Extrait : « Le Vieux Liège » Janvier-Mars 1958
Mari volage, le sergent Marcq de Labonpré1 s’est laissé gagner aux charmes d’Agnès, pour laquelle il néglige Aylid, sa légitime. Voici, enregistrée par le greffier la confession « volontaire et spontanée » du délinquant, avec le jugement de la cour :
« Comparut en personne Marcq de Labonpré, nostre sergeant, liquel at remonstré estre alié par légitime mariage avec Aylid, fille feu Jean de Struveau, et que pendant ledit siège de mariage il s’auroit abusé et comis le péché de la chair avec certaine Agnès, fille feu Jean Michiel ; suppliant le Bon Dieu, le Sgr Prélat et Couvent du Val-Saint-Lambert, Sgr de cette court, et la Justiche2 , merchy et pardon ; requérant qu’il luy soit ordonné quelque pénitence. – Veu, par nous la ditte court, entendu et advisé la confession et requeste de dit Marcq, dissons et ordonnons à iceluy, pour sa pénitenche, qu’il debveverat comparoir au monastère du Val-Saint-Lambert au plustôt, par un jour solempnel, este ou dimenge, lorsque monsgr le révérend Prélat y sera, et illecque ouyr une messe dans l’engliese, à pied nud, avec une chandelle ardante dans ses mains. Item de mettre une chandelle d’un demy patagons en la chapelle monsieur Saint-Fremin â Rotheux le jour de Saint-Fremin, et une semblable à Sainte-Barbe à Plainevaux3 au jour de la dédicase ; luy interdiant de soy déporter de telles offences, meisme à touttes autres, à peine de chastoy plus grieff. Cependant le condempnons aux fraix de ce jourd’huy, la correction sauve4 ; et au surplus deffendant à un chacun – après avoir fourny à nostre ordonnance5 – de ne luy reprocher, à paine de tomber en l’indignation du Sgr et son officier6 ».
On corserait sans peine ce dossier, ce qui n’irait pas sans répétitions. Au reste, subsisterait toujours le regret de ne pas connaître tout le détail des procédures : enquêtes préparatoires, dépositions des témoins, réquisitoires et plaidoiries, déroulement des audiences, mise à exécution des peines exemplaires.
Néanmoins, on se figure aisément l’émoi que suscite, dans la région, la nouvelle qu’un beau dimanche, en l’église abbatiale du Val-Saint-Lambert, en présence du seigneur Abbé, on pourra voir dans le chœur durant la grand-messe, pieds nus, un flambeau à la main, le lieutenant-mayeur de la Rimière convaincu d’adultère par ses pairs et d’ailleurs en aveu. Gageons qu’il y eut affluence, ce jour-là, à l’office divin.
Et l’effervescence redoublera au village, quelques semaines plus tard au jour de la ducasse, quand brûlera sur l’autel le cierge expiatoire de l’inflammable sergent.
Que voilà de petites histoires ! dira-t-on. Sans doute, mais un philosophe n’a-t-il pas observé que le destin des Empires a dépendu, un jour, de l’appendice nasal d’une jolie femme ?
Edg. Renard.
1 A noter qu’il est aussi le suppléant du mayeur et le remplace en cas d’absence
2 la cour de justice
3 La chapelle de Rotheux-Rimière était sous le vocable de saint Firmin (fête le 25 septembre) ; église de Plainevaux, sous celui de sainte Barbe (4 décembre)
4 sauf correction par l’instance d’appel, l’Abbé du Val-Saint-Lambert
5 après que Marcq aura satisfait à notre ordonnance
6 E.L., La Rimière, n° 13 (Rols 1641-1642).