Joseph Filée.
Mémoires d’acolytes d’entre les deux guerre (3).
Ce jour-là, comme on s’y attendait, notre Emérance décéda. Pour l’enterrement, Monsieur le Curé qui a revêtu son aube se drape dans sa chape noire et se coiffe de son inséparable barrette. Il est alors accompagné de 2 ou 3 acolytes qui n’iront pas à l’école ce matin-là. L’un d’eux porte la petite croix de procession, celle pour les morts, l’autre, le goupillon et le seau d’eau bénite.
La porte d’entrée de la maison est garnie d’un portique aux draperies noires bordées d’un liseré d’argent. A l’intérieur, le « colidôr » est lui aussi tendu de noir et on pénètre enfin dans la chambre mortuaire, très souvent la « belle place », cette pièce de la maison qu’on utilise uniquement dans les grandes occasions … comme celle-ci par exemple.
Que tout cela est sombre!. Le lustre, dont la moitié des ampoules ont été dévissées, est voilé de crêpe noir, les murs et les meubles sont dissimulés sous des tentures noires et sur le mur du fond, après l’accoutumance des yeux à cette pénombre, vous pouvez distinguer deux anges argentés aux ailes déployées qui veillent sur la défunte.
Elle est là, les mains jointes sur la poitrine et les doigts entortillés dans un chapelet, revêtue de sa plus belle toilette et sous la lueur tremblotante des bougies, elle semble vous sourire. A ses pieds, sont déposés deux bougeoirs entourant un crucifix de cuivre, celui du « giva » et un bol d’eau bénite où trempe une branche de buis.
Dans cette pièce où les parents et des voisins parlent à mi-voix, règne une fade odeur de fleurs se flétrissant lentement. Les conversations, toujours les mêmes, vont bon train : »Toutes mes condoléances ». « Et alors, a-t-elle beaucoup souffert? ». « Elle a un beau visage. Ne dirait-on pas qu’elle dort? » « A propos, savez-vous qui n’en a plus pour très longtemps?…. ».
A propos de ces visites de circonstance, il m’a été raconté une anecdote qui a bien fait rire tout le monde sauf l’intéressé. Ecoutez plutôt : donc, c’est le jour où on doit aller présenter ses condoléances à la famille d’un voisin. Louis (appelons le ainsi), arrive à la mortuaire pour apporter sa carte de visite (dont il a cassé un coin pour bien faire savoir à la famille qu’il est venu en personne) afin de la déposer dans la corbeille prévue à cet usage.
L’après-midi est ensoleillé et le contraste avec la pénombre du corridor ne permet pas à notre ami de voir un petit seuil donnant accès à la pièce où repose le défunt. Vous imaginez la suite : notre Louis fait une entrée au pas de course à travers la maison pour s’arrêter de justesse au pied du cercueil au grand étonnement des visiteurs présents qui ont bien du mal à contenir un inextinguible fou rire peu de circonstance!
A l’arrivée du prêtre, au moment des funérailles, toutes les conversations s’arrêtent laissant à l’homme de Dieu le soin de commencer une longue cérémonie qui s’achèvera deux heures plus tard au cimetière.
A l’église, ce qui m’a toujours impressionné c’est cet immense catafalque trônant au milieu du chœur, avec ses draperies noires ourlées d’argent et la longue série impressionnante de cierges plantés sur son pourtour. De plus, le menuisier qui est venu prendre, la veille, les mesures du défunt, fait glisser à l’intérieur de ce montage, le cercueil posé sur un brancard à roulettes, le cachant ainsi aux regards des paroissiens. Pour les laïques que nous sommes, les pieds sont tournés vers l’autel tandis que pour un prêtre, c’est l’inverse, le corps repose face aux fidèles. C’est un détail rarement remarqué.
Les parents tout de noir vêtus eux aussi se rangent dans les premiers bancs de la nef, les hommes à droite et les femmes à gauche, celles-ci ayant le visage dissimulé sous un voile noir. C’est la tenue de « grand deuil » lequel dure 6 mois; après quoi on porte un deuil moins strict d’une durée de 6 autres mois, permettant ainsi le port de tissus gris ou violet. Les hommes portent au bras gauche, un brassard noir parfois remplacé par un petit losange de même couleur ou encore un petit ruban noir également, cousu sur le revers du veston. Quant à la veuve, elle est encore soumise à une dernière période dite de « demi-deuil » d’une nouvelle durée de 6 mois (si je compte bien, voilà un an et demi pour la pauvre éplorée! On comprend celui qui a écrit « qu’entre la veuve d’une journée et la veuve d’une année …!).
Pour le décès de grands-parents, frères et sœurs, le deuil dure un an; pour les oncles et tantes, 6 mois et enfin, pour les cousins et cousines, on le portera 6 semaines!. A de telles conditions, vous comprendrez que certaines personnes, membres de familles nombreuses portent continuellement du noir ou du gris car elles sont toujours en deuil de l’un ou l’autre proche.
Pendant l’office, au moment de l’offrande, quand on a battu le rappel des hommes qui ont attendu ce moment dehors ou au café de la place, les paroissiens défilent autour du catafalque pour saluer une dernière fois le défunt mais surtout pour être vus par les membres de la famille et recevoir l’image pieuse, souvenir de son décès et annonce de la messe d’anniversaire. Lors de ce défilé, les personnes sont invitées à baiser la patène que le prêtre essuie après chaque passage. Ce geste permet aux fidèles qui ne sont pas à jeun à cette heure (il est aux environs de 10h30) d’approcher l’hostie d’une certaine façon. Nous, les acolytes, nous surveillons le plateau où chacun est invité à déposer soit son aumône, soit sa carte de visite, soit les deux. En effet notre gratification après l’office sera proportionnelle au montant contenu dans la corbeille lequel varie selon la notoriété du défunt.
A la fin de la messe de funérailles, l’acolyte apporte l’eau bénite et le goupillon pendant qu’un autre souffle encore quelques grands coups sur les braises parfois capricieuses de l’encensoir pour permettre aux deux cuillerées d’encens de répandre un nuage de fumée odorante qui remplit bientôt tout le chœur et les narines des personnes de l’assemblée lesquelles en étaient parfois incommodées. Et pourtant ce parfum est quelquefois nécessaire pour en masquer un autre!.
Le prêtre entonne alors le « Libera me Domine …. ». suivi du « Requiem aeternam dona eis Domine …. ». aussitôt repris par les chantres pour permettre à Monsieur le Curé de rentrer à la sacristie et lui donner le temps d’enlever sa chasuble et son aube et passer par dessus sa soutane, un surplis et la vaste chape noire.
Le cortège sort de l’église au chant du « In paradisium, deducant te angelis …. ». pour se rendre au cimetière. Le trajet se fait souvent à pied et le cercueil est porté par quatre ou six hommes pour lesquels c’est parfois un privilège. Ce fut encore le cas lors du décès de notre curé qui avait souhaité reposer parmi ses paroissiens. Pour nous, les acolytes, cette partie de la cérémonie est moins appréciée mais indispensable si on veut avoir part à la rétribution.
Le trajet est rarement agréable: soit il fait trop chaud, soit , le plus souvent, il fait froid ou pluvieux. Il est vrai que les vieillards meurent ordinairement à la mauvaise saison. De plus, la fin du trajet est pénible en dehors du village, sur un chemin boueux aux nombreux nids de poule et exposé à tous les vents. Que voulez-vous, l’ancien cimetière entourant l’église est complet depuis bien longtemps puisque la première tombe du « nouveau » date de 1878. C’est l’époque où, après la révolution française, les cimetières sont passés de l’autorité religieuse à l’autorité laïque et devenus des propriétés communales.
Il faut savoir que jadis, autour des églises, n’étaient enterrés que les « bons chrétiens » tandis que les « mécréants » finissaient dans le « cimetière des chiens », un coin de terre hors des murs.! Quelle époque!!
Après l’inhumation, nous rentrons à l’église au pas de charge, laissant à la famille le soin de saluer une dernière fois les quelques courageux sympathisants. Nous nous déshabillons rapidement pour retourner aussitôt à l’école où, tout fiers nous montrons discrètement aux copains les quelques pièces reçues.
Pour être complet il faut signaler qu’en ville le défunt est conduit au cimetière dans un corbillard traîné par des chevaux caparaçonnés et coiffés d’un plumeau, le tout précédé d’une fanfare; c’est réservé généralement pour de grands personnages. De plus, dans ce cas les notables ont l’honneur de tenir les « cordons du poêle » accrochés au corbillard.
Un dernier mot encore sur cette cérémonie : pour les enfants décédés en bas âge, ceux qui n’ont pas atteint l’âge de discernement, l’office s’appelle une messe d’ange et tous les ornements sont blancs sans aucun chant funèbre mais la tristesse n’en est pas moins grande.
Le dimanche qui suit le jour des funérailles, tous les parents et les proches de la famille du défunt participent l’après-midi au chemin de croix récité pour le repos de l’âme du décujus avant de se retrouver en famille devant un goûter