une main fébrile, j’écrivis ces lignes qui sont une des pages les plus mornes de ce livre expectant. Il y a plus de trente ans, alors que je courais à l’aventure par les sentes de l’Arbois, Gilles Diépart habitait, rue de Beauregard, non loin des « Epines noires » une maison basse attenante à une petite forge et contiguë à un verger.
Un grand atelier de maréchalerie, superbement outillé, ayant été bâti non loin de sa demeure, au bord de la grand’route, il en soutint difficilement la concurrence, aussi dès ce moment, la gène lui fit sentir son sceptre tyrannique. Bientôt il en fut réduit à faire flèche de tout bois. Tantôt il cassait des pierres dans la vallée, liait des fagots dans la forêt ou servait de manoeuvre aux maçons; tantôt il réparait une bêche, creusait un fossé ou découvrait un silo.
C’est dire qu’il vivait chichement et qu’il n’attendait pas pour jeûner que l’heure du carême ait sonné à sa vieille horloge.
Un matin parmi les carrés de légumes d’un enclos voisin, il aperçut des lapins sautillant, l’oreille au guet. Aussitôt, l’idée de les prendre au piège et de les faire mijoter dans sa marmite lui traversa l’esprit. Il construisit des bricoles, et, le soir venu, s’en fut les placer aux claires-voies de la haie.
Le voisin, homme vindicatif et qui lui cherchait querelle à propos du bornage d’un champ, l’aperçut de sa fenêtre et ne fit qu’un saut pour aller prévenir le garde champêtre. Le surlendemain, juste au moment où le pauvre diable glissait dans son sac un lapin étranglé, la main du « grand Lambert » le saisit au collet.
Les juges toujours sévères pour ces sortes de délit, lui infligèrent une amende tellement considérable que, pour la payer, le malheureux forgeron dut se résoudre à vendre la vache qui était la principale source de ses revenus.
Il en devint comme fou et sa femme, déjà très débile, vit s’aggraver la maladie de coeur dont elle souffrait, ce qui la conduisit rapidement en terre. Dès lors, constamment fouetté par le vent de l’adversité, il fut ballotté de détresse en détresse jusqu’à ce qu’il connut la monotonie du séjour à l’hospice.
Voilà ce que sa rencontre inattendue m’a fait évoquer, ce qui assombrit encore les quelques feuilles de ce livre que scandent des soupirs ou qu’humectent des larmes.
Mais oui! j’en suis encore bouleversé… Je le croyais mort depuis longtemps.
Albert MAKA a « déniché » le document ci-dessous , il concerne l’histoire de Neuville.