Daniel Van Alken
Document fourni par Monsieur P. Dangoxhe.
Le microfilm 1134461, reprenant des minutes de notaires (1703-1708), nous livre un acte curieux enregistré le premier septembre 1707 par Laurent Destreel, notaire.
Je vous le livre tel quel afin d’en avoir le plaisir du déchiffrage car avec un petit effort cela reste lisible, très édifiant sur les techniques de l’époque et de la façon risible dont les « experts » s’y prennent afin de règler le litige !
« Aujourdhuy premier de sept. sommes le notte (notaire) soubsigné et tésmoins en bas denomer comparut avec le Sieur François De champs facteur d’office des seigneurs bailly D’avroy, députer par mes seigneurs les chanceliers et gens du conseil impérial pour La principauté de liege, dans le jardin de la maison de la veufe de feu Jean La croix scituée sur La fontaine lez liege, a effet de prendre pertinente information touchant la fumée provenante d’un fourneau à rafiner le plomb quelle at fait construire dans ledit jardin, lequelle dit Fr. dechampt ensuite de la comission ayant examiné la ditte veufe, Louys et Joseph le docteur et Ailid Des.. (?), ses ouvriers sy dans la rafinement où distilation des cendres et ordures de plomb il ny entra point du mercure ou autres ingrédiens dont la fumée pouroit estre réputée vénimeuse et par ainsy causer quelques maladies ou autres facheux accident, laditte veufe et ses dits ouvriers ont, moy le dit notte (notaire) et en présence dudit Sr. Deputer et les tesmoins offerts tous de preter leurs serments sur la damnation perpetuelle de leur ames quant le justice le requiererat enfin, qu’ils n’ont jamais mis et qu’ils ne mettent ny faisoyent mettre du mercure ny la moindre matiere vénimeuse dans ledit rafinement des cendres de plomb,
et quelles dittes cendres ont dejà esté rafinée et doivent l’estre deux a trois fois cher les marchands et rafineurs de plomb avant que lesdittes cendres viennent ens mains de laditte veufe et ses ouvriers pour les fondre, come en conste (constate ?) aussy par L’act qui mat esté montrée sur ledit lieu passee pardevant le notte (notaire) vis..(tache d’encre donc illisible !) le 19 ième aoust dernier intime audit dechamps deputer par mes dits seigneurs , enoultre que le dit deputer ayant visiter les cendres et le fourneau dans quel on les rafinoit pendant qu’on y travaillait il n’at vu aucune apparance de matiere vénimeuse et que la fumée n’en provenoit que des charbons de Strivay et des cendres que lon mette dans le fourneau toutte mouillee et trempee d’eau, et pour que la fumée n’in comode pas les voisins ledit Sr. Deputer trouverait apropos de faire construire par laditte veufe une cheminée en forme d’une cheteur (cheteiur) ( ??)
de fosse sur ledit fourneau dune hauteur asse elevée afin que sa fumée se puisse plus facillement evaporer enlaire et a ce moyen quiter touttes incommodité ce que laditte veufe at promis de faire ,et, de mettre a cette effect mains en oeuvre le plustost qu’il luy serat possible, ayant de moy ledit notte (notaire) requis de luy depecher une ou plusieurs copies du present act pour sen servir come trouverat convenire, ce fait et passé dans le jardin de sa maison susditte où le fourneau est scitué y présent le Sieur advocat Delvaux et greffier de la souveraine court allodiale et le Sieur Guilleaume Bouy praticien, tesmoins avec spéciallement requis et appellez »
Signatures : françois Dès Champs ; F.Delvaux (tesmoin) ;Guilheaume Bouyer (tesmoin) et moy Laur.Destreel notte de Liege au premier signé
Notes personnelles :
A remarquer : l’orthographe de l’époque et curieusement les noms propres de familles qui y sont allègrement torturés, surtout celui de « l’envoyé spécial du conseil impéral de la Principauté de Liége » : François Dès Champs !!
Attachons-nous plutôt au fond qu’à la forme et aux différents enseignements que l’on peut retirer de ce document.
La plainte des voisins :
Nous sommes à Liége, rue Sur la Fontaine… près de la Meuse car le boulevard d’Avroy actuel était un bras navigable de la Meuse en 1700 !
La veuve De la Croix a dans le jardin de sa maison (au bord de l’eau ?), un fourneau en maçonnerie. Elle a trois ouvriers, Louis, Joseph et Ailid qui « récupèrent » le plomb (et peut être le soufre) en « raffinant » des cendres provenant d’un autre lieu.
La fumée et les vapeurs dégagées sont l’objet de plaintes du voisinage. Nous n’avons aucun renseignement précisant depuis combien de temps cela dure mais à un moment donné, il y a un « ras le bol général » et plainte en bonne et due forme est déposée aux autorités de la Principauté !
Nous ignorons si les autorités ont réagi avant le mois d’août mais le 19 août 1707, le notaire Vis… ( ?) et le Sieur François Dès Champs se rendent sur place afin de vérifier s’il y a des nuisances et un acte (rapport de visite) est passé. Malheureusement, je n’ai pas retrouvé trace de cette minute mais le document nous explique que le four était en fonction et bien que la fumée était épaisse ( on y brûlait du charbon de Strivay, charbon de bois spécial expliqué dans l’article sur Hullos, et … les cendres de plomb étaient trempées), il n’y avait dès lors rien de dangereux… !
Nulle part, on ne fait allusion aux dépositaires de la plainte pour qu’ils expriment exactement ce qui se passe ni d’un moyen quelconque afin d’analyser la fumée sortant de la cheminée !! On soupçonne bien un peu de… mercure mais il n’y a aucune vérification ! Enfin puisqu’ils veulent bien, éventuellement si la justice leur demande, de faire serment « sur la damnation perpétuelle de leur âme » de ne pas mettre des substances vénéneuses dans les cendres, alors … on peut dormir sur ses deux oreilles !!
Le premier septembre 1707, donc quinze jours plus tard, après avoir réfléchi au problème, le Sieur François Dès Champs revient avec des « Experts », un avocat et greffier (Delvaux) , un médecin (Guilheaume Bouyer) et le notaire Laurent Destreel.
Le médecin et l’avocat-greffier ne font rien, ils acceptent sans discussion le rapport de visite du notaire Vis..( ?), il n’y a plus de vérification d’aucune sorte et ils sont uniquement là pour servir de témoins à l’acte passé par le notaire !
Heureusement, le député du conseil impérial lui, s’en tire honorablement, car lui, il a la solution !
Il suggère, afin d’avoir la paix, que la veuve De la Croix, fasse élever la cheminée plus haut.
Fallait-il y penser ! Ce n’est pas un jugement, il n’y a pas de délai fixé ni d’obligation nette mais une promesse de la veuve pour faire faire ce travail « le plus tôt qu’il lui sera possible » !
La technique employée :
La technique est bien connue, elle est expliquée dans le texte sur la rentabilité des minerais pauvres en 1577 (voir cahiers de jadis n°27), mais ce qui nous paraît incroyable c’est que ce minerai avait déjà été traité et raffiné plusieurs fois (les cendres, deux à trois fois précise le document ), cela donne trois ou quatre opérations avant d’être dans le fourneau de la veuve De la Croix !
Il faut bien croire que ces techniques laissaient à désirer si la veuve De la Croix, avec un seul fourneau et trois ouvriers à payer, pouvait encore récupérer assez de matière pour pouvoir vivre !
Elle employait le charbon de Striveal (Strivay), plus cher que le charbon de bois normal mais ayant un pouvoir calorifique supérieur. Ce charbon de bois descendait l’Ourthe dans les bêchettes et arrivait en plein cœur de Liège !
La chaleur dégagée par son fourneau était peut être un peu trop forte car le soufre restant dans les cendres des kisses (sulfure de plomb dans ce cas) pouvait brûler ( à 445°C) et dégager du SO2…
Comme les cendres étaient trempées d’eau précise le texte, la vapeur d’eau combinée avec le SO2 donne du ..H2 SO4 qui est de… l’acide sulfurique !!
Les voisins, n’avaient-ils pas une bonne raison de se plaindre… ?