Renaud Strivay – Les veillées villageoises – Seraing 1929
C’est un lieu solitaire, angoissant et sinistre de l’Arbois où semblent passer dans le vent les derniers échos d’une époque barbare et que paraît obscurcir l’ombre effrayante d’un gibet fleuri de mandragores.
Enfants, nous n’y faisions que de brèves incursions. Notre visage y devenait blême de peur et notre dos s’y humectait d’une sueur froide semblable à celle des affres de la mort.
C’est pourquoi, pierre par pierre, nous dispersâmes … aux quatre coins de l’escarpement … avec les galopins du village, le soubassement de la grande croix de bois qui s’écartelait jadis à l’endroit même où se dressaient, il y a plusieurs centaines d’années, les terribles bois de la justice seigneuriale.
De la croix « Wéré »1 un des angles du rectangle vert que font les « Epines noires », le « bois des Nutons » et les champs d’essarts du « Bois brûlé », le marcheur intrépide peut prendre vingt directions différentes2 dont Beauregard est chaque fois le point de départ pittoresque.
De ce point culminant3 que hérisse un bouquet de pins sylvestres on peut se rendre, en effet, à maints villages et hameaux de la vallée romantique de l’Ourthe.
C’est là selon la tradition, qu’en 1715 fut pendu haut et court, par ordre de la cour de justice d’ Esneux, le sieur « Wéré », de Ham, qui avait volé du bois à un habitant de Boncelles4. Comme on peut s’en rendre compte, la répression des délits était alors aussi draconienne que sous le règne de JeanI.
Cet endroit fut choisi, comme scène de l’exécution, parce que la maison du voleur se voyait distinctement de ce lieu désormais redouté5.
Le récit tragique de cette pendaison, la dernière qui eut lieu sur le territoire de Plainevaux transmis de bouche en bouche, n’a cessé de hanter ma mémoire, depuis le soir d’octobre de ma dixième année où il me fut conté, à Fêchereux, par un vieillard nonagénaire6.
Chose étrange! Je ne puis entendre ce nom de Wéré , sans que sinistrement, glissent dans mon souvenir comme des ombres hallucinantes, une potence en ruines, un pendu abandonné aux corbeaux7 et des rustres qui hurlent à la mort : car il est de ces impressions d’enfance qui s’agriffent à l’âme comme les racines de lierre aux vieux arbres des vallées.
1 Aujourd’hui Croix Waldor ou Beau Point de Vue.
2 Embourg, Roche-aux-Faucons. Sur Cortil, Brialmont, Avister, Fèchereux, Hayen, Dolembreux, Hony, Avionpuits, Fontin, Esneux, Fays, Bosière, Sart, Rond-Chêne, Les Crêtes, Strivay, Plainevaux…
3 240 mètres d’altitude.
4 D’autres disent des « bottes » à un Esneutois.
5 Un registre des délibérations des manants explique que le lieu ordinaire des supplices des condamnés était à Beauregard. (Voir: « La Seigneurie d’Esneux », par M. le docteur
C. Simonis, page 61.) Parfois on pendait au vieux tilleul qui se trouvait près de la maison
Bataille au lieu dit: « Aux ruelles ! » Le bourreau venait du Limbourg et était hébergé aux frais du Seigneur.
Voir’ : L’Etat des dépenses et fournitures remis au comte d’Esneux par l’échevin Albert Winand (7-1-1543).
Il ressort de ce document que le bourreau fut hébergé chez lui trois jours (Cour d’Esneux: règle no 4).Dans une délibération des manants du 24-1-1717 le comte demande la restitution de 30 patacons (120 florins). par lui déboursés pour l’exécution faite – passé ,environ 2 ans – de trois voleurs au lieu dit: Béauregard.
6 Après l’exécution la famille de Wéré changeason nom en celui de Wéry. Les registres de l’Etat-civil, mal tenus alors, permettaient ces fantaisies.
7 Plusieurs Pendus squelettilisés se choquaient parfoisau vent des hauteurs et leur bruit sinistre frappait d’effroi les passants attardés. C’est dans cette intention qu’on ne les décrochait pas.