Mémoires
d’acolytes d’entre les deux guerres (suite).
Joseph Filée (┼)
Les saints ont aussi des animaux de compagnie. Ainsi saint Roch dont je viens juste de vous parler et son chien bien entendu: ne dit-on pas de deux personnes dont on ne voit jamais l’une sans l’autre: » Volà Sint Roch è s’t chin! ».Saint Genès et ses abeilles, saint Clément et son moucheron, saint Rustique et son âne, saint Robert et son aigle. Je vous laisse le soin d’en découvrir d’autres.
Nous avons eu aussi des saints « inventés » enfin, des saints dont on ne sait rien ou presque; telle sainte Cécile que tous les chanteurs connaissent et qui est fêtée le 22 novembre, n’aurait pas existé mais proviendrait d’une mauvaise interprétation d’un texte retrouvé sur une tombe découverte dans les catacombes. Saint Firmin n’est pas très bien connu non plus, du moins officiellement, ce qui ne l’empêche pas d’être le patron d’un de mes vieux oncles et même de l’église de Rotheux.
Nous pourrions jeter un regard géographique sur la sainteté et, partant de Saint-Séverin-en-Condroz et sa magnifique église romane, nous égarer dans la très laïque France pour passer par Saint-Yrieix-la-Perche ou Saint-Dié et ses Déodatiens (le nom de ses habitants) ou Saint-Avold avec son cimetière américain. Ce regard pourrait aussi être gastronomique si nous parlons de Saint-Emilion ou Saint-Estêve agrémenté d’un Saint-Pourçain ou d’un Saint-Nectaire pour terminer par une Saint-Remy bien de chez nous! Mais: » Vade retro Satanas « ! Eloignons-nous du péché de gourmandise et revenons-en à des pensées plus pieuses.
Qui de vous n’a jamais invoqué saint Antoine ? Pas vous? Alors vous êtes très ordonné. Vous connaissez aussi sainte Rita qui vous sort des situations désespérées. Certains se rendent aux Awirs, prient saint Georges pour les sortir d’une dépression. A Amay et ailleurs, « Sinte Brîhe« , Sainte Brigitte, est vénérée pour la réussite dans le bétail et spécialement lors du vêlage des vaches et de leur production de lait. Sur le chemin de Sotrez, se trouve la chapelle de saint Paupin. Les paysans viennent le trouver pour demander la guérison de leurs animaux. La méthode n’est pas toujours efficace. Jugez plutôt: un herbager avait envoyé sa femme prier le saint de lui guérir sa truie malade. A son retour, l’épouse s’entendit dire par son mari : »Vos polé bin rallé è dire à voss t’homme qui n’s’occupe pu d’vos affaires, ca l’pourçais è crèvé« . Vous devez aussi bien connaître saint Laurent qui mourut sur un gril. Il est invoqué contre …devinez, les brûlures évidemment. D’ailleurs quand on se brûle on dit » Chouf, Lorint!« . De plus, aux environs du 10 août, jour de sa fête, on peut voir la nuit dans le ciel, des étoiles filantes qu’on appelle « les larmes de saint Laurent« .
Il court aussi des devinettes à propos de ces saintes personnes. Voyons, quel est le saint le plus poli? Sylvestre bien sûr, il laisse passer tous les autres avant lui (fête le 31 décembre), et le plus proche de Dieu le père? Sainte Barbe! A vous d’en trouver d’autres. Nous avons aussi les jeux de mots: Sinte Five Linne, Sint Londi, Sint Dicat et le saint-frusquin et « sins çans, c’èst lpus lèd sint » …Il s’agit ici du folklore wallon et de son franc-parler pas toujours très respectueux mais si savoureux.
J’en parle à l’aise mais vous devriez lire la vie de l’un ou l’autre de ces saints, des vrais, ceux dont la vie n’a pas été de tout repos, tel le Curé d’Ars qui ne pouvait dormir la nuit tant il était secoué par le Malin, telle la petite Thérèse de Lisieux, la grande malade, mais aussi combien de lapidés (Etienne), de crucifiés (Pierre), d’étripés (Erasme), de brûlés, de décapités, d’écartelés, de fusillés et j’en passe. Sincèrement tous ces saints ont droit à notre respect pour avoir accepté de telles souffrances pour défendre leur foi. Et toutes ces atrocités, vous les retrouvez dans la Bible; c’est ainsi que j’ai dénombré dans le livre des Macchabées (appelé aujourd’hui « Livre des Martyrs d’Israël »), le bien nommé, plus de 100.000 morts dans des combats de l’époque.
A propos de la Bible, il faut savoir que nous ne pouvions pas la lire. C’était, comme dit Vincenot dans la « Billebaude », … »Une lecture dangereuse, aux récits épouvantables, où l’on voit un rusé ambitieux acheter à un foutu gourmand son droit d’aînesse avec un plat de lentilles… ou encore des espèces de voyous qui vendent tout simplement leur petit frère comme on vend un agneau ou un goret à la foire… « . Evidemment, si on ne retient que ces détails on peut s’égarer. Heureusement, depuis lors bien des choses nous ont été expliquées!
Mais je veux vous rassurer de suite. Tous les saints ne sont pas des martyrs et n’ont pas subi une fin aussi atroce. Voyez saint Thomas d’Aquin, un dominicain de grande valeur par ses écrits théologiques, qui était, semble-t-il un bon vivant car il était si gros qu’on avait découpé un demi-cercle dans la table du réfectoire pour qu’il puisse y placer son ventre. Saint Augustin, un docteur de l’Eglise (du latin doctus = savant) « ce rhéteur africain dissolu » (Missel, p.1693) qui fit le désespoir de sa mère dans sa jeunesse. Et pas loin de chez nous, le Frère Mutien qui accomplissait ses tâches quotidiennes au mieux mais sans éclat ni grands discours; c’est un saint lui aussi. D’ailleurs le Père Prévost parlant de sainte Thérèse disait « qu’il n’est pas nécessaire d’avoir fait de grandes choses mais qu’au contraire la perfection consiste plutôt à faire grandement les petites choses« . Mais restons-en là avec tous les saints du calendrier sinon je risque de vous perdre comme lecteur dans cet embrouillamini et cela m’attristerait.
Et me voilà de nouveau en train de digresser au lieu de suivre mon calendrier. Nous en étions donc au temps du Carême précédé du dimanche de la Septuagésime, de la Sexagésime et enfin de la Quinquagésime appelés ainsi parce qu’étant le 7ème puis le 6ème et enfin le 5ème dimanche avant les quatre dimanches du Carême lequel débute par l’imposition des cendres « Tu es poussière et tu retourneras en poussière « . Ce n’est pas très gai non plus et pourtant cette longue période de 40 jours de jeûne est la bienvenue après les « crâsses eûrêyes » de l’hiver où il a fallu combattre un froid souvent rigoureux. Comme régime on ne fait pas mieux et le remède porte ses fruits. Seulement, comme le faisait remarquer un mien parent quelque peu contestataire, cette règle épargnait les bien nantis. Ainsi ils pouvaient lors du repas complet de midi ou du soir manger une belle carpe pêchée dans leurs étangs alors que le paysan ne pouvait pas se fricasser une tranche du lard de son cochon. Il pouvait même, ce grand monsieur, se faire servir une sarcelle qui n’était pas considérée comme de la viande parce qu’ayant les pattes rouges (allez savoir pourquoi!) tandis que la fermière ne pouvait se cuire une de ses vieilles poules hors d’âge dont les pattes étaient jaunes. Mais trêve de médisances et laissons passer le Carême.
Durant cette période, nous avons les prières de XL (40) heures soit 5 pauses de 8 heures c’est à dire d’un matin 8h, après la messe, au lendemain, 16h après les vêpres. Monsieur le Curé cherchait donc des paroissiens qui acceptaient de prendre en charge une ou deux paires d’heures pour être présents à l’église. Il y avait aussi les récollections qui se terminaient par la plantation d’une croix à certain coin du village, comme celle de Rotheux récemment disparue.
Nous voici au dimanche des Rameaux, aux ornements violets et ses branches de buis coupées à la haie du jardin du presbytère, bénies (et qui en deviennent des branches bénites! Ah, la grammaire, quelle belle chose!!) et encensées durant 5 ou 6 oraisons chantées en latin. On se dirige en procession vers la porte de l’église que l’acolyte heurte avec la grande croix, puis la foule assiste à la messe où on lit le long évangile de la Passion.
Commencent alors les offices de la semaine sainte. Les étudiants se trouvant à l’époque aux études dans un collège participaient aux cérémonies: le mercredi c’était l’office des ténèbres au cours duquel on chante 15 psaumes et on éteint les 15 cierges des chandeliers triangulaires. On récite les lamentations de ce pauvre Jérémie dont chaque paragraphe commence par chacune des lettres de l’alphabet hébreux ce qui donne en premier, « Alèèèf » puis quelques phrases, ensuite « Bèèèèth « , et ainsi de suite, le tout terminé par quelques bruits que fait l’officiant pour rappeler le tremblement de terre du Vendredi saint.
Le Jeudi saint, pendant le Gloria de la messe, toutes les cloches sonnent à toute volée, les petites sonnettes des acolytes comme les grosses cloches du clocher qui vont prendre leur envol pour Rome pour aller quérir les « cocognes » de Pâques.
L’orgue se tait pour trois jours ainsi que les cloches et on sort les deux crécelles (nous, on disait des « racagnacs« ) pour remplacer les sonneries.
Enfin cette longue journée se termine par le dépouillement des autels: on enlève tout: les nappes, les chandeliers, les canons (voir plus haut), les fleurs, tout. Et pour finir c’est le lavement des pieds qui en a amusé plus d’un.
Nous prenons la grosse et lourde crécelle, difficile à manier, pour faire le tour du village afin d’appeler les fidèles aux offices du vendredi et du samedi. La petite, beaucoup plus légère, est réservée pour les offices célébrés à l’intérieur de l’église. Ces jours-là, l’organiste, privé de l’orgue, sort de la poche de son gilet une sorte de petit sifflet qui lui donne le « la » et la chorale chante « a cappella ». Puis l’office se termine par une procession pendant laquelle Monsieur le Curé transporte le ciboire qu’il enferme dans le petit tabernacle de l’autel de la Vierge après quelques instants d’adoration. Les personnes qui visitent ces reposoirs ont droit à une indulgence plénière (ah! ces indulgences!) si, entre-temps, elles se sont confessées et ont communié.
Enfin cette longue journée se termine par le dépouillement des autels. On enlève tout: Les nappes,les chandeliers, les canons (voir plus haut), les fleurs, tout. Et pour finir, c’est le lavement des pieds qui a amusé plus d’un.